L’auteur de ce texte revendique comme un honneur insigne le fait d’avoir été distingué pour intervenir à un colloque sur une thématique qui a scandé son parcours professionnel et son engagement civique, la célébration du 60 me anniversaire du lancement du Mouvement des Non –Alignés de la Conférence de Bandoeng et le 50 me anniversaire de la TRICONTINENTALE, sous le parrainage d’illustres descendants de personnages mythiques de l’histoire de la évolution mondiale, Aleida Guevara et Bachir Ben Barka.
Aleida Ernesto Che Guevara de La Sierna porte un nom à forte charge symbolique ; porteur d’une dynamique et d’une force propulsive si puissante qu’elle peut se permettre de marcher sur l’eau sans risque de naufrage. Son papa, le Che, est sans doute le seul être au monde à être autant aimé par les hommes que par les femmes. Sa beauté irradiante a stigmatisé à jamais le visage hideux de l’impérialisme, en même temps qu’elle scellait son sort.
Bachir et Mansour Ben Barka, à la dignité rentrée, ont fait, eux le choix de l’excellence pour magnifier leur douleur, les Mathématiques pour l’aîné, le Génie électrique et électronique pour le cadet. Que ce parrainage soit assuré de ma gratitude et que dans l’âme collective des peuples en lutte, le souvenir du sacrifice du tandem moteur de la tricontinentale vive éternellement.
Les Non-alignés ou le réveil politique des «Damnés de la terre» Par René Naba
L’auteur dédie ce papier à Frantz Fanon, dont la paternité du terme «Damnés de la terre» lui revient ainsi qu’à son éditeur François Maspero, compagnon de route des peuples du tiers monde en lutte pour leur liberté, en soumettant à l’attention de ses lecteurs et des sites partenaires ce mot d’ordre de Jean Paul Sartre, popularisé dans sa préface au livre mythique de Frantz Fanon «Les damnés de la terre»: «Indigènes de tous les pays sous-développés, unissez-vous».
Prologue
Le Tiers monde est redevable de sa liberté et de sa dignité à trois faits politico-militaires majeurs qui ont bouleversé la configuration géostratégique de la planète :
- Dien Bien Phu (Vietnam-1955), première victoire militaire d’un peuple basané sur une puissance atomique, la France, membre permanent du Conseil de sécurité,
- La nationalisation du Canal de Suez par Nasser, en 1956, première nationalisation réussie par un pays du tiers monde d’un consortium occidental,
- La prise de La Havane par les Bardudos, en 1957, première percée militaire des guérilleros latino-américains dans l’arrière-cour des États Unis.
Grâce soit donc rendu aux artisans de ces victoires qui ont favorisé l’émergence du mouvement des Non-alignés, ouvrant la voie à l’indépendance du Tiers Monde, scellant dans le sang, Dien Bien Phu (Vietnam-Asie) Suez (Egypte-Monde arabe), La Havane (Cuba-Amérique Latine) la naissance de la tricontinentale.
Première brèche dans cinq siècle d’hégémonie absolue occidentale sur le reste de la planète, la conférence de Bandoeng, -matrice des non-alignés et promoteur du neutralisme politique sur la scène internationale ainsi que son mode opératoire, la TRICONTINENTALE-, a signé l’entrée des peuples colonisés des trois continents (Afrique, Asie, Amérique latine), sur la scène mondiale en tant qu’acteur majeur de l’Histoire et non plus en tant que supplétifs
Stratégiquement, toutefois, la TRI CONNENTALE, est issue en droite ligne de la configuration géopolitique résultant de la II me Guerre mondiale (1939-1945), marquée par la suprématie de l’hémisphère Nord et son bras armé l’OTAN, le groupement militaire des pays colonialistes occidentaux, sur le reste de la planète.
Le Droit International Public forgé dans les trois ans qui ont suivi la capitulation de l’Allemagne, le 9 mai 1945, porte la marque de l’hégémonie occidentale dans la sphère culturelle et la vie intellectuelle internationale, en dépit de la présence d’un bloc soviétique.
Au-delà du primat diplomatique et juridique de l’Occident, l’Union soviétique partait avec un lourd handicap dans la compétition : 20 millions de morts de la 2eme guerre mondiale, soit davantage que les pertes cumulées de la totalité des alliés. Ce chiffre comparé à la France, équivalait à la moitié de la population française, nonobstant des destructions considérables. Un autofinancement de son redressement économique de plusieurs centaines de milliards de dollars, alors que les États Unis sortaient indemnes de tout dégât sur son territoire et que l’Europe Occidentale (principalement la France l’Allemagne et l’Italie) voyait son redressement financé par les États Unis.
I – 1945-1955 : Une hégémonie absolue occidentale sur le reste de la planète
La configuration géopolitique de la planète à la fin de la II me Guerre mondiale : Un paysage en trompe l’œil.
A – La composition du Conseil de sécurité :
Constitué de cinq membres permanents disposant du Droit de veto, donc quatre appartenant au système d’alliance occidental : les États-Unis, le Royaume Uni, la France, la Chine (nationaliste de Tchang Kai Tchek), ainsi que l’URSS ; Soit trois pays du bloc atlantique et leur relais chinois ectoplasmique Taïwan. Ni l’Asie, ni l’Afrique ne sont représentés, soit deux grands continents.
La composition de l’Assemblée générale des Nations Unies en est le reflet exact : Les 2/3 de la planète y sont exclus. L’ONU compte à l’époque cinquante-cinq membres, le quart du nombre actuel, avec une majorité automatique pro-occidentale composée de pays européens et latino-américains sous la férule américaine.
Tous les grands États du tiers-monde en sont absents. La Chine continentale est boycottée au profit de Taïwan, l’Inde et le Pakistan, les deux nouvelles puissances nucléaires d’Asie sont sous domination anglaise, l’Indonésie, sous domination des Pays Bas, l’Indochine, sous domination française.
Il en est de même en AFRIQUE : Nigeria, l’Ouganda, la Tanzanie, le Ghana, la totalité des colonies françaises de l’Afrique Occidentale, de l’Afrique Centrale et de l’Afrique Équatoriale. Les colonies portugaises (Angola, Guinée équatoriale, et Mozambique), soit au total une trentaine de pays.
Pour le MONDE ARABE : l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, le Yémen et la totalité des principautés pétrolifères du Golfe (Bahreïn, Qatar, Émirats arabes et Sultanat d’Oman) ont également absents. Les États-Unis vont disposer ainsi pendant une quinzaine d’années d’une majorité automatique, qu’ils ne dénigreront que lorsqu’elle aura rejoint le camp adverse, le bloc neutraliste soutenu par le camp soviétique. Elle refusera alors de verser sa cotisation pendant une dizaine d’années. Belle exemple de démocratie contradictoire.
Un dispositif diplomatique sous tendu par une structure pernicieuse aux moyens financiers considérables «Le Congrès pour la Liberté et la Culture» et une stratégie offensive y afférente. Un Corpus juridique favorable aux puissants : la «Stratégie de la Global Connexion» ou le maillage planétaire.
B – Le Congrès pour la Liberté et la Culture
Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont déployé un système sans précédent de propagande. À travers des structures comme le «Congrès pour la liberté de la culture», ils ont corrompu les élites intellectuelles occidentales. Puis, instrumentalisant la liberté de l’information, ils ont noyé le monde sous leur point de vue unique, grâce à de puissantes agences de presse et à un gigantesque maillage de radios profanes et religieuses.
II – Le conditionnement de l’opinion, pour la captation de l’imaginaire, gage de la pérennité de la civilisation occidentale
Les grands principes universalistes découlent rarement de considérations altruistes. Ils répondent davantage à des impératifs matériels. Il a en a été ainsi du principe de la liberté de la navigation brandie par l’Angleterre au XVIIe et au XVIIIe siècle pour assurer sa suprématie maritime et partant son hégémonie commerciale à l’ensemble de la planète. A l‘expérience, le beau principe de la liberté de circulation s’est révélé un principe de duplicité en ce qu’il favorise les nantis qui disposent de moyens pour prendre l’avion ou le bateau, laissant aux démunis le choix entre le statut de réfugiés ou de déplacés.
Il en a été de même du mot d’ordre de libre-échange décrété par les pays occidentaux au XIXe et XXe siècles pour contraindre la Chine à écouler les marchandises occidentales sur son marché intérieur au nom de la «politique de la porte ouverte».
Il en sera de même du «principe de la liberté d’information» fermement défendu par les États-Unis, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale pour asseoir leur suprématie idéologique dans les quatre domaines qui conditionnent la puissance : politique, militaire, économique et culturel
Dans leur bataille idéologique pour la conquête de l’imaginaire des peuples, gage essentiel de la pérennité d’une nation, les États-Unis ont développé un ARGUMENTAIRE REPOSANT SUR UNE DOUBLE ARTICULATION :
Un argument INTELLECTUEL, le principe de la liberté de la circulation de l’information et des ressources.
Un ARGUMENT PRATIQUE, le fait que les États-Unis soient la SEULE GRANDE DEMOCRATIE AU MONDE A NE DISPOSER NI D’UN MINISTERE DE LA CULTURE, NI D’UN MINISTERE DE LA COMMUNICATION, preuve irréfutable, selon eux, d’un régime de liberté.
Présenté comme l’ANTIDOTE ABSOLU AU FASCISME Et AU TOTALITARISME, le principe de la liberté de l’information, a constitué un des grands dogmes de la politique américaine de l’après-guerre, son principal thème de propagande. Une formidable machine de guerre qui a répondu à un double objectif.
- BRISER, d’une part, le CARTEL EUROPEEN DE L’INFORMATION, principalement le monopole britannique des câbles transocéaniques qui assure —via Cable and Wireless— la cohésion de l’Empire et confère une position de prépondérance à l’agence britannique d’information Reuters, accessoirement la prééminence de l’Agence française Havas, la future Agence France Presse (AFP) en Amérique latine, zone d’intérêt prioritaire des États-Unis.
- NEUTRALISER, d’autre part, TOUE CRITIQUE par l’élimination de toute concurrence européenne qui pourrait présenter les États-Unis en termes peu flatteurs aux lecteurs, l’image dévalorisée de l’Américain cow-boy mâcheur de chewing-gum, ou plus grave la ségrégation raciale et les lynchages du Klu Klux Klan ou encore le grand banditisme de l’époque de la prohibition. Sous une liberté apparente perçait déjà le contrôle. Toute une littérature va théoriser ce principe de liberté de l’information et donner un habillage moral à une politique d’expansion.
L’un des plus éloquents théoriciens en la matière sera William Benton, ancien sous-secrétaire d’État du président démocrate Franklin Roosevelt, promoteur du «New Deal».
William Benton qui présidera la prestigieuse publication Encyclopaedia Britannica, dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, invitera les États-Unis à «faire tout ce qui est en leur pouvoir» pour briser les barrières artificielles qui s’opposent à l’expansion des agences américaines privées, des magazines, des films et autres moyens de communication.
Quant à l’ARGUMENT PRATIQUE, l’absence de structure ad hoc de propagande, le fait est fondé, mais doit être nuancé. Certes il n’y a ni ministère de la culture ni ministère de la communication dans le gouvernement des États-Unis, mais, dans cette bataille idéologique, les États-Unis ont pratiqué, non l’attaque frontale mais l’entrisme, une stratégie de contournement périphérique.
Une diplomatie multilatérale instrumentalisant les organisations internationales à vocation universelle ou spécifique, doublée d’une diplomatie parallèle de ses agences spécialisées : la CIA (agence centrale du renseignement) et les Fondations philanthropiques pour le blanchiment des fonds. Que ce soit l’ONU, L’UNESCO, le Conseil économique et social de l’ONU ou l’Organisation interaméricaine, toutes auront inscrit dans leur charte «le principe de la liberté de l’information». Toutes, peu ou prou, auront fait office de tribune pour la propagation de la doctrine états-unienne de la libre circulation de l’information. Qu’on en juge.
La chronologie suffit à fonder cette affirmation. En septembre 1944, le Congrès des États-Unis officialise cette politique par une motion proclamant «le droit mondial à l’information pour les agences qui recueillent et font circuler l’information, sans discrimination», un droit qui sera protégé par le Droit international public.
Cinq mois après la motion du Congrès, la Conférence inter américaine de Mexico adopte à son tour une résolution sur le libre accès à l’information (février 1945), suivie quatre mois plus tard de la Conférence de San Francisco portant création de l’ONU (juin 1945), puis du Conseil économique et social de l’ONU qui inclue la résolution dans sa charte en février 1946.
Puis, le principe de la liberté de l’information reçoit une consécration officielle lors de la première session de la conférence générale de l’UNESCO à Paris (novembre 1946), suivi un mois plus tard par l’Assemblée générale de l’ONU qui proclame «La liberté de l’information, droit humain fondamental, impliquant le droit de rassembler, de transmettre et de publier des nouvelles partout sans entraves» (14 décembre 1946). Le temps n’est pas encore au journalisme embedded, ombiliqué à l’armée, imbriqué aux sources de l’administration, pratiqué lors de l’invasion anglo-saxonne de l’Irak en 2003, pour des raisons de «sécurité nationale».
En deux ans, la structure de la diplomatie multilatérale de l’après-guerre est verrouillée par ce principe. Les États-Unis réussissent à le faire figurer dans la charte des cinq grandes organisations internationales (ONU, UNESCO, ECOSOC (Conseil Économique et Social), Organisation inter américaine et l’Assemblée générale de l’ONU).
III – Le maillage de la planète selon la stratégie de la «global connexion»
A – On The Air : Le déploiement sur le théâtre euro-méditerranéen
Le corpus doctrinal est animé par le Congrès pour la liberté et la culture doublé sur le terrain d’une structure d’appoint de propagation thématique en application d’une stratégie de maillage planétaire dite de «global connexion» constitué d’un réseau enchevêtré de radios profanes, de radios religieuses et de publications périodiques animées par des prestigieuses personnalités sur les principaux théâtres de la confrontation Est-Ouest, avec un ciblage particulier sur l’ensemble arabe.
B – Le Congrès pour La Liberté et La Culture (1950-1967)
Fer de lance de la guerre idéologique antisoviétique, le Congrès, précité, était constitué d’un rassemblement hétéroclite de transfuges du bloc soviétique, d’intellectuels occidentaux, anciens compagnons de route du Parti communiste ou de simples intellectuels épris de reconnaissance sociale ou de bien-être matériel.
Sa propagande visait tout autant à dénoncer le matérialisme marxiste qu’à sensibiliser les esprits, sur le plan du conflit du Proche-Orient, à un arrimage d’Israël au système d’alliance du monde occidental.
Ponctionnant 5% du budget du Plan Marshall, soit près de 200 millions de dollars par an, le Congrès financera la publication de dizaines d’ouvrages au succès retentissant notamment New Class, une étude sur l’oligarchie yougoslave réalisée par le dissident anti-Tito et Docteur Jivago de l’écrivain russe Boris Pasternak ou encore L’Art de la Conjecture du royaliste français Bertrand de Jouvenel.
Parmi les principaux animateurs du Congrès figuraient Sol Lévitas, le propre secrétaire particulier de Léon Trotski, l’écrivain Arthur Koestler, dont la CIA a assuré la promotion de son livre-culte Le Zéro et l’Infini, achetant en sous-main plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires pour en faire un succès de librairie avec les retombées éditoriales inhérentes.
Le Congrès a complété son travail de pénétration par un maillage éditorial sur tous les continents, finançant l’édition de quinze publications aux avants postes de la Guerre froide.
En France, le Congrès a bénéficié notamment du relais de deux institutions : Force ouvrière (FO), la formation syndicale dissidente de la CGT (Confédération générale du travail), la principale centrale ouvrière communiste française de l’époque, et l’équipe du journal conservateur Le Figaro autour de Pierre Brisson.
Annie Kriegel, éditorialiste du Figaro, passe ainsi de l’ultra-stalinisme à l’ultra-sionisme sans le moindre sas de décompression, trouvant dans ce quotidien une tribune appropriée à ses nouvelles diatribes anticommunistes, à la mesure des panégyriques passés en faveur de la «Patrie des travailleurs». Épousant un cheminement intellectuel analogue, son neveu par alliance, Alexandre Adler, lui succédera trente ans plus tard au sein de ce même journal, fustigeant à longueur de colonnes le nouvel ennemi public universel le «fascisme vert», que son collègue éditorialiste Yvan Rioufol désigne par le terme stigmatisant de «nazislamisme».
Préfiguration de l’endogamie contemporaine entre pouvoir politique et pouvoir médiatique, le Congrès pour la Liberté et la Culture a pratiqué à grande échelle l’autolégitimation d’une pensée homogénéisée où l’expert ne se reconnaît pas à la qualité de ses recherches mais à sa fréquentation assidue des forums médiatiques; où l’intellectuel décrété comme tel mène une réflexion conforme à la politique éditoriale des médias dont il est l’invité précisément afin d’accréditer la pensée qu’ils propagent.
De l’autopromotion des experts à l’autosuggestion des thèmes, à l’intimidation par une prétendue expertise, «l’Amérique», héraut du «Monde libre», aura utilisé avec les complicités européennes et la vénalité de certains leaders d’opinion contre le totalitarisme, les méthodes mêmes du totalitarisme.
C – Les radios profanes : un tir de saturation
Le dispositif médiatique mis en place pour mener de pair le combat contre le communisme, sur le plan international, et le combat contre l’athéisme, sur le plan arabo-musulman, répond à un objectif qui relève dans la terminologie militaire du «tir de saturation tous azimuts».
Radio Free Europe, principal retransmetteur de la production intellectuelle du Congrès pour la liberté et la culture» a opéré en direction de l’Europe orientale et les républiques musulmanes d’Asie, avec depuis Munich, Saïd Ramadan, le gendre du fondateur de la confrérie des Frères Musulmans, pour la désertion des soldats musulmans de l’armée soviétique.
Voice of America, vecteur d’accompagnement de la diplomatie américaine et les radios religieuses feront office de levier de sensibilisation des groupes ethnico-communautaires de confession chrétienne dans la zone euro-méditerranéenne.
Radio Free Europe, soutenue matériellement Freedom House, bras armé de la propagande gouvernementale et de la droite conservatrice internationale, basée à Prague (République tchèque), a disposé pendant 40 ans de cinq sites d’émission en Europe, dont trois en Allemagne et de 54 fréquences. Radio Free Europe a un prolongement sur le continent latino-américain Radio TV Marti (anti-cubaine) et en Asie, Radio Free Asia.
L’International Broadcasting Bureau (IBB), qui regroupe radio Free Europe et Voice of America, a disposé de vingt sites de retransmission dans le monde dont trois dans les pays arabes (Maroc, Koweït, Émirats Arabes Unis) ainsi qu’en Albanie, en Grèce, au Sri Lanka, en Allemagne, au Portugal et en Espagne. Deux nouveaux vecteurs ont été créés à l’occasion de la Deuxième Guerre contre l’Irak en 2005, Radio Sawa (Ensemble), la chaîne de télévision Hurra (Libre).
Toujours en Méditerranée, les États-Unis ont aménagé, tant en Italie qu’en Grèce, deux centres régionaux radiophoniques pour la production des programmes à l’intention des troupes stationnées dans le cadre de l’OTAN, à Héraklion (Grèce), siège de l’Armed Forces Radio and TV Service Air Force European Broadcasting Squadron et à Vicenza (Italie), siège du Southern European Broadcasting Service.
Le Congrès a fonctionné pendant dix-sept ans jusqu’à la Troisième Guerre israélo-arabe de juin 1967. Il passe ensuite la main aux prédicateurs électroniques dont le zèle prosélyte va se conjuguer au lobbying de la politique sioniste des organisations juives états-uniennes pour conduire Washington à s’engager dans un soutien sans faille à Israël.
Américains et Israéliens s’appliquent alors à promouvoir une «idéologie des Droits de l’Homme», selon l’expression de l’historien Peter Novick, comme arme de combat contre le totalitarisme communiste, dans un premier temps, contre le totalitarisme islamique, dans un deuxième temps, après l’effondrement du bloc soviétique.
D – Le prosélytisme religieux : Les prédicateurs électroniques
Aux radios profanes se sont superposées une vingtaine de grandes corporations radiophoniques religieuses disposant de moyens financiers et techniques sans équivalent dans les deux tiers des pays de la planète. Leurs motivations n’ont pas paru toujours répondre à des considérations exclusivement philanthropiques en ce que ces prédicateurs électroniques ont nourri une prédilection particulière pour les foyers de tension (Sud du Liban, Sud du Soudan) et les minorités ethnico-religieuses des pays fragilisés par les dissensions intestines (Arméniens, Kurdes, Berbères) et, depuis l’invasion de l’Irak, en 2003, pour le nord kurdophone irakien.
IBRA Radio (International Broadcasting Radio) a animé au Moyen-Orient vers le Sud du Liban et la zone frontalière libano-israélienne une antenne locale onde courte pour les émissions de la station HIGH ADVENTURE. Le Sud du Soudan, peuplé de chrétiens et d’animistes en rébellion contre le gouvernement islamique de Khartoum, a été alimenté par les programmes de “RADIO ELWA”, dirigée depuis MONROVIA (Liberia) par des missionnaires anglo-saxons.
Trans World radio (TWR), première radio planétaire transfrontière religieuse
Au premier rang de ces corporations radiophoniques se place TRANS WORLD RADIO (TWR), suivie d’ADVENTISTE WORLD RADIO (AWR), FEBA Radio, IBRA Radio, WYFR-Family Radio, Monitor Radio et Nexus IBD.
À l’exception de Radio Vatican (1555 KW, 36 fréquences, 33 langues) et d’une minuscule radio orthodoxe, Radio Trans Europe, toutes les grandes radios religieuses sont d’inspiration anglo-saxonne. Toutefois par son ampleur et ses capacités, Trans World radio (TWR) constitue la première radio planétaire transfrontière de surcroît religieuse. Pionnière en la matière, TWR assure des émissions en 100 langues dans des idiomes négligé par les majors occidentales, dont elle apparaît dans les nouvelles terres de mission, les zones d’évangélisation d’Afrique et d’Asie, comme un utile instrument d’appoint. Disposant de neuf relais terrestres dont cinq en Europe (Albanie, Monaco, Pays-Bas, Chypre et Russie) deux en Asie (Île de Guam et Sri Lanka) un en Afrique (Swaziland) et un en Amérique latine (Uruguay), TWR gère les émissions des trois sites méditerranéens (Albanie, Monaco et Chypre).
Depuis Vienne (Autriche) elle alignait, rien que pour l’Europe, une puissance substantielle (1500 KW, 14 fréquences et des émissions en 30 langues), supérieure à bon nombre de radios occidentales.
Vers la rive sud de la Méditerranée, TWR a assuré des émissions en 21 langues dont le Kurde, le Berbère, ainsi que les langues des pays méditerranéens. Depuis Chypre, sur les antennes de RMC Moyen-Orient, TWR a assuré des émissions religieuses nocturnes en trois langues (Arabe, Farsi, Arménien) d’une zone qui abrite le centre historique de l’Islam et les principales réserves énergétiques mondiales.
Deux autres radios religieuses participent de ce verrouillage médiatique: Adventist World Radio (AWR) et FEBA (Far East Broadcasting Association-Missionary): Adventist World Radio dispose, pour sa part, pour l’Europe de 16 fréquences pour des émissions en 17 langues dont l’arabe (5 heures), l’anglais (6 heures dont 3 vers le Moyen-Orient), le français (5 heures en direction du Maghreb et de l’Afrique), le Farsi (2H), l’Urdu et le Hindi (2 heures chacun).
À titre indicatif, les radios religieuses anglo-saxonnes assurent 9 000 heures de programmes par mois, soit près de 10 fois plus que Radio Le Caire, le principal vecteur arabe du plus grand pays arabe, l’Égypte, qui abrite la plus forte densité de population (75 millions).
En comparaison, The Friend of Israël Gospel Ministry, Église baptiste des États-Unis, diffuse des émissions en faveur d’Israël sur 700 stations américaines et publie la revue Israël My Glory dans 151 pays, collectant, rien qu’en 2005, des dons d’un montant de 8,5 millions de dollars en faveur de l’État hébreu.
E – On the Ground : Dix ans d’état de grâce : 1945-1955
Au-delà du primat diplomatique et juridique, l’Union soviétique partait avec un lourd handicap dans la compétition : 20 millions de morts de la 2eme guerre mondiale, soit davantage que les pertes cumulées de la totalité des alliés, – chiffre comparé à la France, équivalant à la moitié de la population française-, des destructions considérables. Un autofinancement de son redressement économique de plusieurs centaines de milliards de dollars, alors que les États Unis sortaient indemnes de tout dégât sur son territoire et que l’Europe Occidentale (principalement la France l’Allemagne et l’Italie) voyait son redressement financé par les États Unis.
Les Occidentaux vont donner libre cours donnent à leur hégémonie: Création de l’état israélien (1948), Guerre de Corée (1951-1952), contre coup d’état anti Mossadegh (Iran) pour neutraliser les effets de la nationalisation pétrolier (1953), de coup d’état de l’United Fruit et de la CIA contre le président Jacobo Arbenz, artisan d’une réforme agraire au Guatemala (1954),
La FRANCE COLLABORATIONNISTE est érigée au rang des vainqueurs pour des nécessités stratégiques. D’abord en raison de son empire colonial et son domaine maritime afférent. Ensuite en raison du fait que le commandement européen de l’Otan devait se fixer sur le continent, ce qui excluait le Royaume Uni, une île, et l’Allemagne, du fait de son passif hitlérien. Vainqueur par défaut, La France se comportera comme tel, par substitution, procédant à une répression compulsive de ses alliés de la Guerre (Sétif, Thiaroye, Cameroun et Madagascar, près de trois cent mille morts, dans l’immédiat après-guerre).
Mais surtout 1948 est une date charnière avec le démembrement de l’Inde et la création du Pakistan, selon un critère religieux, corrélativement à la création d’Israël, selon le même critère religieux. Pour le sionisme la colonisation de la Palestine a théorisé, par ricochet, une idéologie de la discrimination, justifiant a posteriori l’antisémitisme en ce qu’elle établit dans les faits une ségrégation entre Juifs et non Juifs.
Ces deux faits ont signé l’entrée du religieux dans le politique, dont son instrumentalisation la plus achevée connaîtra sa concrétisation, pour l’Islam, 32 ans plus tard, avec la guerre anti soviétique d’Afghanistan, puis la guerre de l’opposition mercenaire du Qatar en Syrie, en 2011, avec ses dérives mortifères de Jabhat an Nosra et Da’ech
La résolution 181 de l’Assemblée générale de l’ONU (29 novembre 1947) sur le plan de partage de la Palestine, a été adoptée par 33 voix contre 13 avec 10 abstentions, indice indiscutable de la prééminence occidentale dans la gestion des affaires du Monde. Le processus de décolonisation commençait à peine et l’ONU ne comptait alors que 57 membres contre 192 aujourd’hui).
Pour : États-Unis d’Amérique, Australie, Belgique, Bolivie, Brésil, Biélorussie, Canada, Costarica, Danemark, République dominicaine, Équateur, France, Guatemala, Haïti, Islande, Liberia, Luxembourg, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Nicaragua, Norvège, Panama, Paraguay, Pérou, Philippines, Pologne, Suède, Tchécoslovaquie, Ukraine, Union Sud-Africaine, U.R.S.S, Uruguay et Venezuela.
Contre : Afghanistan, Arabie saoudite, Cuba, Égypte, Grèce, Inde, Iran, Irak, Liban, Pakistan,Syrie, Turquie, Yémen.
Abstention : Argentine, Chili, Chine, Colombie, Salvador, Éthiopie, Honduras, Mexique, Royaume-Uni, Yougoslavie.
N’a pas pris part au vote : Siam (Thaïlande)
Régis Debray résumera superbement l’hégémonie occidentale en ces termes :
«La domiciliation de l’ONU à New York, au cœur de l’unique superpuissance planétaire, l’organe attitré de la conscience universelle»
Et le philosophe d’expliquer :
« L’Occident a la faculté de présenter ses intérêts particuliers comme l’expression des intérêts de l’humanité en général. Symbole géographique de cette conscience, la domiciliation de l’ONU à New York, au cœur de l’unique superpuissance planétaire, abritant l’organe attitré de la «conscience universelle. La métropole de la plus grande force militaire est en même temps celle du droit le plus élevé.
Les Dix pays qui ont voté la résolution 1973 sur la Libye, en 2011, prélude au bombardement du pays, représentent 10 pour cent de la population mondiale, soit autant que l’ASEAN (association des pays du sud-est asiatique (Birmanie, Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande et Vietnam).
Seule l’Otan possède des bases sur les cinq continents avec huit cent installations militaires US à l’étranger». Et, le dollar, monnaie de référence de l’univers, permet aux États Unis de s’endetter sans pâtir ».
Note
«Que reste-t-il de l’Occident» – Régis Debray Renaud Girard-Essai (Seuil).