Le capitalisme occidental principale cause de la crise socio-écologique planétaire,
11 août 2015
Le capitalisme occidental principale cause de la crise socio-écologique planétaire,
selon Mohammed Taleb.
10/08/205
» Il est significatif que la première des sciences modernes a être de nature systémique est l’écologie. Elle est la sciences des interrelations qui font que la réalité naturelle est un système » écrit le philosophe algérien Mohammed Taleb* dans l’étude ci-après. C’est pour cela que l’écologie s’oppose frontalement aux rapports à la nature actuellment dominants, car dit-il, « l’avènement et le développement du capitalisme occidental constituent le principal facteur causal de la crise socio-écologique planétaire ». Cet enseignant en éco-psychologie explique : « Si l »essence du capitalisme, et la signification profonde de sa modernité marchande, réside bien, comme nous le pensons, dans la réification généralisée, alors l’humain lui-même, comme la Nature vivante, est emporté dans cette entreprise de folie ». Entreprise de folie qui veut s’imposer à la planète toute entière au nom d’une fausse universalité car, selon le philosophe, « La mondialisation nous semble être un nom trompeur pour l’« occidentalisation du monde ». Il appelle à la déconstruction de l’universalisme bourgeois occidental pour « fonder une perspective philosophique autre ». En conclusion, il propose son credo : « Notre universalité sera plurielle, bariolée, polyvalente, multiforme, frappée du sceau de la diversité. Une pensée socio-écologique forte peut le montrer : la biodiversité n’est pas seulement écosystémique et environnementale, mais aussi culturelle, civilisationnelle ».
Des mémoires culturelles et des universalités vivantes pour prendre soin de la terre.
Par Mohammed Taleb. Etude publiée le 7 août 2015
Le principal acquis de la pensée systémique contemporaine réside en ceci : ce n’est pas l’objet qui fait sens, mais le lien. Les significations profondes du monde s’originent dans la multitude des liaisons, des correspondances, des sympathies (et des antipathies) qui se nouent entre les concrétudes, les éléments qui le composent.
Sans en être forcément consciente, la pensée systémique ne fait que reprendre une clé méthodologique de la conception hermético-alchimique de la Renaissance, qui établissait l’existence d’analogies, d’affinités électives entre les divers visages de la réalité. Un intellectualité de la relation devrait donc nous permettre d’élargir la compréhension des phénomènes, qu’ils soient naturels ou culturels, matériels ou idéels.
Il est significatif que la première des sciences modernes a être de nature systémique est l’écologie. Son objet n’est pas un fragment de la nature (minéral, végétal ou animal), ou un aspect spécifiques d’un lieu, ou d’un processus vivant. Elle est la sciences des interrelations qui font que la réalité naturelle est un système. On parlera avec raison d’« écosystème » pur désigner cette alchimie entre une biocénose, qui est l’assemble des êtres vivants, et son biotope, qui correspond à son espace vital. Si nous parlons, depuis le début des années 1970 (et même avant, avec le célèbre Silent Spring (Printemps silencieux) de la biologiste étasunienne Rachel Carson), de crise écologique, il faut entendre par là essentiellement la crise des relations qui existent entre les habitants vivants et notre terre qui est notre habitat. Les éléments d’analyse que nous proposons dans cet article doivent être compris comme autant de lectures de cette crise écologique, qui est en même temps une crise de l’environnement non humain et une crise civilisationnelle. Ces éléments sont les fragments d’une interprétation générale dans laquelle nous sommes engagés depuis plusieurs années, aussi bien dans le domaine de l’Education relative à l’Environnement que dans ceux de la psychologie des profondeurs, de l’écopsychologie, de la critique sociale et de la critique postcoloniale.
I. Le désenchantement capitaliste du monde, matrice de la crise socio-écologique
L’avènement et le développement du capitalisme occidental constituent le principal facteur causal de la crise socio-écologique planétaire. Mais, afin de bien saisir cette responsabilité, il nous semble nécessaire de ne pas réduire le capitalisme à sa seule composante économique. Si le capitalisme est bel et bien un « mode de production » économique, une infrastructure complexe articulant des conditions physico-naturelles de production, des forces productives, notamment technologiques, et des rapports de production (notamment entre classes sociales), ces données ne revêtent pleinement leur sens qu’en tant qu’elles font parties d’une histoire globale, d’un processus historique multidimensionnel. Avant d’être économique, le capitalisme est « historique » comme le rappelle le sociologue étasunien Immanuel Wallerstein, et cette globalité est mortifère, car elle emporte l’humain et la Nature vivante dans la tourmente d’une crise planétaire.
Afin de percevoir en quoi le capitalisme, comme système historique, est responsable de la crise socio-écologique, il est crucial de déterminer la nature profonde de ce système, sa raison d’être, autrement dit son essence. Notre hypothèse s’enracine dans une tradition qui remonte à Marx, et même avant lui aux romantiques. Elle affirme que l’essence du capitalisme réside dans ce que nous nommons aujourd’hui réification ou objectivation marchande, c’est-à-dire ce processus qui transforme tout ce qui existe en « chose » : les femmes, les hommes, les peuples, la Nature, les valeurs non marchandes (amour, amitié, honneur, sacrifice, honnêteté, sacré, etc.) et la multitude des rapports sociaux, culturels et écologiques qui se nouent entre eux. Cette chosification est la raison d’être du capitalisme, et donc la cause essentielle de la crise socio-écologique : la Nature cesse d’être totalité organique pour devenir un capital naturel, un ensemble de ressources naturelles dont il faut veiller, dans le meilleur des cas, à la reproduction. Profondément réductionniste, cette conception entend éliminer les dimensions qui ne sont pas quantifiables et qui ne peuvent faire l’objet d’un marchandage ou d’une expérimentation scientifique. La marchandisation du monde est le nom contemporain de ce processus qui disqualifie le lien social, l’Imaginaire, le sacré, la subjectivité : le réel est réduit au matériel ; le matériel est réduit à l’économique ; l’économique est réduit au financier
Si l »essence du capitalisme, et la signification profonde de sa modernité marchande, réside bien, comme nous le pensons, dans la réification généralisée, alors l’humain lui-même, comme la Nature vivante, est emporté dans cette entreprise de folie. C’est pourquoi sociologue allemand Herbert Marcuse a-t-il mille fois raison lorsqu’il envisage « l’homme unidimensionnel » comme étant la figure de l’humain dont le projet capitaliste espère voir l’avènement définitif. Ecologique, civilisationnelle et sociale, la crise que nous traversons est aussi une crise anthropologique.
Le sociologue franco-brésilien Michaël Löwy, dans un ouvrage magistral, Révolte et mélancolie. Le romantisme à contre-courant de la modernité, propose la définition suivante du capitalisme, définition que nous reprenons à notre compte : « Le capitalisme doit se concevoir comme un « Gesamtkomplex », un tout complexe à facettes multiples. Ce système socio-économique est caractérisé par divers aspects : l’industrialisation, le développement rapide et conjugué de la science et de la technologie (…); l’hégémonie du marché, la propriété privée des moyens de production, la reproduction élargie du capital, le travail « libre », une division du travail intensifiée. Et se développent autour de lui des phénomènes de « civilisation » qui lui sont intégralement liés : la rationalisation, la bureaucratisation, la prédominance des « rapports secondaires » (…) dans la vie sociale, l’urbanisation, la sécularisation, la « réification ». C’est cette totalité, dont le capitalisme en tant que mode et rapport de production est le principe unificateur et générateur, mais qui est riche en ramifications, qui constitue la « modernité ». » (Löwy, 1992). Il convient, à partir de ces éléments d’analyse, de faire un détour par Karl Marx pour rendre intelligible l’aliénation fondatrice exercée par le « fétichisme de la marchandise ». Ainsi, ce qui pose en vérité problème, ce n’est pas tant l’existence d’une économie de marché, c’est le fait, d’une part, que cette économie est une économie-monde (en réalité une économie-Occident mondialisé) et, d’autre part, que les lois du marché pénètrent les sphères non économiques de la réalité. Max Weber, pour sa part, nous parle de « désenchantement du monde » (entzauberung) pour caractériser ce capitalisme. Citons un autre sociologue, le français Jean-Louis Schlegel. « En allemand, le mot est Entzauberung, et, si on le traduit littéralement, il signifierait que les objets, dans le monde moderne, sont dépouillés de toute aura magique, de tout sens merveilleux, que la nature ou le cosmos, en d’autres termes, deviennent un monde d’objets à étudier, à analyser, à classer, à calculer, à mesurer. Descartes en avait donné le principe philosophique et, à partir de Newton, la chose fut acquise : la nature est un grand mécanisme. Entzauberung : « cosmos désenflé », c’est-à-dire un cosmos qui a cessé d’être un monde symbolique, un monde vivant, avec une âme ou des milliers d’âmes, un monde d’énergies aussi. » (Schlegel, 1994)
II. La répression de l’imaginaire et l’universalité caricaturale de la modernité capitaliste
Le capitalisme est d’abord la « Méga-machine » qui affecte l’Humanité et la Terre, les plongeant dans l’infernale tourmente d’une entreprise qui fait la guerre au vivant. Le sociologue français Serge Latouche, qui a consacré un essai incisif à la Mégamachine (Latouche, 2004), nous introduit dans le cadre idéologique de ce système historique en évoquant trois de ses racines : la raison technoscientifique, la raison économique et le mythe du progrès. Ces trois composantes de la modernité capitaliste sont au cœur de la crise socio-écologique, et elles structurent les processus de la mondialisation-globalisation dans lesquels évoluent les sociétés contemporaines. Mais le discours dominant sur cette mondialisation capitaliste ne doit pas nous faire oublier ceci : la mondialisation, loin de faire émerger un « village planétaire », une « économie monde » (Fernand Braudel), une « communication monde » (Armand Mattelart), une « modernité monde » (Jean Chesneaux), est toujours fondée sur le principe de l’échange inégal dans les rapports Nord/Sud. Ce concept est fondamental si nous voulons veut rendre intelligible les crises sociales, politiques et environnementales qui traversent les communautés et les sociétés humaines. L’échange inégal suppose l’existence, non pas de deux systèmes différents (un Nord développé à côté d’un Sud sous-développé), mais d’un unique système dans lequel le développement du Nord et le sous-développement du Sud sont intimement articulés. La relation inégalitaire qui lie les deux est structurelle et systémique. En réalité, plus que de sous-développement, il faut parler de mal-développement dans le Sud, car, même si certains pays du tiers monde peuvent, dans certaines conditions, augmenter les capacités d’exploitation, de production, de consommation de leur économie, ce « développement » ne sera jamais autre chose qu’un « capitalisme dépendant ».
On ne dira jamais assez que les travaux de l’Ecole de la dépendance, à l’origine des premiers travaux, dès les années 1960, sur l’échange inégal, reste d’une grande actualité : le pillage du Sud est la règle des rapports Nord/Sud. Samir Amin, Immanuel Wallerstein, Arghiri Emmanuel, Celso Furtado, André Gunder Franck, et bien d’autres, continuent, malgré les changements importants que la scène économique et stratégique planétaire a connu, restent les références sûres d’une analyse de l’économie-monde capitaliste.
Derrière l’« économie monde », la « communication monde », la « modernité monde », il y a, fondamentalement, une « économie Occident », une « communication Occident », une « modernité Occident », qui se projettent à l’échelle planétaire. La mondialisation est un terme qui voile l’« occidentalité » des processus en cours, qu’ils soient économiques (financiarisation et dérégulation), technoscientifiques (biotechnologies ou, devrions nous dire avec Jean-Pierre Berlan, « necrotechnologies », notamment dans le monde des agricultures qui s’intensifient en chimicultures) et culturels (standardisation des imaginaires, uniformisation des identités et donc, par voie de conséquence, « repli identitaire » et fondamentalisme). La mondialisation nous semble être un nom trompeur pour l’« occidentalisation du monde » (Serge Latouche), car la pluralité des mondes, des univers socioculturels de l’humanité, n’est pas partie prenante, en tant que sujets historiques autonomes, de la mondialisation. Ces mondes sont les espaces de la projection du désenchantement capitaliste du monde.
III. Pour un universalisme pluriel et concret
Un anticapitalisme culturel, éthique et spirituel peut être un vrai creuset où des femmes, des hommes et des peuples se rencontrent. C’est là l’un des enjeux du dialogue des civilisations. Ce dialogue doit absolument échapper à la logique mercantile qui ne fait que diffuser, aux mille et un points cardinaux du monde, les mêmes gadgets et les mêmes choses inutiles (des sacs en plastiques pour les ordures aux pesticides et autres engrais chimiques, en passant par les rasoirs jetables). Le dialogue des cultures ne peut pas se faire de façon abstraite. Les civilisations ne sont pas des entités qui naviguent sur les nuages, mais des dynamiques portées par des femmes et des hommes concrets et des peuples. Il ne suffit pas d’appeler au dialogue, encore faut-il qu’il ait un contenu positif et une qualité. La sortie du capitalisme ne pourra pas se faire sans la réaffirmation de nos subjectivités, sans l’affirmation de nos consciences. Cela suppose un gigantesque travail sur soi afin de déployer les virtualités que nous possédons tous. Si le capitalisme veut généraliser la domination de la quantité, nos actes de résistance, dans le dialogue des cultures, prendront le chemin de la connaissance, de l’archéologie de nos identités, de la mobilisation de ce qui à l’intérieur de nous relève de la « qualité » (toutes les valeurs non marchandes). Sans qualité, sans profondeur, sans verticalité, sans exigence, nos rencontres se feront sous le signe du médiocre, d’un spontanéisme superficiel, d’un éloge de la fusion, sous couvert de sentiment, qui ne laisse plus de place à l’autonomie. La modernité marchande prétend que sa rationalité est le seul mode d’intelligibilité du réel. La résistance de la conscience, l’élan de vie qui traverse, malgré tout, le monde, doivent nous faire comprendre la vérité de ce mot de Novalis : La poésie est le réel absolu.
Le poète romantique allemand Novalis
C’est pourquoi l’un des enjeux les plus importants de l’anticapitalisme culturel est, précisément, la déconstruction de l’universalisme occidental-capitaliste, de cette prétention à incarner une sorte de magistère de la Loi, de la Raison, de la Science. Immanuel Wallerstein a très bien montré en quoi l’universalisme fut l’une des composantes du dispositif culturel et idéologique de la modernité capitaliste. Il écrit : « L’universalisme représente toute une épistémologie. C’est un système de croyances relatives à l’objet du savoir et aux méthodes de la connaissance. Ce système a pour fondement essentiel l’idée qu’il est possible de formuler des propositions générales permettant d’interpréter le monde de façon significative – qu’il s’agisse du monde physique ou du monde social -, que ces propositions ont une validité universelle et permanente, et que l’activité scientifique a précisément pour objet d’établir de semblables propositions générales, sous une forme excluant tout élément prétendu subjectif, c’est-à-dire historiquement déterminé (…) La croyance en l’universalisme a constitué la pierre angulaire de l’édifice idéologique sur lequel s’est appuyé le capitalisme historique (…) L’universalisme recelait un piège; en effet, il ne s’est pas imposé comme une idéologie libre et spontané, mais a été propagé par les détenteurs du pouvoir dans le système-monde capitaliste. L’universalisme était offert au monde comme un cadeau des puissants aux faibles. » (Wallerstein, 1987).
La défense, face à la mondialisation et à l’universalisme occidental, de l’Idée de civilisation, nous semble être le chemin permettant d’éviter la logique de l’apartheid planétaire. L’histoire peut nous enseigner que les naissances et les renaissances civilisationnelles sont étroitement liées à des prises de conscience de l’altérité, à des ouvertures, relatives, à l’Autre. Mais, pour que le Même ne dialogue pas avec son ombre, il faut que l’Autre soit reconnu dans son identité propre, sans désir d’exclusion, ni d’inclusion-annexion. L’accueil, par l’islam, aux temps des Omeyyades et des Abbassides, des héritages culturels, philosophiques, scientifiques de la Grèce, de la Perse ou de l’Inde, le transfert, par le biais de l’Andalousie et de la Sicile, de la culture arabo-musulmane à l’Europe au Moyen Age chrétien, ou encore l’influence décisive des spiritualités, des arts et de l’humanisme chinois sur l’ensemble de l’Asie orientale, furent des exemples de cette dialectique créatrice et féconde entre l’affirmation de soi et l’ouverture à l’Autre.
C’est dans la mesure où l’universalité que nous voulons défendre résistera et déconstruira « l’’universalisme bourgeois et occidental, qu’elle pourra fonder une perspective philosophique autre. L’Un se décline au pluriel. Nul ne peut prétendre incarner, seul et définitivement, l’absolu, la vérité, ou l’humain. Il n’y a que des figures multiples, des façons diverses de dire le vrai, des visages à chaque fois différents. Notre universalité sera plurielle, bariolée, polyvalente, multiforme, frappée du sceau de la diversité. Une pensée socio-écologique forte peut le montrer : la biodiversité n’est pas seulement écosystémique et environnementale, mais aussi culturelle, civilisationnelle.
Références
Michaël Löwy et Robert Sayre (1992). Révolte et mélancolie. Le romantisme à contre-courant de la modernité. Paris : Payot.
Jean-Louis Schlegel (1994). « Le réenchantement du monde et la quête du sens de la vie dans les nouveaux mouvements religieux », In Les spiritualités au carrefour du monde moderne, traditions, transitions, transmissions, colloque à la Sorbonne. Paris : Centurion.
Immanuel Wallerstein (1987). Le capitalisme historique. Paris : La Découverte.
*Mohammed Taleb, philosophe algérien, conférencier et formateur. Il enseigne l’écopsychologie à Lausanne et préside l’association Le singulier universel, qui se consacre au dialogue des cultures et des spiritualités.Il a travaillé sur le théologie musulmane de la lbération.
Source : http://www.lemondedesreligions.fr/sso/blogs/blog.php?id=5102