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24 novembre 2024

Quel lien entre le terrorisme qui frappe la France et sa politique étrangère ?


Quel lien entre le terrorisme qui frappe la France
et sa politique étrangère ?
par Alain Corvez

vendredi 4 décembre 2015, par Comité Valmy


Colloque de l’Académie de Géopolitique de Paris du 3 décembre 2015

Quel lien entre le terrorisme qui frappe la France
et sa politique étrangère ?

Dans la revue trimestrielle de la Fondation Charles de Gaulle, Espoir n° 166, automne 2011, consacrée à la politique arabe de la France depuis de Gaulle, l’historien Renaud Meltz écrit :
« Le fait est que Paris s’aligne sur les Etats-Unis, sous la présidence de Sarkozy, sur presque tous les dossiers, de l’Iran à la Libye en passant par le Liban, à l’exception notable d’une position encore distincte sur la question palestinienne. »

On aurait pu penser, ou espérer, que cette tendance se serait modifiée avec l’arrivée de François Hollande, mais c’est l’inverse qui s’est produit, la France devenant le premier allié de la stratégie américaine dans le monde, avant même les Britanniques de l’aveu même de diplomates étatsuniens.

Ceci est dramatique car nous voyons les effets dévastateurs de la stratégie du chaos appliquée depuis des années par Washington, ses armées dévastant les pays musulmans stables, seuls capables de s’opposer au terrorisme islamiste. Celui-ci s’est désormais implanté durablement en Irak, en Syrie, en Libye et fragilise la Tunisie, l’Algérie, l’Egypte, de même que l’Afrique sahélienne et sub-saharienne.

Heureusement, récemment, le gouvernement d’Obama a imposé un accord avec l’Iran, contre les puissantes pressions des groupes menés par la finance internationale qui s’agitent à Washington. Accord que la diplomatie française a longtemps cherché à torpiller, associée en cette manœuvre à Israël et l’Arabie Séoudite. Heureusement que la fine diplomatie iranienne a accepté le revirement français qui a suivi l’accord du 14 juillet dernier. Car comment lutter contre l’islamisme sunnite sans s’appuyer sur l’Iran ?

En réalité Téhéran a toujours cherché à s’entendre avec les pays arabes sunnites en proposant des arrangements raisonnables, mais l’Arabie, champion du wahhabisme sectaire et intolérant, a toujours rejeté ses avances. La Turquie, dont la constitution est laïque mais la politique de plus en plus islamiste s’est placée en alliée de cette intransigeance et, après avoir eu un comportement douteux, voire hypocrite, a brusquement tranché en abattant un avion russe en Syrie.

Car la Russie, par son intervention militaire en Syrie en septembre a bouleversé la donne et obligé les uns et les autres a mettre bas les masques hypocrites. Ce qui lui vaut l’hostilité plus ou moins affichée des puissances qui tirent des avantages directs ou indirects des conquêtes de DAESH, notamment de la Turquie dont l’objectif obsessionnel est de renverser le gouvernement de Damas pour y installer ses alliés islamistes. D’où son attaque du SU-24 russe et, aussitôt, son appel à la solidarité de l’OTAN.

Cet acte impardonnable sera lourd de conséquences pour Ankara et sans doute pour la coalition dirigée par les EUA car le Président Poutine est sorti du langage diplomatique pour dénoncer le rôle de la Turquie depuis l’origine dans son soutien à DAESH, lors de la conférence de presse qu’il a tenue en compagnie du Président Hollande à Moscou vendredi dernier. La Russie défend en Syrie ses intérêts stratégiques, car elle est menacée directement par un retour chez elle des terroristes islamistes. Son soutien au Président Assad s’appuie sur le droit international en répétant que c’est aux Syriens de décider de leur sort et non à des puissances extérieures.

A ce sujet, pour en finir avec la désinformation largement diffusée par les médias occidentaux, il convient de savoir que des sondages d’organisations occidentales, notamment américaines, ont montré que le résultat d’un vote des Syriens, contrôlé par l’ONU ou des instances impartiales, serait en faveur de Bachar el Assad, malgré les mensonges éhontés sur l’emploi des armes chimiques ou les massacres de civils. C’est bien pourquoi ceux qui veulent son départ ne veulent pas d’un vote libre.

Alors, face à la réalité devenue évidente que pour lutter contre le terrorisme islamiste il faut s’appuyer sur l’armée syrienne en premier lieu, comme il faudra ensuite le faire avec l’armée irakienne, on manie des subterfuges ou des arguties pour dire que l’on va s’entendre avec les Russes, avec l’armée syrienne et ceux qui participent activement à la lutte comme le Hezbollah libanais et les forces spéciales iraniennes, donc qu’on va s’entendre avec le gouvernement mais pas avec Bachar !

Il y a là comme une litanie schizophrénique, car comment séparer l’état syrien qui lutte depuis près de cinq ans contre un terrorisme international, soutenu directement ou indirectement par des puissances régionales ou pas, de son chef qui a pris une ampleur incontestable pour les observateurs impartiaux et connaît aussi à l’intérieur une adhésion de la majorité de la population effrayée par la perspective d’une arrivée au pouvoir des islamistes à Damas. Contrairement aux slogans répétés par les médias, le gouvernement n’est pas une minorité d’alaouites s’accrochant au pouvoir par la terreur avec l’appui de quelques minorités notamment chrétiennes, mais un gouvernement d’union nationale majoritairement constitué de sunnites.

La France qui a commis des erreurs sur le dossier iranien et a su les corriger pour s’adapter à la nouvelle donne, peut reconnaître celles sur le dossier syrien et s’adapter à la nouvelle situation engendrée par l’initiative russe. Il semble qu’elle en prenne le chemin depuis la rencontre de Moscou en acceptant les propositions russes de collaboration avec leurs forces et celles qui agissent sur le terrain. C’est admettre implicitement qu’on s’était trompé d’ennemis, et nous n’en demanderons pas plus, à partir du moment où nous savons qu’il n’est plus question de rester dans l’ambiguïté face au terrorisme qui nous menace directement sur notre territoire, comme il menace d’autres pays européens. Il est vital que nous reprenions langue avec le gouvernement syrien pour que nos services reçoivent de leurs homologues les informations vitales pour notre sécurité, sur la préparation d’attentats en France depuis la Syrie. Les ambiguïtés terminologiques entre « rebelles modérés, rebelles sains » et rebelles terroristes finiront par s’évanouir devant la réalité du terrain. Ces « sains et modérés » ont tous partie liée avec les organisations terroristes.

Les attentats terroristes qui nous ont frappés ont tous un lien avec la Syrie. Et sur notre territoire de nombreux candidats au djihad sont potentiellement prêts à commettre des actes barbares. Je laisse le soin aux sociologues de détailler les motivations de ces populations dangereuses mais il est clair que nous n’avons pas su intégrer des populations issues de notre passé colonial qui ont développé un rejet de notre patrie. Pour ces populations en marge, les structures familiales sont souvent absentes et la seule loi reconnue est celle du clan qui dirige les trafics divers. Certains quartiers sont de véritables ghettos où la police, les pompiers ou les services administratifs ne peuvent plus entrer sans être agressés.
Beaucoup de ces populations, musulmanes ou athées, voient un moyen de se venger de ce sort injuste dans le terrorisme islamiste.

Sans doute aussi notre politique alignée sur celle des EUA, qui implique un soutien à Israël, même si notre diplomatie s’efforce de défendre la cause palestinienne, est-elle mal reçue par des pays non alignés qui appréciaient notre politique autrefois indépendante. Les populations arabes, majoritairement musulmanes sunnites, nous associent maintenant directement à la politique américaine, surtout depuis que nous avons adhéré à la coalition dirigée par les EUA. Or, pour beaucoup d’entre elles, les EUA sont toujours le grand satan.

Il est clair aussi qu’une immigration incontrôlée depuis des années, ajoutée aux récentes propositions irresponsables de l’Allemagne de laisser venir en masse des milliers de pauvres hères issus de pays dévastés par les guerres occidentales, ou de pays qui ne peuvent les nourrir, parmi lesquels se cachent des djihadistes déclarés ou potentiels, immigration favorisée par l’UE, doit inciter à revoir les accords de Schengen.

C’est d’ailleurs l’UE dans son ensemble qui est mise en accusation par ces phénomènes qu’elle est incapable de juguler et même de comprendre. On voit bien que face à la menace directe, les états nations reprennent leurs prérogatives, foin d’utopies universelles et de dividendes de la paix ! L’UE qui n’a pas pu bâtir une armée européenne si chère aux Présidents français successifs, même au prix d’un retour dans l’OTAN militaire, parce que les autres états préfèrent s’en remettre à l’Alliance pour les défendre (cela coûte moins cher à tous égards !), est incapable de lutter contre le terrorisme en Europe et ses sources internationales. Seule la France s’y consacre en Afrique, pour le bien de tous les autres. L’Allemagne vient de promettre à la France 650 de ses soldats pour le Mali, c’est bien, mais puisque nous assumons en même temps la défense de l’Europe, nous devrions renforcer notre budget de Défense en sortant des exigences du pacte de stabilité, la sécurité primant sur l’économie comme l’a dit le Président Hollande. Consacrer 6 % ( 3 % pour la Défense Nationale, 3 % pour la Gendarmerie et la Police) seulement de nos dépenses publiques pour la défense et la sécurité de la France, et par conséquent de l’Europe, est insuffisant.

En réalité, seuls les idéologues de l’UE croient encore à son existence. Sa monnaie qui, depuis sa création, détruit les économies sauf celle de l’Allemagne, est morte en Grèce, ne survivant que comme un pis-aller par des artifices pour empêcher l’éclatement du système. L’UE, incapable de répondre aux menaces concrètes autrement que par des incantations décalées, n’est que le relais sur le continent d’une politique étatsunienne antirusse qui dessert ses propres intérêts. Elle est morte sans que son acte de décès n’ait été officiellement annoncé car ses thuriféraires idéologues ne l’ont pas encore réalisé : mais les nations reprennent leurs droits face à l’adversité et des voix de plus en plus nombreuses se font entendre pour une levée des sanctions qui frappent la Russie, prônant un rapprochement urgent de notre allié naturel sur le continent. Allié qui est le seul à parler le langage de la vérité en dénonçant les hypocrisies d’un monde qui se veut encore unipolaire, alors qu’il est urgent de mettre sur pied une coalition multipolaire pour lutter contre le terrorisme qui nous menace tous, plus efficacement que la coalition dirigée par les EUA qui a vu DAESH étendre son emprise depuis qu’elle a commencé à le frapper en Irak en juillet 2014.

Détruire le terrorisme islamique sera une tâche de longue haleine mais la menace que ce cancer de l’humanité représente est si pressante qu’il faut immédiatement prendre les mesures pour l’éradiquer. En commençant par le détruire là où il se nourrit, en Syrie et en Irak, ce qui implique des mesures militaires associées à un projet politique, en particulier en Irak, en exigeant la fin de tous les soutiens financiers, matériels et humains qui lui sont fournis par des puissances sunnites dont le double-jeu doit cesser, à commencer par la Turquie. On sait que l’Arabie a renforcé ses livraisons d’armes à « ses » rebelles depuis le début de l’intervention russe, notamment en moyens anti-aériens.

Simultanément il faut entreprendre une politique de retour du droit dans les portions de territoire français qui ne le connaissent plus. Cela implique un renfort des effectifs de police et un soutien sans failles du gouvernement à leur action, ce qui implique aussi une autre attitude de la Justice. Alors, les hors-la-loi de ces quartiers sauront ce que sont les lois de la République et devront chercher à s’y conformer.

Enfin, comme plusieurs hommes politiques l’ont demandé, le rétablissement d’un service militaire facteur de cohésion sociale, et vivier de futurs citoyens responsables et fiers de l’être, devrait être décidé.

Ces mesures augmenteront les dépenses publiques mais c’est la seule solution si nous voulons lutter efficacement contre la menace qui est prête à se matérialiser à tout moment et n’importe où sur notre sol, commanditée par DAESH ou sur simple pulsion de réseaux locaux habités par la haine du pays.

Le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité a dit le Président, approuvé par Bruxelles qui pouvait difficilement s’y opposer. Ceci implique des mesures budgétaires pour augmenter le budget de notre défense afin de mettre enfin en adéquation ses missions sans cesse plus nombreuses avec les moyens. Les gouvernements successifs depuis plus de quarante ans n’ont cessé de diminuer le budget de la défense, croyant engranger les dividendes de la paix, réduisant notre Armée de Terre à 110.000 hommes, alors que la coalition luttant en Afghanistan contre un ennemi bien inférieur à DAESH comptait 130.000 hommes et n’a pas réussi à le vaincre. Or nous intervenons aujourd’hui au Liban, en Afrique au Sahel, en Centre Afrique, et maintenant sur le territoire national, au total dans vingt-sept opérations différentes. On ne peut continuer ainsi : ce ne sont pas les missions qu’il faut diminuer car elles sont toutes indispensables, mais les moyens qu’il faut mettre à niveau avec un froid réalisme. Le porte-avions Charles de Gaulle assure la stratégie française en Syrie a dit le Président. Bien. Qu’en sera-t-il de cette stratégie pendant les vingt mois de grand carénage du bâtiment ? La conclusion logique n’est-elle pas qu’il en faut un second, ce qui assurera en outre la pérennité du savoir-faire que nous sommes encore seuls à posséder avec les Américains et des retombées positives sur l’activité de nos entreprises.

Au pays de Descartes, il serait temps que le raisonnement stratégique retrouve enfin sa cohérence et que les politiques acquièrent le froid discernement et le courage qui font les hommes d’état.

« Il n’est pas dans les armes de carrière illustre qui n’ait servi une vaste politique, ni de grande gloire d’homme d’Etat que n’ait dorée l’éclat de la défense nationale. »
Dernières lignes de « Le Fil de l’épée » Charles de Gaulle.1932

Alain Corvez
Décembre 2015

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