La préhistorienne Malika Hachid dévoile quelques secrets de ce peuple légendaire. L’origine de ce peuple amazigh légendaire est longtemps restée un mystère. Grande passionnée, la préhistorienne Malika Hachid, chercheure au Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNPPRAH) a pu en dévoiler quelques secrets, divulguant l’extraordinaire épopée de ce peuple altier.
Dans des contrées arides, sous le soleil brûlant et face aux tempêtes de sable, le peuple touareg a survécu à grand nombre d’événements, faisant montre d’une vraie culture dans son mode de vie. Les habitants du désert sont longtemps restés irréels tant ils ne se laissent pas appréhender facilement. Il a fallu beaucoup de patience à la préhistorienne Malika Hachid pour déceler certains secrets. Elle a fait part de certains enseignements de ses recherches lors d’une récente conférence organisée à l’Institut français d’Alger.Cette partie du monde avait fasciné les explorateurs du XIVe siècle par sa richesse. Les textes arabes, réputés pour leur goût de la métaphore et de l’exagération, y racontaient que «l’or y poussait comme des carottes».
Le fait est que les Touareg sont constitués de la sédimentation de deux peuplement amazighs : l’un autochtone, dépeint par les gravures rupestres et la tradition orale touareg, l’autre allochtone, dont la tradition orale et les auteurs Amazighs (Ibn Battuta et Ibn Khaldoun) en firent le témoignage au XIVe siècle. La découverte de peintures inédites a permis à Malika Hachid de confirmer cette thèse. Car même jusqu’au Moyen-Age, les habitants du Sahara ont témoigné d’eux-mêmes, ornant les parois de leurs abris pour y relater les événements les plus importants, de la même manière que l’on utilise aujourd’hui les médias.
Pour comprendre l’histoire des Touareg, il faut remonter à la nuit des temps, bien avant les pharaons. «Les Egyptiens d’avant les pharaons de l’époque prédynastique ont été parmi les premiers à révéler les Berbères», explique Malika Hachid. Sur des images retrouvées dans la tombe du pharaon Sethi 1er, les Imazighen sont reconnaissables aux plumes de noblesse dans leurs cheveux, à la petite tresse sur le côté appelée «tresse libyenne» ainsi qu’à leur tunique ouverte. Ils portaient aussi un baudrier croisé, qui se maintiendra pendant plusieurs millénaires. «Les tatouages qu’ils portaient sur les bras sont pratiquement les mêmes qu’on retrouve aujourd’hui sur des bracelets plus récents», fait remarquer Malika Hachid.
Au cours de la dynastie des Ramsès (un millénaire avant J.-C.), ils étaient connus en tant que «Lebou», repris par les historien grecs pour désigner toute l’Afrique sous le nom de Lybia. Les peintures rupestres ont montré des personnages portant une cape qui leur dégage une épaule. «Dans le Sud libyen, quand les archéologues pouvaient encore y aller, des photos ont été prises de personnages portant des tuniques et un baudrier croisé, ayant tous des plumes dans les cheveux, c’étaient les cousins des Berbères orientaux qui habitaient le Sahara», précise Malika Hachid.
Ceux qu’elle appelle les «Libyens sahariens» n’avaient rien de commun avec «les sauvages et les monstres» décrits par l’historien grec Hérodote. Ils portaient des armes en bandoulière comme les fantassins grecs, ce qui fait dire à Malika Hachid qu’il y a eu forcément un contact entre le Sahara central et la Méditerranée (plus proche de ces inventions). Cela tranche avec l’idée selon laquelle les Berbères étaient coupés du monde et en retard de toute civilisation. Plus tard, ils évolueront encore, acquérant le char et le cheval 1200 ans avant J.-C. C’est à cette époque qu’apparaissent, selon Malika Hachid, les inscriptions libyques au cours du premier millénaire avant J-C. «Je me base sur des éléments concrets, mais j’ai beaucoup de mal à le faire admettre aux autres chercheurs», sourit-elle.
Les «Garamantes» (dénomination d’Hérodote) portaient ainsi une tunique en cuir, la tebetik. Ils adoraient, selon l’historien grec, la Lune et le Soleil. Ibn Khaldoun le confirmera car certains Amazighs continuaient de pratiquer la même religion au XIVe siècle.
La préhistorienne prend à cœur de rectifier certaines contrevérités diffusées par les traditions orales des Touareg de l’Ahaggar. La légende raconte que la région était habitée par une population amazighe, celle des Issabaten, qui serait, selon toute vraisemblance, une descendance de conducteurs de chars peints au Sahara et qui vivaient tant bien que mal dans un désert aride mais peuplé. Selon les textes anciens, ils parlaient un amazigh grossier ; il n’avaient pas d’écriture, pas de dromadaires ni de chevaux et ils étaient païens. La tradition orale décrit un peuple isolé dans un mode de vie inférieur.
Après les conquêtes arabo-musulmanes, des migrants seraient venus s’y installer, dirigés par un chef : Tin Hinan. Ils étaient originaires de l’Ouest (Tafilalet, Sud marocain) mais il n’y a aucune précision de la date de leur arrivée.
«Faux que tout cela !», s’exclame la scientifique. Bien sûr, les Issabaten étaient les habitants autochtones du désert, mais ils ne parlaient pas l’amazigh grossier décrits dans les récits oraux. Evidemment, il y eut des conquêtes musulmanes et des migrants, les «Huwwara», venus s’installer dans cette région ,mais ils n’étaient pas originaires du Maroc.
Ibn Battuta, l’aristocrate sûr de son statut, les avait d’ailleurs rencontrés lorsqu’il s’est intégré à une caravane qui remontait du Niger au Maroc en passant par l’Ahaggar. «Dans son récit, explique Mme Hachid, il les traite de ‘vauriens’ parce qu’ils réclamaient une taxe due pour toute caravane traversant leur territoire.» Il dit néanmoins que ce sont de braves gens et bons musulmans qui ne détroussent personne pendant la période du Ramadhan mais il donne très peu d’indications sur ces Huwwara et sur la région.
Le texte d’Ibn Khaldoun est plus analytique : l’auteur Amazigh explique ainsi que durant la conquête musulmane, il y avait des tribus qui portaient le nom générique de Huwwara (une déformation de Ihaggaren qu’est l’Ahaggar, d’après lui) ayant quitté la Cyrénaïque par Gaugau (Gao), une cité marchande très prospère, pour s’installer dans le Sahara central, probablement au début du Xe siècle. A force de patience, la préhistorienne algérienne a fini par trouver un dessin rupestre qui confirme cette thèse. L’on y voit un groupe de guerriers portants des pantalons bouffants et des tuniques en tissu. Ils tenaient un bouclier rond et une épée, nommée keskara, jusqu’alors absente dans les peintures. Sur l’image, ils entourent un homme portant une tunique en cuir et pas de pantalon. C’est, d’après Malika Hachid, l’histoire de la conquête du territoire appartenant aux Assabat par les Huwwara, des Berbères pratiquant le rite ibadite.
Deux cultures vont ainsi s’affronter : l’une est locale, c’est sa terre, l’autre est migrante, voulant conquérir le sol. «Les richesses qui venaient de cette partie du monde pour arriver aux portes de la Méditerranée les avaient attirés dans cette partie du monde», souligne la préhistorienne. Elle poursuit : «Ils sont partis de Tripolitaine jusqu’au Sahara afin de s’intégrer au grand commerce transsaharien. Ils faisaient négoce avec une autre communauté ibadite, les Ouarglis. Ils s’y étaient installés pour s’intégrer au grand commerce caravanier au profit des ibadites de Ouargla.» Les Huwwara avaient, d’après les précisions de la conférencière, rallié le kharidjisme et l’ibadisme en réaction au pouvoir des conquérants qui, dès leur arrivée, ont cherché de l’or.
Les Touareg seraient ainsi le résultat de la sédimentation des deux peuplements : Assabat et Huwwara. A Djanet subsiste encore le dernier minaret à quatre pointes des ibadites, qui a fort heureusement pu être sauvé de la modernisation. Il semblerait qu’ils ont continué à orner les murs, dans le Sahara, jusqu’à l’arrivée de l’islam. Malika Hachid a montré des photos inédites de personnages faisant la prière musulmane. Dès l’arrivée des Huwwara, un processus de «désacralisation» a été entamé. Il y avait un déambulatoire pour que les habitants puissent effectuer des rites autour de la tombe du mort. Lorsque qu’ils ont été islamisés, le déambulatoire a été comblé. «Ils leur ont dit, plaisante la préhistorienne, que c’était haram…Boko Haram», rappelant ainsi les malheureux événements qui agitent actuellement la région des seigneurs du désert.
Amel Blidi pour El Watan