Par Chems Eddine Chitour (revue de presse : Agoravox.fr – 7/6/15 – extrait)*
« Dans un discours prononcé à la Maison-Blanche, le président Jimmy Carter en 1977 évoque la crise énergétique qui frappe alors les économies occidentales et il y glisse cette réflexion sibylline : si nous indexons le dollar sur les matières premières, son potentiel est grand, mais limité ; si nous indexons le dollar sur la connaissance, alors son potentiel est infini. »
53 ans d’indépendance après, l’Algérie est plus que jamais à la croisée des chemins. Cependant, qu’on se le dise, les nuages s’accumulent, Il est important pour la génération montante de savoir que nous avons pris un faux départ dès l’indépendance. Souvenons-nous les années soixante, la vague de décolonisation a donné l’illusion que les pays étaient réellement indépendants et que tout était permis, la misère morale et matérielle devait faire place à la liberté de parole, de travailler, bref, de donner la pleine mesure de son talent. Cruelle erreur, les espoirs fuirent rapidement Aimé Césaire, en son temps, jugeant d’un oeil très critique cet hold-up de la liberté, de la démocratie, eut cette formule lapidaire sans appel : « La lutte pour l’indépendance, c’est l’épopée ! L’indépendance acquise, c’est la tragédie. » A l’Indépendance, nous tirions notre légitimité internationale de l’aura de la glorieuse Révolution de Novembre.
L’Algérie à la croisée des chemins
La flamme de la Révolution s’est refroidie en rites sans conviction, pour donner l’illusion de la continuité. Mieux encore, le moteur de la Révolution qu’était le FLN a été confisqué au profit d’une caste pendant un demi-siècle. Le FLN post révolution s’accroche au pouvoir-, n’a pour programme que l’opportunisme- et ceci il faut bien le dire, d’un manque cruel de compétence de ceux qui se l’ont approprié. Pour le regretté Boudiaf : « Le FLN est mort en 1962. » Le FLN qui a rempli son immense tâche historique qui a abouti à l’indépendance est la propriété de tous les Algériens. Il doit laisser la place à d’autres partis politiques qui ont pour légitimité l’intelligence, le savoir, le Web2.0
L’Algérie actuelle, qu’est-ce- que c’est ?
Un pays qui se cherche, qui n’a pas divorcé avec ses démons du régionalisme, du népotisme ? Qui peine à se déployer, qui prend du retard, qui vit sur une rente car elle n’est pas celle de l’effort, de la sueur, de la créativité ? C’est tout cela en même temps ! Malgré une chute drastique des revenus du pétrole, elle ne prend pas assez compte du danger et les réformes tardent à venir, bloquées d’une façon incompréhensible alors qu’il s’agit de ne pas perdre du temps car le monde bouge. Nous n’avons plus le droit de continuer à vivre sur notre passé et penser que la rente réglera nos problèmes. Si pendant les premières années de l’indépendance la massification de l’éducation était légitime. Par la suite ce fut la gabegie par une arabisation effrénée.
Résultat des courses : malgré des moyens colossaux, l’école a été qualitativement un échec. Le niveau est déplorable, nous le voyons dans le supérieur. Justement, l’enseignement supérieur est analogue à un train fou que personne ne peut arrêter. Il délivre des diplômes qui correspondent bien souvent à des métiers qui n’existent pas. On comprend alors pourquoi la formation d’ingénieurs a été supprimée dans les universités au profit d’un LMD dont on découvre graduellement les errements et les limites. Plus que jamais, des états généraux s’imposent pour mettre à plat ce qui ne va pas.
L’Algérie de 2015 importe pratiquement tout, a perdu son savoir-faire que l’on tente difficilement de réhabiliter, Elle n’a plus la foi, ce feu sacré qui nous faisait espérer en l’avenir avec 100 fois moins de moyens actuellement. Le jeune Algérien de 2015 bavarde avec un portable vissé à l’oreille, il tchatche sur Internet, roule pour certains en 4×4, et pense que tout lui est dû. Il ne sait pas ce que c’est que l’effort, l’honnêteté, les économies, il pense que l’école et l’université ne servent à rien prenant l’exemple sur les troubadours et les footballeurs qui gagnent en une saison ce que gagne un enseignant en une vie…
Qu’est-ce qu’être indépendant au XXIe siècle ?
Qu’est-ce qu’être indépendant quand on est dépendant à 80% pour sa nourriture, à 100% pour sa construction, les transports, quand on est dépendant à 100% pour ses achats de tous les jours. 80% de notre nourriture dépend de l’étranger, l’industrie ne participe qu’à 5% de la richesse malgré la richesse des effets d’annonce dans le domaine industriel qui sont sans lendemain parce qu’indexés sur une vision qui ne fait pas appel aux Algériens. L’Etat est artificiellement riche, une population en majorité prête toujours à l’émeute, pour n’importe quoi.
Qu’est-ce qu’être indépendant quand nous ne pouvons plus défendre notre territoire qu’avec des armes classiques face aux drones, aux fusils laser, aux avions F16 et autres foudres ? Qu’est-ce qu’être indépendant quand notre système éducatif est en miettes et que l’on casse les dernières défenses immunitaires que sont les formations technologiques (ingéniorat). Sommes-nous devenus plus autonomes ? Avons-nous un taux d’intégration et un savoir faire réel ? Avons-nous des hôpitaux de qualité, une école qui fait réussir ? Une université vue comme un ascenseur social ? Rien de tout cela !
Notre mimétisme de l’Occident ne concerne que la dimension consommation et non dans celle du travail, de l’effort, de l’intelligence et de l’endurance. L’Algérie est devenue un immense tube digestif, décervelé, l’Algérien veut, sans effort, tout et tout de suite. L’Algérie peine toujours à se redéployer dans un environnement mondial de plus en plus hostile. Avec une mondialisation dimensionnée à la taille des plus grands, des plus forts, des plus intelligents la lutte est implacable.
Des alliances se nouent, d´autres se dénouent. Quoi qu´on dise, les regards sont braqués sur l´Algérie. Le démon du régionalisme, l’échec du vivre-ensemble, l’appât du gain et pour notre malheur, l’étendue du pays, sa richesse en hydrocarbures et en terres agricoles, sont autant de critères de vulnérabilité. On ne laissera pas tranquille un pays de 2 387 642 km² – le premier pays d’Afrique après la partition du Soudan- avec sa profondeur stratégique, son potentiel énergétique, ses différents climats… son potentiel archéologique et touristique. .. (…) …
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Photo : Chems Eddine Chitour
*Chems Eddine Chitour est professeur à l’Ecole Polytechnique d’Alger
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