A l’occasion du neuvième anniversaire de la victoire de la Résistance dans la guerre de 33 jours qu’Israël a imposé au Liban, nous reproduisons l’interview du secrétaire général du Hezbollah libanais, Seyyed Hassan Nasrallah à la chaîne Al Jazeera le 21 juillet 2006.
Interview de Sayyed Hassan Nasrallah à la chaîne Al Jazeera du 21 juillet 2006
Traduit de l’arabe par Ahmed Manai
Les dimensions militaires de la guerre et le black-out médiatique
Ghassan Ben Jeddou :
La paix de Dieu sur vous tous. Il nous suffit de dire que nous sommes en présence de son Éminence Sayyed Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, au moment où les combats se poursuivent. Nous sommes à un moment et quelque part dans le monde et non pas au Liban comme je le disais souvent auparavant. Aussi pas besoin de préambule et je commence directement à poser mes questions à son Éminence, que je remercie d’avoir accepté cette rencontre, à ce moment précis, dix jours après le début des combats.
Que dites-vous au plan militaire et politique?
Hassan Nasrallah : Au nom de Dieu, Le Clément, Le Miséricordieux.
Au plan militaire et politique, les deux en même temps. Laissez-moi commencer…
GBJ (l’interrompant) : juste les grandes lignes sans entrer dans les détails. Je ferai avec vous…
HN : Nous allons commencer par l’aspect militaire, sur le terrain. En général et clairement, ce que nous pouvons dire à ce niveau c’est l’extrême acharnement de la résistance et puis que nous avons réussi à amortir le choc. Je crois que les Israéliens ont entrepris tout ce qu’ils pouvaient faire au cours des premiers jours, par mer et par air. Nous discuterons plus tard du volet international. Il n’y a pas une cible, ancienne ou récente, déterminée par leurs services et leurs analyses, susceptible d’être attaquée qui ne l’ait pas été. Je peux vous affirmer en ce moment, loin de toute exagération ou de guerre des nerfs, mais simplement en me basant sur les faits, que la structure de commandement du Hezbollah n’a pas été touchée. Hier soir, de nombreux avions israéliens ont attaqué violemment un immeuble dans la banlieue sud et parlé de 22 tonnes d’explosifs. Ils ont parlé d’une grande opération réussie qui a coûté la vie à de nombreux dirigeants du Hezbollah et de très nombreux combattants. Tout cela est faux et votre correspondant sur place a raconté par la suite que les secours n’ont pas eu à se déplacer parce qu’il n’y avait aucune raison à cela. Il n’y avait personne à secourir, parce que l’immeuble, étant en construction, était simplement vide.
Toute la chaîne de commandement du Hezbollah, politique, jihadiste (=militaire, NdT), exécutive et sociale est sauve. Les sionistes n’ont pas réussi jusqu ici à tuer un seul cadre ou dirigeant de quelque niveau que ce soit du Hezbollah.
GBJ : Vous parlez des dirigeants politiques ou militaires ?
HN : Tous réunis. En premier lieu, je dois vous dire ainsi qu’aux téléspectateurs, que lorsque nous perdons un chahid (martyr), nous commençons par en informer sa famille puis nous l’adoptons et nous publions un communiqué officiel. Nous ne gardons pas le mutisme sur nos chouhada (martys) jusqu’à la fin des combats. Jamais nous n’avons agi ainsi. Au contraire nous sommes fiers de nos chouhada et nous le clamons. En tout cas et Grâce à Dieu Tout Puissant, toute la structure qui dirige la bataille ainsi que la structure administrative est indemne, et notamment le commandement militaire présent sur le terrain des opérations.
Le deuxième point concerne les allégations israéliennes, prétendant avoir détruit 50% de nos capacités et de nos stocks de roquettes. Tout ça est faux et dénué de tout fondement. Je peux vous assurer, que jusqu’à maintenant ils n’ont pas réussi à détruire quoique ce soit. La preuve est que nous poursuivons la résistance et nous continuons à lancer des roquettes. Non seulement les Katiouchas traditionnelles destinées aux colonies du front, mais celles qui atteignent aussi Haïfa, Tabaria, Safad et le fin fond du pays. Nous maîtrisons même le nombre de roquettes à lancer. Par exemple, nous pouvons aujourd’hui en lancer des centaines par jour et rien ne nous empêche de le faire, malgré l’activité intense de l’aviation sioniste. Nous maîtrisons le facteur numérique parce que nous dirigeons notre bataille, ce sur quoi je vais revenir tout à l’heure.
La structure relative à nos capacités offensives en roquettes est donc toujours excellente et elle n’a pas été touchée. Nous avons la capacité de poursuivre sur ce rythme pendant encore longtemps.
Sur le terrain, nos combattants ont à peine commencé leur travail. Ces deux derniers jours ont été les premiers dans la confrontation terrestre et nos combattants des premières lignes n’ont pas eu à s’épuiser.
En résumé, sur le plan des capacités comme ailleurs, au niveau de l’encadrement, du commandement et de l’organisation, comme au niveau politique, social et médiatique, nous sommes encore très forts, ce dont nous rendons Grâce à Dieu. Le jour où nous avons fait couler le navire de guerre israélien, au large de Beyrouth, le commandement sioniste a ordonné à ses navires de s’éloigner des côtes de dizaines de kilomètres. Mais ils ont continué à annoncer le bombardement par leur marine, de telle ou telle cible dans la banlieue sud. Ce qui est strictement faux. Les unités de la marine israélienne sont très loin des côtes libanaises et ne peuvent plus bombarder quoi que ce soit. Par contre c’est l’aviation qui bombarde et là-dessus, il n’y a rien à dire, ils ont une supériorité totale.
Sur le terrain des opérations, nous avons détruit un certain nombre de chars Merkava et surtout des Merkava de la 4ème génération, les plus sophistiquées. Les Israéliens reconnaissent eux-mêmes la violence, l’acharnement et le courage de nos combattants sur les premières lignes et bien sûr nous comptons sur eux.
En gros, si on observe les choses sur le terrain, je peux dire que : primo, le Hezbollah a réussi jusqu’ici à résister, secondo qu’il a amorti le premier choc, tertio qu’il passe à la phase de l’initiative et quarto qu’il va faire les surprises qu’il a promises et que nous gardons secrètes pour l’instant. Le Hezbollah continue donc à diriger la bataille, avec sérénité, dans le calme, sans la moindre nervosité, sans exaspération ni discours démagogique, ce que vous constatez par vous-mêmes. Nous suivons les choses sur le front avec précision, en tenant compte du temps, du lieu, du nombre, des moyens, du combat et des détails. Ceci au niveau militaire.
GBJ : Pardon Éminence. Qu’est-ce qui garantit que le calme que vous évoquez n’est pas un désarroi et que le calme avec lequel vous dites diriger la bataille n’est pas un moyen de camoufler vos pertes militaires, qui seraient lourdes selon Israël ?
HN :
Les Israéliens ont établi un black -out total sur les médias, au nord et dans l’ensemble de la Palestine occupée. Personne ne peut envoyer une information ou une photo sans l’autorisation de la censure militaire, qui seule, autorise ou livre l’information. Vos confrères d’Al Jazeera ont connu des problèmes. Ils ont été arrêtés, soumis à des interrogatoires et dérangés dans leur travail. Pourquoi l’Israélien se voit obligé de cacher la vérité aux autres ? Parce qu’il accuse les médias de donner des précisions sur les impacts des bombardements ? Tout cela est puéril. Toutes les cibles israéliennes, les colonies comme les objectifs militaires, au nord, au centre et dans n’importe quel point de la Palestine occupée, nous sont connues et nous n’avons besoin de personne pour nous fournir des informations, des photos ou autres. C’est donc pour cacher la vérité sur la situation militaire qu’il le fait, de crainte que cela ne porte atteinte au moral de la population, des troupes et des médias israéliens. C’est ce qui fait peur au gouvernement Olmert.
De l’autre côté, au Liban, que vous connaissez très bien vous-même, les choses sont différentes. Les médias rapportent tout sur les attaques de l’aviation israélienne, les chouhada, la population civile, les combattants, les routes bombardées, les villages. Tout est largement ouvert et accessible. Les zones bombardées hier soir, ont été aussitôt visitées par les correspondants de la presse. Tout a été filmé, photographié. Vous savez personnellement que si on voulait cacher quelque chose, on ne pourrait pas le faire pendant plus de deux heures. Il n’y a pas de secret au Liban, c’est-à-dire que si on avait des chouhada on ne peut le cacher plus d’une heure ou deux, parce que les combattants ne viennent pas d’un autre pays, mais ils sont originaires des villages où ils combattent. Si un dirigeant du Hezbollah tombe au champ d’honneur, cela devient public au bout de quelques heures. Ainsi nous ne cachons pas nos chouhada parce qu’ils sont l’objet de notre fierté.
Au plan des structures de commandement et de leur efficacité, je peux vous assurer qu’elles sont en plein rendement. D’autre part les Israéliens ont prétendu qu’ils avaient détruit des camions transportant des armes et des munitions pour le Hezbollah, alors qu’ils nous montrent les photos puisqu’ils prennent des photos de toutes leurs cibles, des rampes de lancement de roquettes et des bases militaires. En fait ils ne bombardent que de fausses cibles, des leurres et cela prouve l’échec de leurs services de renseignements. Par exemple, ils ont bombardé deux vieilles foreuses de puits à Achrafieh en les prenant pour des rampes de lancement. Certains ont prétendu que c’était pour dresser les chrétiens contre le Hizbollah ce qui ne tient pas du tout. Le fait est qu’ils ont échoué au plan du renseignement sur terre et de l’analyse de leurs photos aériennes.
Est-ce à dire qu’aucune de nos rampes de lancement de roquettes n’a été touchée ? Non bien sûr, il y en a une ou deux. Mais le fait que l’une des armées de l’air les plus puissantes au monde, qui a la maîtrise totale des airs, avec des avions de reconnaissance en permanence dans le ciel libanais, alors que nous sommes privés de tout, échoue durant 10 jours à arrêter le lancement de nos roquettes et à réduire notre puissance de feu, voilà qui est très clair.
GBJ :Peut-on dire que les opérations terrestres ont vraiment débuté ou non ?
HN
On ne peut pas le dire avec précision. Ce qui se passe jusqu’ici, ce sont des tentatives de pénétration dans un certain nombre de points de la frontière et l’Israélien tente de réaliser un quelconque succès. Mais l’unique succès qu’il a eu jusqu’à maintenant, qui est à la portée de n’importe quelle aviation au monde et n’a point besoin de toute la puissance israélienne, c’est de détruire les ponts, l’aéroport, les usines, les immeubles et les maisons, de tuer les femmes, les enfants et les vieillards et de contraindre des dizaines de milliers de gens à l’exode. Par contre, dans leur confrontation avec les structures de la résistance, ils ont échoué lamentablement et ils le savent très bien. Ils prétendent que nous nous cachons parmi les civils alors que nos combattants sont sur le terrain, aux premières lignes. Ils sont sur les collines, dans les ravins, entre les arbres et en tout cas dans un très large secteur sur la frontière. Mais l’ennemi cherche un succès et il présente son bombardement de la banlieue sud d’aujourd’hui comme tel. J’ai suivi leurs racontars de ces derniers jours sur le bombardement et la destruction de grandes casernes et de camps retranchés sur toute la longueur de la frontière. J’ai discuté avec nos frères de la manière d’y répondre pour démentir tout cela. Il y a eu deux points de vue, l’un qui disait qu’il fallait les laisser dans leurs divagations et qu’il ne fallait pas sortir de démenti à ce sujet. Les pauvres ont besoin de quelque chose pour rehausser le moral de leur peuple. L’autre point de vue disait qu’il faudrait démentir tout cela parce qu’il y va aussi du moral de notre peuple et qu’il faudrait que les nôtres sachent exactement où se trouvent toutes ces cibles fictives. En fait, ce dont ils parlent, les camps, les citadelles et les casernes consistent en quelques points d’observation, c’est-à-dire des poteaux munis de caméras, avec à leur pied une niche pour le combattant de garde.. Ce sont les positions avancées qu’ils prétendent avoir détruit ou occupé alors que nous les avons évacuées dès le premier jour, c’est-à-dire lors de la capture des deux soldats. L’ennemi israélien a des problèmes avec ses renseignements. Ses agents sur le terrain sont tous arrêtés, en fuite ou incapables d’agir. Il a aussi des problèmes avec ses renseignements obtenus par les airs. Aussi, il est contraint à quelques actions de commandos, soit pour collecter des renseignements, capturer des combattants ou en tuer quelques-uns pour pouvoir se targuer de ces hauts faits d’armes. On le comprend aisément puisque même sa marine, qui a subi des pertes, ne peut plus bombarder. Revenons à ce qui se passe sur le terrain. Je dois vous affirmer que jusqu’à présent tout se passe encore sur la frontière. Nous avons réussi à briser toutes les tentatives de pénétration de l’ennemi. Nous avons détruit de nombreux chars et blindés ennemis et tué et blessé nombre de soldats, ce que l’ennemi reconnaît lui-même. Il aurait fallu que nous publiions des images, mais cela est difficile pour l’instant. Nous leur promettons en tout cas davantage d’acharnement dans la résistance sur la frontière, nous sommes depuis le premier jour, prêts à tout ce qu’ils peuvent entreprendre ou essayer, mais je ne veux pas verser dans ce discours propagandiste parce que nous sommes dans une bataille sérieuse. Je n’ai jamais dit que les Israéliens ne pourront jamais entrer dans une position quelconque au sud Liban, nous ne sommes pas une armée classique, présente de la mer au Mont Ecchikh (Hébron), nous sommes un mouvement de résistance populaire sérieux, présent sur de nombreux points et axes. Pour qu’on ne dise pas un jour que le Hezbollah s’est engagé à interdire telle ou telle position à l’ennemi, je dois vous dire qu’il peut en effet pénétrer dans un village ou entreprendre une opération à tout moment, mais jamais il ne pourra réaliser une victoire décisive et historique. Pour nous, notre règle est que si l’ennemi rentre quelque part, il doit payer un prix cher en officiers, en hommes et en chars. C’est là notre engagement. Il en sera ainsi si Dieu le veut.
GBJ : Pensez-vous que les combats vont durer longtemps ? Jusqu’à quand ? Est-ce que vous vous préparez à une guerre d’usure comme l’a prévu un général de l’intérieur ?
HN : À ce niveau et si je dois répondre à votre question, je dois revenir un peu aux objectifs assignés par l’ennemi à cette guerre. Aux premières heures nous avons pensé que c’était une réaction, somme toute normale, à la capture des deux soldats. Puis, on s’est aperçu que cela allait au-delà d’une réaction puisque les chefs politiques et militaires de l’ennemi, ainsi que ses médias ont défini un certain nombre d’objectifs et ils l’ont plafonnée à l’anéantissement total du Hezbollah. Anéantissement total du Hezbollah et non pas de ses structures militaires ou de ses roquettes.
Puis les choses ont été revues à la baisse, à raison d’un palier par jour. On ne parle plus de l’anéantissement du Hezbollah, ni même du démantèlement de ses roquettes, mais on veut lui faire mal, l’affaiblir, puis l’éloigner de 10 à 20 km de la frontière. Ce qui par ailleurs ne gêne guère le lancement de nos roquettes, puisque nous avons la capacité de frapper Haïfa, Afoula et des localités plus lointaines.
Plus tard on a prétendu que l’objectif de cette guerre était de libérer les deux soldats capturés, ce qui n’est pas vrai du tout. En tout cas, il y a des objectifs et des slogans, ce qui veut dire que nous sommes en présence d’une guerre qui peut durer encore. Je ne sais pas, 2, 3 ou 4 semaines, cela dépend des développements politiques et des opérations sur le terrain…
GBJ : Pardon, est-ce que cela dépendra de vous ou d’Israël ?
HN :
Cela dépendra des deux, c’est-à-dire de l’issue de la bataille. Aujourd’hui en Israël estime que l’opération israélienne a atteint son summum. C’est une analyse correcte, parce qu’Israël ne peut rien de plus que ce qu’elle a déjà fait. Il y a bien sûr l’attaque terrestre, mais celle-ci pose problème et suscite beaucoup de polémique, aussi bien parmi les politiques que les militaires et les services de sécurité parce qu’elle risque de leur être coûteuse en vies humaines. Israël est devant une alternative : ou bien elle continue sur sa lancée, c’est-à-dire maintenir son agression au niveau actuel, mais jusqu’à quand ? Ou bien elle commence à baisser d’intensité et là s’ouvre la voie à une solution politique. Combien cela va demander de temps ? Tout dépendra des développements sur le terrain. Aujourd’hui tout le nord d’Israël, pardon de la Palestine occupée est paralysé. Il y a deux millions d’Israéliens qui sont terrés dans les abris ou ont quitté leurs domiciles. L’économie du nord, les usines, les sites touristiques et le commerce, sont donc totalement paralysés. Le nombre de morts et de blessés chez eux est sûrement moins important que le nôtre. Eux disposent d’abris et les nôtres n’en ont pas. Il n’y a pas un seul village chez nous qui ait un abri. De nombreux habitants du sud sont encore chez eux et s’ils avaient des abris, ils n’auraient jamais quitté la région. Puis les Israéliens ont un important arsenal de destruction massive, alors que le nôtre est modeste et défensif. Il n’est pas destiné comme le leur à assouvir la hargne et la vengeance. En tout cas toute activité humaine est gelée dans le nord, alors qu’ils leur ont promis une opération éclair, quelques jours au plus. Et depuis, ils annoncent de grandes victoires, ma mort et celles des dirigeants du Hezbollah tous les jours. Moi, c’est la quatrième fois que leurs médias annoncent ma mort. Jusqu’à quand cela peut-il continuer ? Peut-être que la société israélienne est encore solidaire de son gouvernement, mais jusqu’à quand ? Nous avons connu cela chez nous en 1993 et 1996 lors de précédentes guerres et nous savons que la solidarité finit par s’effilocher.
Alors maintenant si l’intensité de la guerre ne s’estompe pas et qu’elle prenne un tour ascendant et ils n’ont d’autre choix que d’entreprendre une invasion terrestre. Mais cela sera une véritable catastrophe pour l’armée israélienne, je peux vous le garantir. Ce n’est pas une menace en l’air, ce n’est pas mon genre, vous vous en êtes rendus compte déjà.
GBJ : Pardon, vous avez répété plusieurs fois le mot catastrophe…
HN :
Depuis le premier jour, j’ai dit dans mes déclarations précédentes et dans nos réunions, que je ne pouvais rien contre l’aviation, je n’ai pas des F16 à leur opposer. Même pour les roquettes utilisées contre leur marine, je n’ai rien dit. C’était la surprise. Mais sur terre, nous avons une expérience vieille de 23 ans, une expérience sérieuse et réelle, une combativité reconnue, des réserves importantes et de grandes capacités d’armement. Alors, c’est une question de temps et puis je ne pense pas que les Israéliens s’estimeraient capables de remporter une victoire. Nous avons une situation politique assez solide dans le pays ainsi qu’une résistance populaire réelle et c’est ce que les Israéliens attendent de voir s’atténuer. Ils attendent que la solidarité populaire avec la résistance s’affaiblisse pour qu’ils réalisent une victoire politique. Notre pari à nous c’est justement de nous fonder sur notre résistance et sur la solidarité de notre peuple avec nous. Nous comptons aussi sur une baisse du soutien populaire israélien au gouvernement de l’ennemi et à sa guerre et il semble que cela commence à avoir des effets. C’est un commencement.
GBJ:Les dimensions politiques de la guerre et l’aspect populaire de la résistance
Nous allons entamer les aspects politiques mais je dois vous dire que c’est très important, ce que vous avez dit sur la résistance et le soutien populaires. Éminence, vous n’ignorez pas que la résistance trouve un soutien populaire réel dans ses régions traditionnelles, mais la population de ces régions a été durement atteinte et beaucoup de gens ont pris le chemin de l’exode. Avez-vous encore confiance dans ce soutien populaire ? Ne croyez-vous pas, que même au cas où vous remportez une victoire militaire, vous risquez de perdre le soutien populaire, même à l’intérieur de votre confession et non pas uniquement dans les autres confessions ?
HN
Avant de vous rencontrer, les frères m’ont informé que certaines ambassades occidentales avaient envoyé des équipes de leurs agents auprès des gens déplacés pour les sonder. Ces agents posent des questions sur l’origine confessionnelle et ils sont sûrement très intéressés de connaître surtout les réactions de chiites (selon les normes en vigueur aujourd’hui au Liban), convaincus que si le soutien de ces derniers au Hezbollah venait à faillir, il en serait sûrement de même pour celui des autres confessions. Ces équipes de sondeurs ont été surprises par le soutien total de ces populations à la résistance et de leur disposition à continuer dans cette voie. Elles ont écouté de nombreuses femmes qui les avaient assuré qu’elles étaient prêtes à donner leurs fils à la résistance et qu’elles mêmes étaient prêtes à s’y engager et qu’en tout cas elles acceptaient tous les sacrifices pour que la résistance continue et remporte la victoire.
N’importe qui peut aller à la rencontre de ces gens et leur poser des questions. En tout cas, nous sommes au contact de ces gens, ce sont nos familles et les nôtres, que ce soit dans les villages et les villes qui continuent à combattre ou bien les déplacés. Nos informations à ce niveau sont très claires et je crois que les ambassades étrangères n’ont pas tardé à transmettre la même chose aux Israéliens et aux centres de décision dans le monde. Tout cela va influer sur le déroulement de la bataille.
Pour ma part je remercie tous ces gens qui vont aider, par leurs déclarations et par leurs prises de position, à abréger la durée de la guerre. Si par contre leurs déclarations étaient négatives, exprimaient la tiédeur ou le désarroi, le signal aurait été donné aux Israéliens qu’il leur fallait continuer dans leur voie parce qu’il ne leur restait que peu de temps pour atteindre leurs objectifs. Avec leur ténacité et leur patience, ils auront découragé l’ennemi. Je ne parle pas ici des chiites seulement mais de l’ensemble des Libanais, de ce valeureux peuple libanais, de ce grand et digne peuple et croyez-moi ce n’est pas là ……. Vous pouvez aller n’importe où, dans toutes les régions du Liban où il y a des sunnites, des chrétiens et des druzes et vous verrez comment les déplacés y ont été accueillis.
GBJ : Mais il semble qu’il y deux choses différentes. Il y a la manière dont ces déplacés ont été accueillis et la position vis-à-vis du Hezbollah et de la résistance. Il se dit que les autres confessions, les autres protagonistes ne sont pas du tout d’accord avec la position du Hezbollah et sur sa gestion de l’affaire et considèrent qu’il a engagé le Liban dans cette bataille ?
HN :
Je ne parle pas de certaines forces politiques mais des gens, ceux qui sont d’habitude dans la difficulté, les gens simples qui se comportent dignement, avec honneur et patriotisme, surtout qu’il y actuellement un climat politique sain. Maintenant ce qui est fait est fait et le temps de rendre des comptes viendra sûrement. Le climat politique est dans l’ensemble sain avec quelques réserves, mais l’essentiel est de demeurer unis pour être forts dans les négociations. Les gens se comportent instinctivement avec dignité. Le soutien populaire de la résistance n’est pas marginal au plan national et la résistance n’a pas le sentiment que la solidarité autour d’elle a faibli. Bien plus, je peux vous assurer que le soutien à la résistance est plus fort et plus déterminé que jamais.
Quand nous irons aux négociations, parce qu’il y aura des négociations et des discussions politiques, le plus important est que la direction du Hezbollah soit convaincue qu’elle jouit du soutien populaire, que ce dernier l’empêche de faire des concessions jugées humiliantes et qu’au contraire, il l’engage à avoir des positions honorables, en rapport avec les sacrifices et la résistance des gens. C’est là-dessus que nous comptons le plus.
GBJ : Dans tous les cas, Éminence, il y a des gens qui disent que le Hezbollah est peut-être fort sur le terrain, au plan militaire, comme vous venez de l’affirmer, mais qu’il paraît isolé et pourchassé au plan international et gêné au plan national. Même vos alliés, vos anciens alliés surtout, ceux avec lesquels vous aviez des pourparlers politiques en tant que force politique, ne cachent pas leur gêne. Il est vrai qu’ils disent qu’il y aura un temps pour les comptes et les bilans, mais aussi, que le Hezbollah a pris le pays en otage, qu’il l’a engagé dans cette aventure, seul, sans consulter personne, que le gouvernement n’était pas au courant et qu’il ne peut assumer la responsabilité d’un acte auquel il est étranger ?
HN :
D’accord, mais je voudrais en finir avant avec cet aspect des choses, avant d’entamer le volet politique. Je voudrais m’adresser à la famille qui a été touchée à Nazareth pour lui présenter mes excuses, en mon nom et au nom de mes frères. En fait les excuses ne suffisent pas. Je dois assumer toute la responsabilité de ce qu’il lui est arrivé et lui dire que ce n’était pas prémédité. Nous considérons les gens qui sont morts à Nazareth comme des martyrs de la Palestine, du Liban, de la Oumma et de la résistance. Nous sommes dans une confrontation difficile et violente et il arrive que ce genre de méprise se produise. J’adresse à la famille mes excuses et mes condoléances et j’espère qu’elle les acceptera.
J’entame l’aspect politique. A ce niveau, je dois dire que jamais la communauté internationale n’a été avec nous pour prétendre que c’est seulement aujourd’hui qu’elle ne l’est pas. La communauté internationale nous encercle, nous abandonne et nous marginalise mais elle n’a jamais été avec nous. Elle nous a été au contraire toujours hostile. Nous sommes, par exemple, fichés sur la liste des terroristes. Certains pays européens nous considèrent aussi comme des terroristes. La position de la communauté internationale est claire et nous n’en sommes pas surpris. Nous n’avons jamais parié sur une communauté internationale dont aucune de ses résolutions, pas même la 425, n’est appliquée par Israël C’est nous qui le lui avons imposé. Aucune des résolutions internationales relatives à la Palestine et aux territoires arabes occupés, n’a été appliquée. Donc la position de cette communauté et ses pressions nous sont indifférentes. Il en est autrement de certains régimes arabes. Il est vrai qu’auparavant, certains régimes arabes avaient abandonné la résistance et les résistants. Aujourd’hui nous acceptons de ces régimes qu’ils adoptent une position neutre. Je sui très réaliste et objectif et nous acceptons leur position de neutralité. La position des frères palestiniens, dénonçant et accusant les régimes arabes est un peu différente, parce que leur situation est beaucoup plus difficile que la nôtre, mais nous, nous avons toujours évité cela. Vous pouvez vous en rendre compte en analysant notre discours et notre littérature. Nous estimons que nous n’avons pas besoin de ça, parce que dénoncer des régimes inexistants ou absents, est une perte de temps. Pendant longtemps nous demandions à la communauté internationale de condamner le tortionnaire et d’avoir de la compassion pour la victime. Aujourd’hui nous nous contentons de demander la condamnation de l’un et l’autre en même temps. Alors dans la situation actuelle nous nous attendons à ce qu’il y ait une résolution nous condamnant en même temps que l’agresseur. Pour ce qui est des régimes arabes, nous estimons qu’ils ne resteront pas neutres, mais s’ils optaient pour la neutralité, qu’ils nous traitent comme ils traitent Israël et jugent de la même manière le tortionnaire et sa victime. Mais qu’ils couvrent les crimes du tortionnaire et se délectent du sang de la victime, cela est surprenant, vraiment surprenant.
GBJ :Pourquoi surprenant, alors qu’il y a quelques jours…
HN :
Non rien, cela veut dire…
GBJ: Mais il s’agit là de pays importants, Éminence, ce sont des pays qui peuvent peser sur la décision de la Ligue arabe et influencer d’autres pays arabes.
HN :
Actuellement nous sommes en état de guerre. Il y a beaucoup de discussions internes au Liban ainsi que dans le monde arabe. Essayons de les renvoyer à plus tard et il y aura un temps pour les bilans. Mais je dois dire, en fait répéter ce que d’autres ont dit avant moi, que, sans la couverture internationale et arabe, la réaction israélienne à la capture des deux soldats serait dure mais limitée. Israël n’a pas eu le feu vert des USA, monsieur GBJ, mais elle a reçu l’ordre des USA pour en finir avec ce problème au Liban. Nous dirons ce que nous avons à dire à ce propos en temps opportun. La communauté internationale a donné le feu vert à Israël pour accomplir la destruction de la résistance au Liban, certains régimes arabes ont assuré la couverture pour la poursuite de la guerre, estimant sans doute que c’est là l’occasion historique pour en finir avec toute résistance au Liban. En fait ils veulent détruire non pas la résistance du Hezbollah mais toute forme de résistance, toute volonté de résistance, du Hezbollah ou autre. Ils veulent arriver à une situation où tout ce qui a trait à la résistance, tout ce qui a un rapport avec la volonté, la détermination, la libération, la confrontation, les chouhada, le Jihad, la liberté, la dignité, l’honneur, soit banni du dictionnaire des Libanais, de la presse, du discours politique, des sentiments populaires. C’est ce que fait actuellement Israël et c’est ce que veulent les Usaméricains pour remodeler la région à leur guise. C’est la vérité et je le dirai plus tard à l’heure des comptes et des bilans. Tous le disent et je le redis moi aussi : s’il n’y avait certaines positions de certains pays arabes, la guerre n’aurait pas duré tant et elle se serait terminée au bout de quelques heures. En tout cas chacun dira ce qu’il a sur le cœur à l’heure des comptes et moi je dis que je n’attends rien des régimes arabes. Je connais le sentiment de l’Oumma et des peuples qui la constituent et, si vous pénétrez dans les cœurs des Arabes et des Musulmans, vous verrez qu’ils sont avec nous. Les gens se mettent devant leurs télévisions, pleurent devant les massacres et les horreurs mais, dès qu’ils apprennent le moindre événement réconfortant, ils se dressent debout pour acclamer et crier leur joie. Je n’ai pas de doute sur les sentiments profonds des gens et je suis même certain que des filles, des fils et des épouses de certains dirigeants arabes, sont avec nous. Je dis aux dirigeants arabes : nous ne voulons pas de vos épées, ni même de vos cœurs et de votre compassion, mais simplement, de grâce, laissez-nous ! Restez neutres, en dehors de tout. Que vous parliez ou non, que vous ayez des sentiments ou non, restez à l’écart, bien tranquilles et que Dieu vous donne du plaisir. Aujourd’hui, il y a une guerre qui a été imposée au Liban avec pour objectif de liquider tout ce qui a trait au résistant et à la résistance, qui veut corriger le Liban pour avoir flanqué une défaite à Israël. En fait la guerre menée contre le Liban vise à liquider la question palestinienne. Tout le monde sait que l’Intifada déclenchée en Palestine, l’a été après la victoire réalisée au Liban et tout ce qui se passe en Palestine est une copie améliorée de ce qui se passe au Liban. Si aujourd’hui on écrase le modèle libanais, qu’allons-nous dire aux Palestiniens : qu’ils se résignent et désespèrent !
Aujourd’hui on assiste à toutes ces horreurs au Liban et personne ne bouge le petit doigt dans le monde arabe et dans la communauté internationale. Il se passe la même chose en Palestine depuis longtemps et croyez-vous que les gens vont réagir s’il se passera demain de plus terrible encore à Gaza ? Aussi, nous estimons qu’une défaite du Liban consacrera la fin de toute forme de résistance dans la région, la liquidation définitive de la question palestinienne et l’instauration de la pax israélienne, comme nous avons entendu dire A’mr Moussa récemment « qu’il n’y a plus de processus de paix, avec un intermédiaire honnête », alors que cet intermédiaire n’a jamais été honnête depuis le premier jour. Aujourd’hui le processus de paix est confié à Olmert. Auparavant Georges Bush disait aux Arabes et aux Palestiniens d’accepter toutes les miettes que leur proposait Sharon. Et maintenant au Liban, il se passe la même chose. C’est ce qui se passe donc et tout le but de l’opération contre le Liban, n’est pas une réaction à l’affaire des deux soldats capturés, mais au-delà. Mais soyez sûrs qu’ils échoueront.
Je reviens à votre question, celle que se posent beaucoup de gens : pourquoi je n’avais pas prévenu le gouvernement de l’opération de capture des deux soldats. Le communiqué du gouvernement, auquel nous étions partie prenante et qui a adopté la résistance et son droit légitime à libérer la terre et les prisonniers, n’a pas prévu comment agir dans les faits. Pour ce faire, la résistance ne va pas s’adresser à Georges Bush. Je ne m’adresserais pas à lui pour libérer les prisonniers et je ne m’adresserais pas à lui du tout. Mais quand on reconnaît le droit de libérer les prisonniers, cela ne s’adresse pas au ministère des Affaires étrangères mais à la résistance, une résistance qui porte des armes et qui va agir en fonction de ses moyens. C’est le communiqué du gouvernement sur la base duquel ce dernier a eu la confiance du parlement. Certains disent que Sayyed a dit ceci ou cela à la table des discussions. Il y a des enregistrements de tout cela et on peut y revenir. Je leur ai dit à la table des discussions que nous nous engageons à garantir le calme sur les frontières et c’est notre politique. J’ai dit qu’il y a quatre points essentiels dont deux peuvent être à la limite retardés. Il y a la libération des fermes de Chebâa. Nous sommes d’accord pour renvoyer leur libération à plus tard. C’est une petite superficie de terre et nous n’allons pas faire la guerre pour ces fermes. Il y a aussi le problème des violations quotidiennes de la souveraineté libanaise par l’aviation et la marine israéliennes. Là aussi, nous avons dit qu’on va continuer à les dénoncer et qu’on ne va pas provoquer un malheur pour cela. Mais j’ai dit aussi qu’il y a deux problèmes qui ne souffrent aucun retard : le premier est celui des prisonniers parce qu’il s’agit de tragédies humaines et le second celui des attaques contre les civils. Je leur ai dit à plusieurs occasions que le problème des prisonniers est très sérieux, que nous sommes très sérieux et qu’il n’y a pas d’autre solution pour résoudre ce problème qu’en capturant des soldats israéliens. Je ne l’ai pas dit violemment à la table que je vais capturer des soldats au mois de juillet, mais avec beaucoup de douceur.
GBJ :Pardon, mais vous leur avez dit clairement que vous alliez capturer des soldats israéliens ?
HN :
Je leur disais qu’il nous faut régler le problème des prisonniers et que cela ne pouvait se faire qu’en capturant des soldats.
GBJ : clairement ?
HN : Clairement et personne ne m’a dit qu’il était interdit de capturer des soldats ou même des gardiens. Je l’ai dit au cours de rencontres avec de nombreux dirigeants politiques de premier ordre, je ne citerai pas de noms et je le ferais au moment opportun. On m’a demandé si cela permettrait de résoudre le problème des prisonniers et j’ai dit oui et que c’était logique. Je crois que nous n’avions pas tort parce qu’aucun pays, à travers l’histoire du monde n’a déclaré la guerre pour la capture de deux soldats ou la prise de deux otages. Même Israël ne l’a jamais fait et je le répète, ce qui se passe aujourd’hui n’est pas une réaction à la capture des deux soldats. Je peux vous assurer que même si nous n’avions pas capturé ces deux soldats, Israël nous aurait attaqué quand même, peut être pas au mois de juillet ou août mais dans un délai très court et en inventant n’importe quoi pour justifier son action. La raison à cela est que le problème du désarmement de la résistance ne trouvait de solution ni à l’intérieur du Liban, dans nos pourparlers avec les autres forces politiques, ni au plan régional, ce que savaient pertinemment les Usaméricains. Leur réaction était donc celle-ci : Libanais, écartez-vous et laissez Israël faire ce qu’il faut pour détruire le Hezbollah et le désarmer. Et c’est ainsi qu’ils ont assuré la couverture internationale et arabe. Le problème n’est pas plus compliqué que cela.
Encore un mot sur ce problème : quand on veut capturer des soldats, la direction politique me transmet sa décision et son application m’incombe, en dehors de tous. Rien ne doit percer, ni le moment, ni le lieu, parce que s’il y a 60 ou 70 personnes qui le savent, le projet n’a aucune chance de réussir. Comment dans ces conditions en informer un gouvernement où il y a 24 ministres, 3 présidents, des forces politiques diverses et des coalitions multiples ? Nous discutons de tout à la table des négociations et, une heure plus tard, les procès-verbaux se retrouvent dans les ambassades. Vous voulez que je crie au monde que je vais fais faire une opération pour capturer des soldats ? Ce n’est pas logique !
Les chefs d’accusation et la conception de la victoire chez le Hezbollah
GBJ : D’après ce que vous dites, vous attribuez la responsabilité à l’adversaire et vous l’accusez d’avoir préparé cette opération. Peut-être a-t-il trouvé simplement une excuse dans la capture des soldats. Mais d’autres soutiennent le contraire. Il y a eu des communiqués très clairs à ce niveau, comme celui du mouvement du 14 mars, qui disent que ce qui s’est passé fait partie d’un scénario syro-iranien. De cette façon vous faites revenir le pays à la période précédent le 14 mars, vous détruisez le projet nucléaire iranien, objet d’une lutte avec les USA, et sur ce point précis la Syrie veut rétablir son influence au Liban. Vous renversez la table de cette façon ?
HN :
C’est très intéressant d’en parler. C’est une symphonie qu’on joue souvent au Liban. Quoique l’on fasse, c’est l’Iran et la Syrie. Il est vrai que je n’ai pas informé le gouvernement libanais, mais je n’ai informé aucun de nos alliés. Ni la Syrie, ni l’Iran et aucun Syrien ou Iranien n’a été informé. Ils h’ont pas été informés et je n’ai demandé conseil à personne. Nous sommes une résistance présente sur le terrain et sur une terre libanaise et nous avons des prisonniers dans les prisons israéliennes. Il est de notre droit naturel de les récupérer. Il y a une longue déclaration ministérielle qui confirme ce droit et nous avons agi en conséquence, c’est tout. Maintenant les analystes viennent nous dire que c’est la Syrie ou l’Iran qui nous ont incités à le faire. C’est tout simplement stupide et malsain.
Et pourquoi la Syrie nous aurait demandé de faire ceci ou cela ? Selon les analyses de certains politiques de la place, ce serait pour retarder ou même annuler le tribunal international. C’est vraiment mesquin. Admettons que la communauté internationale soit préoccupée par la guerre du Liban. Elle va l’être pendant une semaine ou deux et même deux ou trois mois, mais ce n’est pas cette guerre qui va mettre fin au processus conduisant au tribunal international, si vraiment cette communauté a la volonté de l’instituer.
C’est vraiment trop simpliste et c’est se moquer des gens de le faire croire une telle stupidité. Tout cela n’a d’autre but que de vider la résistance de son contenu national, moral et humaniste et de la présenter comme un parti ou un instrument syrien ou iranien, qui ignore ou tourne le dos aux intérêts libanais sinon sur le compte de ces mêmes intérêts. Là c’est le problème syrien.
Alors le problème iranien : si la guerre contre le Liban dure deux ou trois mois, vous croyez que cela va changer quelque chose au dossier nucléaire iranien ? Certains estiment que s’il y a une confrontation entre la coalition israélo-usaméricaine et l’Iran, le Hezbollah va intervenir en faveur de cette dernière et il vaudrait mieux détruire le Hezbollah dès maintenant.
Ce qui se passe aujourd’hui au Liban n’a rien à voir avec le tribunal international et j’espère qu’on abandonne ce genre d’analyse parce que c’est vraiment idiot. Ce qui se passe c’est de la légitime défense et c’est tout.
On dit aussi que nous sommes descendus dans la rue le 10 mai pour couler le tribunal international alors que nous sommes descendus pour crier notre refus d’affamer les gens, de revenir sur les droits acquis et de subir le diktat et les conditions du FMI.
Aujourd’hui nous avons capturé des prisonniers pour en finir avec le dossier des prisonniers, on nous impose une guerre et voilà que certains nous accusent de faire la guerre pour contrer le tribunal international. Tout cela n’a rien à voir ni avec la Syrie, ni avec l’Iran. Que tout le monde en soit convaincu une fois pour toutes : Le Hezbollah a toujours donné la priorité aux problèmes nationaux libanais sur toute autre considération. Je leur ai dit à la table des négociations : vous nous connaissez depuis 24 ans, est-ce qu’il y a quelqu’un qui peut me dire quelle est la bataille que le Hezbollah a menée pour une autre partie que le Liban ? Quelle est la guerre que le Hezbollah a menée et qui ne soit pas dans l’intérêt du Liban ? Donnez-moi juste un seul exemple !
Nous disposons d’une force politique considérable au plan national, certes le Liban est petit donc notre puissance est relative, mais avec cette mobilisation populaire le Hezbollah est sans conteste la plus grande force politique au Liban. Dites-moi donc, en quoi cette puissance militaire et populaire profiterait exclusivement au Hezbollah ou aux chiites, étant donné le confessionnalisme régnant au Liban ? Nous avons toujours donné la priorité à l’intérêt national. Je n’ai pas besoin de me défendre personnellement ou de défendre le Hezbollah ou la résistance à cet égard, mais je dis simplement que nous sommes engagés dans cette guerre qu’Israël nous a imposée pour humilier le Liban, le soumettre et le dominer. Qu’Israël réussit à le faire et n’importe quel gouvernement qui se constitue chez nous aura besoin de l’accord d’Olmert et du Mossad, en plus de celui des ambassades usaméricaine, française, britannique. En plus de l’accord de ce trio, il y aura celui d’Olmert pour la nomination du nouveau président de la République, pour les élections et la composition du gouvernement.
Aussi je refuse toutes les accusations proférées et qui ne visent qu’à vider la résistance de son contenu humain, moral, patriotique et jihadiste.
Je n’aime pas parler de ma personne et les gens le savent très bien, mais laissez-moi vous dire ceci pour notre défense. Tout le monde sait comment nos maisons, celles de nos cadres et de nos dirigeants ont été détruites bien avant celles des simples gens. Donnez-moi le nom d’un seul de nos frères dont la maison n’ait pas été détruite. Nous avons été les premiers à payer le prix fort. Et croyez-vous que nous avons sacrifié nos enfants, nos proches, nos frères, nos amis et donné en cadeau pour que la Syrie revienne au Liban, ou pour que l’affaire du tribunal international ou le dossier nucléaire iranien soient retardés ? Qu’est-ce que c’est que cette mascarade ? C’est une humiliation pour nous tous et pour notre patriotisme.
Il est vrai que nous sommes les amis de la Syrie et de l’Iran et que nous avons profité de leur amitié durant 24 ans dans l’intérêt du Liban. D’autres ont profité de leur amitié avec la Syrie pour conserver leurs fauteuils, leurs intérêts personnels, leurs fortunes, leurs comptes bancaires, mais pour moi personnellement, donnez-moi un compte bancaire, donnez-moi le palais que j’ai fait aménager par suite de mes relations avec la présence syrienne au Liban.
Aujourd’hui, le Hezbollah ne combat pas pour la Syrie, ni pour l’Iran mais combat dans l’intérêt du Liban et les retombées de cette bataille au Liban seront pour la Palestine. Si c’est la victoire, elle sera une victoire aussi en Palestine et si, qu’à Dieu ne Plaise, c’est une défaite, elle mettra nos frères palestiniens dans une situation dramatique…Mais il n’y aura que la victoire In Cha Allah.
GBJ : Que signifie la victoire exactement ? Et puis la défaite ? Quand vous dites que vous êtes victorieux ou que vous êtes défaits, cela veut dire quoi exactement ? Qu’est-ce que le monde considérerait comme défaite ?
HN:
Si nous réussissons à nous défendre, c’est la victoire. Comment nous avons eu la victoire en 1996 ? C’était quand l’opération militaire israélienne n’avait pas atteint ses objectifs et que le Hezbollah et la résistance lui ont survécu. Aujourd’hui, nous sommes engagés dans une guerre que l’ennemi nous a déclarée totale, pour défendre l’intérêt national. Nous n’avons pas déclaré cette guerre, nous avons juste pris deux prisonniers. Ce n’est pas du premier jour que nous avons commencé à bombarder Naharya, Haïfa, Tabaria et Safad. L’escalade de la guerre a été le fait d’Israël et nous n’avons commencé à l’étendre que très graduellement. Nous prenions notre temps en espérant que les choses s’arrêteraient à un certain niveau, parce que nous ne voulions pas conduire notre pays à la guerre. Ce sont eux qui s’y sont engagés, alors nous en avons fait autant.
Notre victoire ce n’est pas en déclarant vouloir prendre le nord de la Palestine, libérer Naharya, Haïfa et Tabarya. Ce n’est pas notre objectif ni notre devise, car c’est une action qui engage la Palestine et l’ensemble de l’Oumma. C’est donc une autre affaire.
La victoire pour nous c’est quand la résistance demeure, quand sa volonté n’est pas brisée et quand le Liban n’est pas humilié et qu’il demeure digne et conserve son honneur.
Ainsi quand le Liban reste imprenable face à la plus grande puissance de la région, résiste et n’accepte pas les conditions humiliantes du règlement du problème, c’est une victoire ! Quand on n’est pas vaincu militairement, c’est une victoire ! Tant qu’il y a une roquette qui part du Liban et vise les sionistes, tant qu’il y a un seul combattant qui tire un coup de fusil, tant qu’il y a quelqu’un qui place un engin explosif sous les pieds de l’ennemi, cela veut dire que la Résistance continue et qu’elle existe, et c’est une victoire !
Aujourd’hui nous sommes au 8ème ou 9ème jour, ils ne sont pas d’accord sur le premier…
GBJ : C’est le 9ème ou le 10ème jour..
H.N : Nous estimons aujourd’hui avoir réalisé une victoire partielle. Le fait d’avoir résisté jusqu’ici est déjà une victoire. Il s’agit d’Israël, ne l’oublions pas ! Je disais toujours, à la table des négociations, qu’il ne faut pas minimiser l’ennemi. Nous ne combattons pas une milice, un parti ou l’armée d’un pays pauvre. Non ! Je sais que nous combattons une armée qui a vaincu de nombreuses armées arabes d’un seul coup. Mais nous l’avons combattue et avec l’aide de Dieu nous l’avons vaincu et aujourd’hui nous continuons à la combattre. Notre résistance actuelle est déjà en elle-même une victoire. La poursuite de la confrontation est une victoire et le fait d’avoir amorti le premier coup est aussi une victoire.
D’autre part les Israéliens ont commencé par dire le premier jour, qu’ils visaient la destruction du Hezbollah, puis quelques jours après ils abandonnèrent cet objectif et ne parlent même plus de démanteler le Hezbollah mais simplement de le désarmer. Puis ils parlent plus simplement d’affaiblir le Hezbollah et son potentiel en roquettes. Il ne s’agit même plus de la destruction de la puissance militaire, qui n’est plus un objectif. Maintenant ils se rendent compte qu’avec la force ils ne peuvent démanteler ni notre structure militaire, ni nos roquettes et parlent plus simplement d’y parvenir par la politique. Tout cela constitue une défaite pour Israël et tout échec pour Israël est une belle victoire pour nous.
Les revendications du Hezbollah et ses objectifs ultimes
GBJ : Quelles sont vos revendications en ce moment ? Vous parlez de négociations : est-ce qu’on vous demande de rendre les deux prisonniers sans conditions ? Ou bien c’est autre chose ? Nous avons appris que la ministre des Affaires étrangères israélienne a demandé à l’intermédiaire allemand de commencer à agir : dans quel but justement ? La mission de l’ONU, Solana… ?
HN
L’ONU a eu un comportement indigne avec le gouvernement libanais. Une mission de l’ONU est venue ici, a pris contact avec les responsables libanais et proposé que le Hezbollah remette les deux prisonniers au gouvernement libanais en échange d’un cessez-le feu intégral. Puis le gouvernement libanais commence les négociations pour l’échange des prisonniers pendant un délai d’un mois et à la lumière de cela on verra ce qui peut en sortir.
Notre canal officiel, pour nous, est le président Nabih Berry. Il est bien qualifié pour cela. Nous avons bien sûr des contacts avec le gouvernement dans lequel nous avons des ministres, mais c’est Nabih Berry qui est notre canal officiel. Nous sommes en permanence en contact avec lui pour tout qui touche aux négociations politiques. Nous avons aussi nos amis et nos alliés que nous consultons au moment opportun.
L’offre de l’ONU m’a été transmise, mais je ne pouvais y répondre et engager le Hezbollah tout seul. J’ai demandé donc qu’on me laisse le temps de réunir la direction du parti parce que comme vous le savez, les conditions sécuritaires sont difficiles et nous ne pouvons nous permettre de commettre la moindre erreur à ce niveau.
Il m’a été dit en tout cas que la délégation allait partir le soir même en Palestine occupée pour remettre la proposition à ses autorités. Nous avons attendu la réponse, ce qui ne veut pas dire que l’avais acceptée personnellement, puisque c’est la direction du Hezbollah qui doit en débattre et décider en dernier ressort.
Mais voila que la délégation de l’ONU a quitté la Palestine occupée parce que ses interlocuteurs ont refusé la proposition. Tout cela est donc tombé à l’eau.
En fait Solana est venu ici simplement pour communiquer les conditions israéliennes, c’est-à-dire la libération des deux prisonniers et l’application de la résolution 1559. Il a même placé la barre plus haut que les Israéliens, en tout cas plus haut que ce qu’ils demandent actuellement.
Ce sont là les informations dont je dispose sur les contacts faits jusqu’ici.
GBJ: En ce qui concerne l’intermédiaire allemand ?
HN :
Il n’y a pas de contact. Ce que j’ai appris, c’est que la ministre des Affaires étrangères de l’ennemi a demandé à l’intermédiaire allemand d’agir avec eux pour faire libérer les deux prisonniers, sans échange, c’est-à-dire avec une cerise sur le gâteau. Cela ne se fera pas évidemment. En tout cas pour décharger le Hezbollah de cette affaire des prisonniers, je déclare qu’au sujet des négociations, y compris pour les deux prisonniers, celui qui veut discuter n’a qu’à le faire avec l’État et c’est ce dernier qui nous contactera. Personnellement je ne recevrais aucun intermédiaire allemand, français, anglais, russe, chinois ou autre. Le Hezbollah est aujourd’hui dans une situation qui lui impose de s’occuper en priorité de la bataille. Alors qu’ils parlent aux responsables de l’État et nous donnerons la réponse adéquate.
GBJ : Vous maintenez alors le principe de l’échange ?
HN :
Cela sans équivoque et nous ne pouvons transiger. Davantage encore, nos martyrs civils, les déplacés qui souffrent, tous les résistants qui douteraient de la possibilité de rendre ces prisonniers sans clore le dossier, m’accuseraient de trahison et personnellement je serai convaincu d’avoir trahi. C’est donc quelque chose de tout à fait exclu.
Depuis le premier jour, j’ai dit que si l’univers entier intervient, il n’y aura de libération que dans le cadre de négociations indirectes et d’échange de prisonniers.
Que nous reste-il à craindre ? Au début nous avions craint pour l’infrastructure du pays et ils l’ont détruite. Nous avions peur pour les gens et ils les ont massacrés et poussés à l’exode. Ils ont détruit nos foyers et vous voulez qu’on leur dise : tenez vos 2 prisonniers, sans rancune, pardon ? Cela est totalement exclu.
GBJ : À propos de l’échange, il sera entre quoi et quoi ? Les 2 soldats israéliens contre des prisonniers libanais ou les prisonniers palestiniens, ou quoi ?
HN :
C’est une question ouverte que je laisse aux négociations.
GBJ : Vous êtes toujours confiant que Samir Kintar reviendra au Liban ?
HN :
Si Dieu le veut, il sera le premier sur la liste de l’échange. S’il n’y est pas, tous les prisonniers libanais et c’est le minimum, n’y seront pas non plus. Je parle d’une négociation ouverte, mais si ceux-là ne font pas partie de l’échange, que serait donc un échange ?
GBJ : Éminence, vous avez le document d’Al Horr ? Pardonnez-moi…
HN :
Non juste un instant. Moi je vous dis que l’accord national parle clairement de la libération des prisonniers et des territoires occupés et qu’une fois cela fait, on parlerait d’une stratégie de défense nationale. C’est ce que nous avons commencé à débattre.
Le Hezbollah n’a pas utilisé le Liban pour libérer la Palestine et même pas pour libérer les 7 villages libanais occupés. Il a fait juste deux prisonniers, ce qui est stipulé dans l’accord national, dans les discussions et dans la déclaration du gouvernement. Nous n’avons fait qu’une action nationale strictement libanaise et cela est bien en deçà et non au-delà de l’accord national.
Je suis les déclarations du général Aoun et des dirigeants du Courant patriotique libre et je considère que leur position est très sage, mesurée, patriotique et honorable.
De nombreuses personnalités ont la même position et je ne citerai pas de noms. J’ai cité le Courant patriotique libre parce que vous me l’avez demandé. Je dois signaler l’effort considérable accompli par ce courant dans de nombreuses régions, pour venir en aide aux déplacés. Nous avons des échos de ce qu’il a fait et c’est grandiose. Ce qui veut dire que notre entente n’a pas été remise en cause. Les choses n’en seront que plus claires par la suite.
GBJ : Sayyed, si vous êtes satisfait au plan militaire, que craignez-vous alors, l’intérieur ou l’extérieur ?
HN :
Primo : Nous ne craignons que Dieu. Secundo : soyez certain que nous ne craignons pas l’intérieur. Il est vrai qu’ils veulent jouer avec la question confessionnelle, ce qui est très grave. Un véritable danger pour la résistance mais aussi pour le projet national libanais, pour la révolution du Cèdre, pour le modèle démocratique libanais dont parle Bush et qui est plus ancien que toute la famille Bush.
Alors, il y a danger pour le pays et s’ils veulent jouer le sunnite contre le chiite, le chrétien contre le musulman, le druze contre le chiite, c’est très grave pour le pays. Mais cela ne peut marcher pour eux.
Il y a actuellement en Iraq un jeu, manipulé par les Usaméricains, entre chiites et sunnites, en rapport avec le pouvoir, la présence et les compétences et qui donne la terreur, les massacres et les assassinats et dont j’attribue la responsabilité aux Usaméricains. Je sais ce que disent ces derniers aux sunnites et aux chiites, ce qu’ils disent aux Kurdes. Mais chez nous, ils ne peuvent inciter les uns contre les autres.
Ainsi ils disent aux sunnites que les chiites du Liban sont les agents des Usaméricains. Rien que ça, et des agents d’Israël, qu’ils ont abandonné la cause palestinienne, laissant les Palestiniens se faire massacrer à Gaza et qu’ils coopèrent même avec Israël et leur livrent des informations. Il y a quelques temps, le dernier communiqué de Abou Mossâb Al Zarkaoui parle du Hezbollah comme étant de connivence avec Israël et ses garde-frontières, un traître et un comploteur. Beaucoup de gens ont douté de la réalité de la victoire de 2000 et l’ont considérée simplement comme un arrangement irano- syro-Hezbollah avec Israël. Tout a été dit, ainsi que cette idée du croissant chiite et je ne sais quel autre croissant.
Inutile de répéter que cette guerre nous a été imposée et que nous la subissons. Parmi ses conséquences les plus importantes au sujet de la question chiite-sunnite, la guerre a permis de renforcer l’unité et de protéger un peu le monde arabe et musulman contre la discorde. Elle n’a pas éliminé entièrement les risques mais renforcé la protection. Aujourd’hui, les chiites combattent Israël et c’est aussi un moyen de soutenir la Palestine dans sa lutte contre Israël, soutenu, couvert et armé par les Usaméricains.
Et je crois que si Olmert en arrive au point de dire aux Usaméricains : « Je ne peux pas continuer », Bush lui dira : « Non, tu dois continuer et si tu as un problème, je le réglerai. » C’est ce que j’ai voulu dire en déclarant que cette bataille est celle de toute l’Oumma. Je t’ai vu d’ailleurs commenter cette déclaration. Que les choses soient claires : je ne suis pas mandaté pour combattre au nom de l’Oumma, mais l’issue de cette bataille que mène Hezbollah au Liban, positive ou négative, engagera l’Oumma toute entière. Une victoire au Liban sera celle de toute l’Oumma – comme le fut celle de l’année 2000-, et une défaite, qu’à Dieu ne plaise, serait celle de toute l’Oumma .
Alors ces tentatives d’incitation des sunnites à la haine contre les chiites au prétexte que le pays a été détruit à cause d’eux, mais n’a-t-on pas détruit aussi la banlieue sud ? Personnellement je veux le bien et la sécurité pour toutes les villes libanaises et heureusement qu’il y a de nombreuses régions qui n’ont pas été touchées et j’espère qu’elles ne le seront jamais.
Je ne suis pas là pour dire qu’une guerre nous a été imposée, que des villes et des maisons ont été détruites et d’autres pas…mais vous voyez bien que nos villages, nos quartiers, nos maisons, nos familles, nos enfants ont été les premiers à subir ces destructions. Alors, il est intolérable que l’on incite les uns contre les autres, les sunnites, les druzes ou les chrétiens contre les chiites. Mais je peux vous assurer je ne crains aucune discorde, parce que les choses se passent sur le terrain de la manière la plus sage et la plus raisonnée, malgré la gravité de la situation. Le comportement de la plupart des dirigeants politiques est aussi très sage, responsable et conscient, ce dont je les félicite parce qu’il nous faut rester unis, surtout en cette période, ce que j’ai vivement conseillé et recommandé lors de ma première conférence de presse. De toute façon, chacun de nous a quelque chose à dire et à discuter et des comptes à rendre, mais toute chose à son heure In Cha Allah.
GBJ : Que signifie pour vous que l’armée se déclare prête à combattre s’il y a une attaque terrestre et surtout quand cette déclaration est faite par le ministre de laDdéfense, le chef d’État-major de l’armée et ses officiers supérieurs qui, tous assurent que l’armée sera sur le terrain « pour mener la bataille de l’honneur » ?
HN :
Ce n’est pas nouveau pour l’armée, pour toute l’institution, le commandement et les officiers. Avant la libération, nous avons combattu ensemble et donné des martyrs. L’armée libanaise se dressera contre l’agression israélienne mais selon ses moyens, qui sont modestes, tout comme ceux de la résistance. Mais le courage et la volonté qui caractérisent la résistance seront aussi du côté de l’armée. La différence entre la résistance et l’armée est que cette dernière est une institution officielle agissant selon des méthodes classiques alors que la résistance est le fait du peuple et opère selon les méthodes de la guérilla. Je profite pour présenter mes condoléances au ministre de la Défense, au chef d’État-major, aux officiers, sous-officiers et hommes de troupe de l’armée, mais en premier lieu à son excellence le président de la République, la plus haute autorité politique de l’armée ainsi qu’au gouvernement, pour les martyrs militaires tombés au champ d’honneur. C’est ce que nous attendions en tout cas de cette institution.
GBJ : J’ai remarqué, Éminence, que vous vivez une vie normale. Je m’attendais à vous voir par exemple en tenue militaire et vous voilà tel que vous êtes d’habitude, à suivre les informations et les programmes télévisés.
HN :
En fait je vis avec mes frères cet état de guerre. C’est la première fois depuis le début de la guerre que je donne une interview directe à la télévision. La première fois, étant donné les conditions exceptionnelles, j’avais enregistré un discours qui a été repris d’une caméra à l’autre, si bien que mes traits étaient un peu altérés. Les médias israéliens y sont allés de leurs commentaires : voilà qu’il a la barbe longue, la lumière trop forte et je ne sais quoi d’autre, comme si j’étais en promenade. Quand j’ai décidé de vous accorder cette interview, j’ai arrangé un peu ma barbe pour qu’ils ne disent pas qu’elle est trop longue. Maintenant ils vont dire que je suis dans le confort alors que les gens connaissent les conditions désastreuses que vous connaissez. Mais n’exagérons rien et prenons les choses le plus normalement du monde. De toute façon ils auront toujours quelque chose à dire : si je ne souris pas, ils vont dire que je suis terrorisé, alors que je ne le suis pas, et si je souris, ils diront qu’alors que le peuple se fait massacrer et que les enfants, les femmes et les vieillards sont poussés à l’exode, et voilà qu’il sourit sans leur accorder le moindre intérêt. Dans la guerre psychologique tout passe. Par exemple j’éprouve de la peine à toute cette destruction de mon pays, mais j’éprouve plus de peine pour les gens. Je m’étonne que l’on pleure pour un pont, une construction détruite…mais tout cela peut être reconstruit In Cha Allah et la décision de le faire est inébranlable.
GBJ : La décision inébranlable de qui ? De vous-même ?
HN :
L’État et le Hezbollah et je vous dis que lorsque nous intervenons dans la décision de reconstruction, nous allons apporter des montants considérables. Cela va inciter les Usaméricains et l’Occident à participer et cela va drainer l’argent entassé dans les pays du Golfe. Ils vont se dire que s’ils laissaient le Hezbollah s’occuper seul de la reconstruction, il va prendre le pays. Nous sommes aussi la cause de certains bienfaits ! Par contre, si nous délaissons la reconstruction, il y aura de l’argent conditionné politiquement. Notre intervention dans la reconstruction va ramener de l’argent, même sans conditions politiques.
C’est une guerre et nous avons de grandes pertes humaines, l’exode d’un demi-million de personnes, mais en face aussi ils ont un million de déplacés et un autre million dans les refuges et une économie complètement en panne. L’économie libanaise aussi est en panne, mais lorsque nous avons frappé Haïfa, la bourse israélienne a chuté. Ils parlent d’une perte de 100.millions de $ par jour. Ils ont des pertes humaines, des pertes économiques et c’est ce qui compte le plus pour les Israéliens.
En définitive, nous souffrons et eux aussi souffrent et nous allons continuer cette confrontation jusqu’à la victoire, telle que nous la concevons. Pour revenir à notre état d’esprit, je vis avec mes frères de la direction du Hezbollah, ni une vie normale ni anormale, c’est la vie qu’exigent les conditions de la guerre. Personne n’osera croire que nous avons peur, que nous sommes terrorisés ou que nous sommes soucieux pour notre vie. Cela fait 23 ans que nous contactons les gens, que nous sommes à leurs côtés et que nous leur parlons de la chahada, du sacrifice et de l’honneur du sacrifice, de la place des martyrs et ces sionistes et leurs mentors vont croire que nous avons peur du sacrifice. Nous admirons tous la chahada et chacun de nous, au plan personnel la souhaite. Mais si nous prenons des précautions c’est pour ne pas donner à Israël l’occasion de réaliser un fait d’armes
GBJ : Un dernier mot ?
HN :
Je voudrais tout d’abord remercier tous ceux qui ont exprimé leur solidarité avec nous, qui nous ont soutenus et nous ont apporté leur aide. Que Dieu les bénisse et si Dieu nous accorde la victoire que nous attendons, nous n’oublierons pas ceux qui sont demeurés à nos côtés, avec honneur et dignité et nous leur exprimons une indéfectible reconnaissance, parce qu’il s’agit d’une bataille décisive. Ceux par contre qui nous fait mal, nous ont porté préjudice et ont comploté contre nous à des degrés divers, nous verrons le moment venu, si nous pardonnons ou non.
Pour nous actuellement, la priorité est de sortir victorieux de cette bataille, qui est une bataille de la dignité du Liban, de son honneur, de son indépendance véritable. Si tel sera le cas, nous disons au monde, nous les Libanais, que nous sommes maintenant maîtres de nos décisions et que vous ne pouvez plus, vous et les ambassades étrangères, intervenir dans nos affaires intérieures. C’est une bataille pour l’indépendance réelle du Liban et c’est pour cela que nous allons résister.
Je remercie tous ceux qui nous ont soutenus mais je ne demande rien aux gens, aux gouvernements, aux peuples, telle est notre culture. Que chacun seulement assume ses responsabilités et, hier comme aujourd’hui et demain, je demanderai à Dieu Tout-Puissant de nous soutenir, de nous donner la volonté, la quiétude, la foi, l’espoir et la victoire. Enfin l’avenir est devant nous et nous verrons comment se passent les choses.
GBJ :Je vous remercie, Éminence pour cette rencontre. Merci aux téléspectateurs pour nous avoir osuivis et à bientôt In Cha Allah.
Original : Al Jazeera
Traduit de l’arabe par Ahmed Manaï