Une prise de conscience récente de la communauté internationale
Le groupe État islamique (EI), déjà ancré sur les côtes libyennes, commence à progresser « vers l’intérieur » de la Libye avec pour objectif l’accès à des puits de pétrole, a déclaré lundi le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian. « Ils sont à Syrte, ils étendent leur territoire sur 250 kilomètres linéaires de côte, mais ils commencent à pénétrer vers l’intérieur et à avoir (une) tentation d’accès à des puits de pétrole et des réserves de pétrole », a-t-il dit à la radio RTL. L’EI compte 2 000 à 3 000 combattants en Libye, dont 1 500 à Syrte, la ville natale du défunt dictateur Muammar Kadhafi à 450 kilomètres à l’est de Tripoli. Parmi eux figurent des nationaux partis combattre en Syrie et de retour dans leur pays, mais aussi des étrangers venus notamment de Tunisie, du Soudan ou du Yémen, selon une estimation de l’ONU. Le groupe tente de « mettre la main sur les ressources pétrolières », selon une source diplomatique française, en s’étendant vers Ajdabiya, à 350 kilomètres de Syrte, dans une zone où se concentrent la plupart des gisements et terminaux pétroliers et gaziers du pays. Le pays, déchiré par les luttes de clans depuis la chute de Muammar Kadhafi, a pour l’instant deux Parlements, l’un dans la capitale et l’autre, reconnu par la communauté internationale, à Tobrouk (Est). « Il faut absolument que cessent les conflits intralibyens sinon le vainqueur militaire ce sera Daech (acronyme de l’EI en arabe) », a poursuivi le ministre français de la Défense. « Heureusement, cette prise de conscience commence à se faire à la fois du côté de Tripoli et du côté de Tobrouk et on peut penser que les discussions qui sont en cours à la fois sous l’autorité de Martin Kobler, l’envoyé spécial des Nations unies, et dans les réunions de Rome, y compris ce week-end, vont aboutir à une solution politique », a-t-il ajouté. M. Le Drian a exclu une opération militaire extérieure contre l’EI en Libye, du type de ce qui se passe en Syrie, estimant que les Libyens avaient les moyens de s’y opposer eux-mêmes pour peu qu’ils cessent de se combattre.
Quelles sont les forces en présence ?
En Libye, l’organisation État islamique n’est pas isolée. Plusieurs autres groupes armés sèment le chaos. Reconnus ou pas. Qui sont-ils et que réclament-ils ?
Fajr Libya : cette coalition hétéroclite de milices notamment islamistes, qui ont combattu les forces du colonel Muammar Kadhafi en 2011, est parmi les mieux armées du pays. Son noyau dur est constitué de groupes de la ville de Misrata (200 kilomètres à l’est de Tripoli). En août 2014, Fajr Libya (« Aube de la Libye ») s’est emparée de la capitale Tripoli, chassant les milices rivales de la ville de Zenten (170 kilomètres au sud-ouest de Tripoli). Elle est ensuite devenue de fait la branche armée du gouvernement siégeant à Tripoli. Des villes de l’Ouest libyen, notamment amazighes, ainsi que des milices islamistes modérées comme la Cellule des opérations révolutionnaires de Libye, basée à Tripoli, l’ont rejointe. Fajr Libya contrôle quasiment toutes les villes côtières entre Misrata et la frontière tunisienne, ainsi qu’une partie de Djebel Nefoussa, plus au sud, où plusieurs villes sont acquises à sa cause comme Gharyane, Nalout ou Jado. Présente aussi dans le sud, comme à Sebha, elle prétend contrôler la majeure partie du pays.
Les forces du gouvernement reconnu : le gouvernement basé dans l’est du pays et reconnu par la communauté internationale a nommé en mars le général à la retraite Khalifa Haftar à la tête de l’armée. Celui-ci avait auparavant créé une très puissante force paramilitaire avec d’anciens officiers de l’est ayant fait défection au début de la révolte contre le régime de Kadhafi en 2011, et avec pour objectif la lutte contre le « terrorisme ». Le général Haftar a conquis en 2014 une grande partie de Benghazi, deuxième ville du pays à 1 000 kilomètres à l’est de Tripoli, où il fait cependant toujours face à la résistance de groupes islamistes. Ailleurs dans l’Est, les villes comme al-Marj, al-Baida ou Tobrouk sont loyales à Haftar. Dans l’Ouest, il compte sur les puissantes milices de Zenten (anti-islamistes) et des tribus de la région.
L’EI : la branche libyenne du groupe État islamique (EI) s’est implantée en 2014 dans le pays où elle a revendiqué des attaques et commis des exactions. En janvier, le groupe a notamment revendiqué une attaque meurtrière contre un hôtel à Tripoli et en février la décapitation de 21 chrétiens coptes. Le groupe a pris pied en février dans la ville côtière de Syrte (450 kilomètres à l’est de Tripoli) puis l’a déclarée sous son contrôle en juin. L’EI est également présent près de la ville de Derna (1 100 kilomètres à l’est de Tripoli) d’où il a été chassé en juillet par des combattants du « Conseil des moudjahidine de Derna ». À Benghazi, il combat les forces loyales au gouvernement reconnu et d’autres groupes armés. À Tripoli, le groupe disposerait de cellules. Le groupe tente actuellement d’élargir sa zone d’influence, notamment vers Ajdabiya, une ville contrôlée par des milices armées loyales au gouvernement reconnu située à quelque 350 kilomètres de Syrte. Un rapport d’experts de l’ONU estime le nombre de combattants locaux de l’EI entre 2 000 et 3 000, dont 1 500 à Syrte. Selon ces experts, l’expansion de l’EI est freinée par des difficultés de financement et l’hostilité de la population.
Autres forces en présence :
– Le Conseil de la Choura des révolutionnaires de Benghazi est une coalition de milices islamistes et radicales constituée pour faire face aux forces de Haftar. Il est soutenu par Fajr Libya et regroupe notamment la milice Bouclier de Libye, les « Brigades » des martyrs du 17-Février, Rafallah al-Sahati et Ansar Asharia.
– Ansar Asharia, la branche libyenne d’Al-Qaïda, est classé organisation terroriste par l’ONU. Le groupe est notamment soupçonné d’implication dans l’attaque contre le consulat américain de Benghazi en 2012. Outre Benghazi, ce groupe dispose de filiales à Derna, Syrte et Sabratha (Ouest). Plusieurs de ses membres auraient fait défection pour faire allégeance à l’EI.
– La Force de la Cyrénaïque est une coalition anti-islamiste de tribus locales de l’est libyen dirigée par Ibrahim al-Jodrane. Elle revendique le fédéralisme et réclame l’autonomie de la région. Ses forces contrôlent une grande partie des terminaux pétroliers de l’Est. Jusqu’ici, cette force n’a pas affiché clairement son ralliement à Haftar mais elle est hostile à Fajr Libya.
Vers un accord d’union nationale pour limiter l’avancée des groupes terroristes ?
Une vingtaine de pays et d’organisations internationales réunis à Rome depuis dimanche appelle à un cessez-le-feu immédiat dans toute la Libye et à la mise en place rapide d’un gouvernement d’union pour mettre fin au chaos régnant dans le pays. Un gouvernement d’union nationale « basé à Tripoli » est « essentiel pour faire face, en partenariat avec la communauté internationale, aux défis critiques auquel le pays est confronté dans les domaines humanitaire, économique et sécuritaire », ont annoncé ces pays dans un communiqué conjoint, à l’issue de la réunion co-présidée par l’Italie et les États-Unis. « Nous appelons toutes les parties à accepter un cessez-le-feu immédiat et complet dans toute la Libye », ont-ils ajouté, en réaffirmant leur engagement à fournir une assistance humanitaire aux habitants. Selon l’ONU, 2,4 des 6 millions de Libyens en ont besoin, malgré les importantes ressources pétrolières du pays. Les puissances occidentales souhaitent qu’un gouvernement d’union reprenne le pays en main pour tenter de contrer le développement de l’organisation État islamique (EI) autour de son fief de Syrte, ainsi que les réseaux de passeurs qui envoient chaque mois vers l’Italie des milliers de migrants dans des conditions inhumaines. « Nous ne pouvons pas permettre que le statu quo perdure en Libye », a martelé le secrétaire d’État américain John Kerry, lors d’un point-presse. « C’est dangereux pour la viabilité de la Libye, c’est dangereux pour les Libyens, et maintenant que Daech renforce sa présence, c’est dangereux pour tout le monde. » Un accord avait été conclu en octobre sous l’égide de l’ONU. Cet accord doit être signé par des dizaines de représentants libyens ce 16 décembre à Skhirat, au Maroc. Il prévoit la mise en place, dans les 40 jours, d’un gouvernement d’union siégeant à Tripoli.
Comment faire aboutir un accord obtenu au forceps ?
Les critiques de cet accord, obtenu au forceps via une médiation étrangère, préviennent que toute tentative de précipiter le processus de réconciliation risque d’accentuer les divisions, et rappellent que les conditions de sécurité ne sont pas réunies pour l’instant à Tripoli pour y installer un gouvernement. L’émissaire de l’ONU pour la Libye, Martin Kobler, s’est ainsi dit « impressionné par la cohésion » autour de l’accord des délégués présents à Rome, qui représentaient selon lui « la grande majorité des Libyens ». Et les participants ont assuré, dans le communiqué final, soutenir « les efforts du peuple libyen pour faire de la Libye un État sûr, démocratique, prospère et unifié ». « Ceux qui sont responsables des violences et ceux qui font obstruction et minent la transition démocratique libyenne devront en payer les conséquences », a prévenu ce communiqué, en évoquant une rupture de tout contact officiel avec les personnes refusant l’accord. Des diplomates ont également parlé de sanctions de l’ONU. La zone côtière de Syrte est dans tous les esprits, et la communauté internationale prévient qu’elle affrontera cette menace « dans les prochains mois comme elle est en train de l’affronter aujourd’hui ailleurs », a déclaré le ministre italien des Affaires étrangères, Paolo Gentiloni, dans une allusion à l’Irak et à la Syrie.
(16-12-2015 – Idriss Elram)
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