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25 décembre 2024

Cour pénale internationale : l’étau se resserre sur Israël


Entité criminelle

Cour pénale internationale :
l’étau se resserre sur Israël

Christophe Oberlin


© Christophe Oberlin

Mardi 21 juillet 2015

Au grand dam de ses détracteurs  la Cour pénale internationale, qualifiée volontiers de « Cour de justice de Blancs pour juger les Noirs », semble bien partie pour trainer en justice nombre de dirigeants israéliens. Une nouvelle ère s’ouvre-t-elle dans l’histoire du conflit israélo-palestinien ?

Affaire du Mavi Marmara : rappel des faits

On se souvient du drame de la « flottille ». Le 31 mai 2010, une flotte de bateaux de pacifistes du monde entier tente de rallier le port de Gaza en brisant le blocus de l’armée israélienne. Prenant le contrôle du plus important des navires, le Mavi Marmara, l’armée israélienne tue dix ressortissants turcs dans les eaux internationales. Le bateau bat pavillon comorien. L’Etat des Comores,  signataire du Statut de Rome comme 120 pays des Nation Unies, porte plainte auprès de la Cour pénale internationale.

Comme c’est la règle, c’est au bureau de la procureure Fatou Bensouda  d’étudier la plainte, et de dire s’il existe ou pas, suffisamment de présomption de charges pour transmettre le dossier à la Cour. Dix-huit mois plus tard la décision est rendue. Certes la procureure  ne transmet pas le dossier, mais les attendus sont là : il y a eu très probablement des crimes de guerres, et le blocus de Gaza est illégal. En accord avec le Statut de Rome les îles Comores font appel, appel qui doit être jugé par la Cour préliminaire (chambre de première instance). C’est donc maintenant la Cour elle-même qui est saisie, pour la première fois dans histoire du conflit israélo-palestinien.

La décision du 16 juillet 2015

C’est un véritable coup de semonce pour les dirigeants israéliens. La Chambre préliminaire décide de demander à la procureure de revoir sa décision initiale et d’ouvrir une enquête sur l’affaire du Mavi Marmara. Cette décision est capitale à plus d’un égard.

D’une part elle oblige Fatou Bensouda à enquêter officiellement. Les parties vont être convoquées et sommées de s’exprimer. Une éventuelle  politique de la chaise vide de la part d’Israël ne ferait qu’aggraver son cas. Et l’envoi d’une délégation à la Haye, déjà annoncé, ne va d’ailleurs pas en ce sens.

D’autre part le bureau de la procureure, dans les attendus de sa première décision, s’est déjà engagé : « il existe des doutes raisonnables pour penser que des crimes de guerre ont été commis ». On voit mal, après enquête approfondie, et alors que les témoignages sont accablants, la procureure dire  le contraire. Alors pourquoi n’a-t-elle pas transmis le dossier à la Cour ? Parce que  le crime n’était pas,  selon elle,  d’ampleur « suffisante », répété, partie intégrante d’une politique systématique.

Or la Cour a bien considéré que  le crime est « suffisant », puisqu’elle demande à la procureure de revoir sa copie. Et elle mène même une attaque en règle contre la  formule « gravité insuffisante », s’indignant que les critères de gravité extérieurs à l’attaque n’aient pas été pris en compte : notamment « la souffrance de la population de Gaza soumise au siège[1], les traitements dégradants proches de la torture infligés aux survivants du bateau prisonniers en Israël (passage à tabac, menottes excessivement serrées, position à genou prolongée, yeux bandés, sac sur la tête, exposition en plein  soleil, restriction de nourriture, d’eau, d’accès aux toilettes, humiliation, recours à des chiens, etc. Ces mauvais traitements évoquent immédiatement les mauvais traitements habituels auxquels sont soumis les prisonniers palestiniens, tous traitements dont la chambre rappelle qu’ils sont interdits.  « La conclusion correcte, dit la chambre, aurait été de reconnaître qu’il y avait des bases raisonnables pour penser que des actes qualifiés de torture ou de traitements inhumains ont été commis, et ceci aurait dû être pris en compte dans l’évaluation de la gravité des faits ».

La Cour s’appuyant ensuite sur témoignages et rapports d’autopsie,  réfute le caractère non intentionnel mais au contraire programmé de l’attaque meurtrière : utilisation de balles réelles,  et surtout « tirs à balles réelles avant l’abordage », rejetant, à moins de preuves contraires, l’argument selon lequel il s’agirait de « bavures » sans ordre venu d’en haut. La confiscation par l’armée des téléphones portables des passagers est qualifiée de « volonté de dissimulation des  preuves ».

« L’existence d’informations contradictoires, rappelle la Cour, ne signifie pas qu’une version doit être privilégiée par rapport à une autre » : version polie de l’accusation du « deux poids, deux mesures » ou du « double standard » des anglo-saxons.

La cour mentionne ensuite fort adroitement les rapports de la Commission des droits de l’homme de l’ONU et celui de son Secrétaire général.

Pour finir en donnant la liste des « erreurs », « fautes » et « échecs » de la procureure, elle rappelle  que  la « raison d’être » (en français dans le texte) du procureur est d’enquêter et de poursuivre les crimes internationaux.

A partir d’aujourd’hui, comme pour toute instruction, la mécanique est enclenchée, et des questions et réponses vont être échangées entre procureure et chambre, avec quatre étapes.

La première, acquise, est celle de la  nécessité d’une enquête : c’est l’objet de l’injonction de la chambre aujourd’hui : La procureure  n’a pas d’autre choix que de répondre point par point à chaque question, s’appuyant alors sur une enquête plus approfondie qui va justifier la  mise en cause  de responsables israéliens. A la suite viendra la confirmation des charges, qui fait peu de doutes. Ensuite ce sera le non-lieu, inimaginable, ou le renvoi des responsables devant le tribunal. La mécanique est donc enclenchée.

On va inéluctablement vers des inculpations et vraisemblablement des condamnations de dirigeants israéliens.

Conséquences politiques

Contrairement à la pensée des pessimistes, ce n’est évidemment pas le jour où certains dirigeants israéliens seront condamnés par la Cour pénale internationale que les conséquences politiques  seront palpables. Dès l’engagement des premières procédures celles-ci sont apparues, aggravant d’ailleurs par la maladresse des propos tenus, le cas israélien. Le Premier ministre déclarant bravache « qu’il ne laissera pas traîner ses soldats devant le CPI », alors que c’est lui-même qui est en ligne de mire. Le Département d’Etat américain déclarant « que la Palestine n’est pas vraiment un Etat », alors cette condition n’est pas rédhibitoire selon le Statut de Rome. Déclarations venant de deux Etats qui n’ont pas ratifié, et donc n’ont aucun moyen  légal  de peser sur le fonctionnement de la CPI.

Et alors que les dirigeants israéliens couvrent la Cour pénale internationale d’opprobre et tentent de la délégitimer, les mêmes viennent de décider pour la première fois d’envoyer à la Haye une délégation « pour y expliquer la position israélienne ». Curieuse déclaration pour un Etat qui ne reconnait pas l’institution !

Du côté de la Cour pénale, le bilan est clairement positif. Alors que la procureure gambienne Fatou Bensouda assumait jusqu’à présent seule la responsabilité de se dresser face aux dirigeants israéliens (elle a, selon sa propre expression, « ouvert les portes de l’Enfer » !), c’est la Cour elle-même qui vient de s’engager par la décision de trois juges (les deux premiers étant vice-présidents de la CPI) : la présidente kenyane Joyce Aluoch et les deux juges, l’italien Cuno Tarfusser  et le hongrois Péter Kovacs. La pression sur la procureure s’en trouve d’autant allégée.

Et l’Autorité palestinienne dans tout ça ?

A ce jour l’Autorité palestinienne n’a toujours pas porté plainte auprès de la CPI. Elle a beau y avoir déposé un dossier le 25 juin 2015, ce dossier n’est qu’un texte général regorgeant de statistiques, non factuel et ne comportant aucun document suffisamment précis et étayé pour pouvoir engager des poursuites. Et on s’interroge sur la communication de l’Autorité palestinienne qui déclare à qui veut l’entendre « qu’il faudra au moins dix ans  pour que les choses aboutissent ». A-t-on déjà vu un plaignant déclarer que sa plainte sera traitée aux calendes grecques ? Quelle est la compétence de l’Autorité palestinienne pour augurer du temps de travail de la Cour pénale internationale ? Et pourquoi « dix ans » ?

Si le règlement de certains dossiers portés par la CPI, on le sait,  a duré plus qu’il n’aurait dû, qu’en est-il des affaires concernant Israël ? La plainte du Ministre de la justice palestinien Saleem al Saqqa, en pleine guerre de 2014 (25 juillet), bloquée huit jours plus tard par Mahmoud Abbas, a été réactivée mécaniquement en décembre de la même année par la signature d’une « déclaration de compétence »[2] par le même, conduisant la procureure à annoncer dès le 15 janvier 2015 l’ouverture d’une enquête préliminaire.

Dans l’affaire du Mavi Marmara, 18 mois se sont écoulés entre la plainte et la décision de la procureure, et après appel  la Cour n’a mis que six mois avant de s’y opposer et de demander  l’ouverture d’une enquête.

La machine est lancée, qui ne s’arrêtera pas.

Christophe Oberlin* | 21 juillet 2015

* Dernier ouvrage paru : Le chemin de la Cour – Les dirigeants israéliens devant la Cour pénale internationale, Erick Bonnier  2014

[1] 450 plaintes individuelles contre le siège enrichissent désormais le dossier de la procureure

[2] Déclaration par laquelle l’Etat palestinienne s’engage à coopérer pleinement avec la Cour pénale internationale, tant au niveau de l’enquête que de ses décisions

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