Pendant des mois, des parents inquiets, à Flint, dans le Michigan, se sont rendus en grand nombre aux cabinets de leurs pédiatres. Leur enfant tenu par la main ou dans les bras, ils avaient tous la même question : leurs enfants étaient-ils en train d’être empoisonnés ?
Pour le savoir, une piqûre au doigt suffit, pour prélever une goutte de sang. Si les tests sont positifs, les conséquences potentiellement sérieuses sont plus difficiles à discerner.
C’est ainsi que le plomb agit. Il laisse sa marque discrètement, sans trace apparente. Mais des années plus tard, lorsqu’un enfant montre des signes de trouble de l’apprentissage, ou du comportement, la présence du plomb dans le sang devient inéluctable.
Selon l’OMS, « le plomb affecte le développement du cerveau de l’enfant, entrainant une diminution du quotient intellectuel (QI), des changements comportementaux comme un déficit de l’attention et une attitude antisociale accrue et un niveau scolaire diminué. L’exposition au plomb entraîne aussi l’anémie, l’hypertension, l’insuffisance rénale, l’immunotoxicité* et affecte les organes reproductifs [cause de stérilité masculine, NdE]. Les effets neurologiques et comportementaux du saturnisme sont considérés comme irréversibles ».
Le centre médical de Hurley, à Flint, a publié en septembre une étude confirmant ce que beaucoup de parents à Flint craignaient depuis un an : la proportion d’enfants et de bébés avec des niveaux de plomb dans le sang supérieurs à la moyenne a presque doublé depuis que la ville est passée du réseau hydraulique de Detroit à l’utilisation de la rivière Flint comme source d’approvisionnement en eau, en 2014.
La crise a atteint son apogée Lundi soir, lorsque la mairesse de Flint Karen Weaver a déclaré l’état d’urgence.
« la ville de Flint connait un désastre causé par l’homme », a déclaré Weaver dans un communiqué.
La mairesse — élue après que son prédécesseur, Dayne Walling, avait fait les frais de la gestion par son administration des problèmes liés à l’eau — explique dans le communiqué qu’elle demande le soutien du gouvernement fédéral pour gérer les effets « irréversibles » de l’exposition au plomb des enfants de la ville. Weaver pense que ces conséquences sanitaires entraîneront un besoin plus important en éducation spécialisée et en services de santé mentale, ainsi que des développements dans le système de justice des mineurs.
« Remplissons-nous les critères [de zone sinistrée] ? Je ne sais pas », a-t-elle dit à Michigan Live. Mais Weaver ne pense pas que la ville puisse recevoir l’aide dont elle a besoin sans alerter les autorités fédérales sur l’urgence du problème.
Pour ceux qui vivent à Flint, l’annonce peut être perçue comme attendue depuis longtemps.
Presque immédiatement après que la ville eut commencé à pomper l’eau de la rivière Flint en avril 2014, les habitants ont commencé à se plaindre de l’eau, dont ils disaient qu’elle était trouble et sentait mauvais.
Depuis, les problèmes liés à l’eau de la rivière n’ont fait que s’accumuler. Bien que la ville et les représentants de l’État aient commencé par nier la dangerosité de l’eau, l’État a publié une notice informant les habitants de Flint du fait que leur eau contenait des niveaux non-autorisés de trihalométhanes**, un sous-produit du chlore, lié au cancer et à d’autres maladies.
Des manifestants se sont rendus à la mairie, bravant le froid intense du Michigan, pour demander aux élus de reconnecter l’eau de Flint au système hydraulique de Detroit. L’utilisation de la rivière Flint était censée être temporaire, et finir en 2016 après qu’une conduite vers le Lac Huron Karegnondi sera achevé.
Une pétition demandant que Flint cesse de prendre son eau dans la rivière Flint a rassemblé 26 000 signatures.
Face aux manifestations continues des habitants de Flint et aux preuves scientifiques croissantes sur la toxicité de l’eau, les élus et les représentants de l’État ont proposé diverses solutions – du conseil aux habitants de faire bouillir l’eau à la fourniture de filtres – faisant tout pour contourner la demande de reconnexion au système de Detroit.
Cette décision a été finalement prise par le gouverneur républicain Rick Snyder le 8 octobre. Il a annoncé avoir un plan pour trouver les 12 millions de dollars nécessaires pour reconnecter Flint au système de Detroit.
Le 16 octobre, l’eau coulait à nouveau entre Detroit et Flint.
Cela aussi fut accompagné du sentiment que c’était déjà trop tard, en particulier pour les parents des enfants qui avaient été affectés de façon permanente.
Ces parents, et d’autres habitants de Flint ont entrepris un recours judiciaire fédéral en nom collectif contre Snyder, l’État, la ville et 13 élus, en novembre, en raison des dommages subis à cause de l’eau contaminée par le plomb. La plainte, qui dit représenter « des dizaines de milliers d’habitants », allègue que les élus de la ville et les représentants de l’État les ont « délibérément privés » de leurs droits liés au 14ème amendement de la Constitution*** en remplaçant une source d’eau potable saine par une alternative à meilleur marché dont la haute toxicité était connue.
« Pendant plus de 18 mois, les responsables locaux et gouvernementaux ont ignoré des preuves irréfutables montrant l’extrême toxicité de l’eau pompée dans la rivière Flint », peut-on lire dans la plainte. « Les dénégations délibérées et mensongères sur la sécurité de l’eau de la rivière Flint étaient aussi mortelles qu’arrogantes».
Disant que le comportement des responsables est « si énorme et scandaleux que cela choque la conscience », la plainte cite les expériences particulières de quelques plaignants et de leurs familles, qui expliquent avoir tous connu des problèmes de santé similaires depuis que des hauts niveaux de plomb et de cuivre se retrouvent dans leur sang.
Parmi les effets : des lésions cutanées, des pertes de cheveux, une hypertension chimiquement induite, de la perte de vision et de la dépression. Des quatre familles décrites dans la plainte, deux ont cessé de boire l’eau de Flint après un temps – et ne l’utilisaient plus que pour le lavage et la cuisine – mais disent avoir encore été exposées aux mêmes effets.
L’attaché de presse de Snyder, Murray, a écrit un courriel à notre journal pour expliquer que l’administration est en désaccord avec plusieurs points de la plainte, mais a refusé de discuter des détails du litige en suspens.
Comme la Detroit Free Press l’a rapporté en octobre, éviter l’eau de Flint est devenu une habitude chez les habitants de la ville.
Ceux qui pouvaient se le payer optaient pour l’eau en bouteille, l’achetant par gallons [3,7 l.]. Ceux qui ne le pouvaient pas la buvaient toujours au robinet, en sachant le prix qu’ils auraient à payer plus tard. En ce qui concerne les bains, certains remplissaient lentement leurs baignoires avec des casseroles d’eau bouillie pour leurs enfants.
(La ville a émis un communiqué pour conseiller de faire bouillir l’eau en septembre 2014. Cette recommandation est contraire aux lignes directrices du Centre US de prévention et de contrôle des maladies (CDC) concernant le plomb dans l’eau, qui établissent que faire chauffer ou bouillir l’eau n’en retire pas le plomb. De fait, « Vu qu’une partie de l’eau s’évapore durant le processus, la concentration du plomb dans l’eau peut augmenter légèrement », selon le CDC).
LeeAnn Walters, une habitante de Flint et mère de jumeaux de 4 ans, a pris toute les précautions nécessaires après que des tests sanguins avaient révélé que le taux de plomb dans le sang de l’un de ses fils avait grimpé en flèche après le passage à l’eau de la rivière Flint.
« J’étais hystérique », a expliqué Walters à la Free Press. « J’ai pleuré lorsqu’ils m’ont remis les premières analyses sur le plomb ».
Elle craignait que le plomb ne fût responsable lorsque toute sa famille a commencé à développer des éruptions cutanées, et que son fils a cessé de prendre du poids.
Maintenant, explique Walters, lorsque ses enfants auront des problèmes en grandissant, elle se demandera toujours si les choses auraient été différentes – si leurs vies auraient été meilleures – s’il n’y avait pas eu cette eau.
NdE
*Immunotoxicité : l’ensemble des effets délétères provoqués par un xénobiotique sur le système immunitaire. Xénobiotique : substance présente dans un organisme vivant mais qui lui est étrangère ; il n’est ni produit par l’organisme lui-même, ni par son alimentation naturelle.
** Trihalométhanes : composés constitués d’un seul atome de carbone lié à des halogènes, sous-produits de la chloration de l’eau formés principalement par réaction du chlore avec des substances organiques naturelles.
***Le XIVe amendement à la Constitution US, ratifié en 1868, vise à protéger le droit des anciens esclaves, en particulier dans les États du sud. Il garantit la citoyenneté à toute personne née aux USA, et affirme la nécessité de garantir l’égale protection de tous ceux qui se trouvent sur son territoire.
Photo: Lyla McCallun, 4 ans, anciennement de Flint, dessine sur une feuille de papier, assise sur les genoux de sa grand-mère, Jacqueline Pemberton, habitante de Flint, une des six plaignantes du recours collectif (Jake May /Flint Journal-MLive.com via AP)
Merci à Tlaxcala
Source: http://wapo.st/223QdZE
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