« C’est la grande arnaque du changement climatique. A l’heure où des objectifs modestes sont actuellement débattus dans la capitale française, les moyens de les atteindre sont quant à eux négociés à Genève dans l’intérêt des plus grandes entreprises de la planète », résume Rosa Pavanelli, Secrétaire générale de l’ISP, fédération syndicale internationale des services publics. « Les raisons pour lesquelles nos gouvernements cherchent à dissimuler ces négociations en les menant dans le plus grand secret, apparaissent de plus en plus évidentes. »
Alors que se discutait à Paris le futur accord intergouvernemental sur le climat finalement adopté le 12 décembre, les représentants d’une vingtaine de pays et de l’Union européenne continuaient à négocier dans le plus grand secret le traité TiSA (Trade in Services Agreement, Accord sur le commerce des services), qui vise à libéraliser le commerce des services, en dehors du cadre de l’OMC jugé trop contraignant (lire notre enquête). Pour ses critiques, le projet de traité TiSA vise ni plus ni moins qu’à priver les États de tout contrôle sur le secteur des services, en donnant le pouvoir aux grands groupes mondialisés. Avec pour conséquence de remettre en cause les objectifs de politique publique affichés par ces États et par la communauté internationale.
Comme cela avait déjà été le cas il y a quelques mois, Wikileaks a rendu public un certain nombre de documents relatifs aux négociations du TiSA. Ces documents confirment les pires craintes. On y voit notamment les négociateurs norvégiens et islandais mettre en garde contre les excès de la libéralisation du secteur de l’énergie, comme le souligne Mediapart :
Mais que contient donc le projet concocté par les grands négociateurs, pour que la Norvège et l’Islande tiennent aussi à rappeler que « les engagements pris en matière de libéralisation des services à l’énergie ne limitent en aucune façon la souveraineté ou les droits des parties sur les ressources énergétiques » ? Les deux pays prennent le soin de préciser les droits exclusifs que les pays sont en droit de conserver, selon eux. Ils préconisent ainsi que les États gardent des droits exclusifs « pour déterminer les zones géographiques qui peuvent faire l’objet d’exploration, de développement et d’exploitation de ses ressources énergétiques, de déterminer le rythme auquel ces ressources sont réduites ou exploitées, d’arrêter et de bénéficier des taxes, royalties et tout autre paiement liés à ces explorations et exploitations, de réglementer les aspects environnementaux et sanitaires de ces exploitations, de pouvoir participer à des projets d’exploitation et d’exploration, entre autres, à travers des participations directes du gouvernement ou au travers des entreprises d’État ».
Cette simple énumération fait un peu froid dans le dos. Est-ce seulement une précaution de juristes et d’avocats estimant que les choses vont mieux en les disant qu’en les taisant afin d’éviter toute contestation ultérieure ? Ou est-ce que les négociateurs de Tisa entendent aller beaucoup plus loin dans les remises en cause des prérogatives des États dans ces domaines ?
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Le constat est le même dans le secteur des transports : les documents révélés par Wikileaks démontrent une volonté de libéraliser totalement le transport routier et de mettre fin aux garde-fous sociaux et environnementaux institués par les États.
Comme le rapporte le Guardian, les négociateurs du Tisa envisagent également d’introduire le principe de la « neutralité technologique » dans le secteur énergétique. Autrement dit, les gouvernements n’auraient plus le droit de favoriser, à travers leurs subventions ou réglementations, tel type d’énergie – comme le solaire ou l’éolien – au détriment d’autres ,comme les énergies fossiles et en particulier le gaz de schiste. Les litiges éventuels entre États et entreprises à ce sujet seraient réglés par des tribunaux privés.
C’est donc une nouvelle illustration de l’incompatibilité entre libéralisation commerciale et efficacité climatique, que soulignent de nombreux militants syndicaux et écologistes, dénonçant le « double discours » de l’Europe en particulier.
Olivier Petitjean