MamAfrika TV | Par Le JDD ( 5 mars 2011 | Mise à jour le 6 mars 2011)
Tout ce que le frère « Guide » Libyen dit dans cette interview s’est réalisé…Prémonitoire. (MamAfrika TV)
EXCLUSIF. Isolé et menacé, Mouammar Kadhafi a reçu samedi midi le JDD sous sa tente au coeur de Tripoli. Le « Guide » brandit la menace d’Al-Qaïda aux portes de l’Europe.
Quelle est la situation aujourd’hui?
Vous voyez… je suis là…
Comment analysez-vous ce qui se passe dans votre pays et dans la région?
Tout le monde a entendu parler d’Al-Qaïda au Maghreb islamique. Or il y avait des cellules dormantes en Libye. Quand il y a eu la confusion en Tunisie et en Égypte, ils ont voulu profiter de la situation et Al-Qaida a donné instruction à ses cellules dormantes de faire surface. C’est ce qui s’est passé. Les membres de ces cellules se sont réveillés sur ordre et ont attaqué des casernes militaires et des commissariats de police pour prendre les armes. C’est ce qui a eu lieu à Benghazi et à Al-Baida, où il y a eu des échanges de coups de feu. Il y a eu des morts de part et d’autre. Les gens ont trouvé la mort devant le commissariat de police ou la caserne militaire. Ils ont pris les armes et se sont ensuite répandus dans les rues. Ils ont terrorisé la population de Benghazi. Aujourd’hui les gens ne peuvent plus sortir et ont peur.
D’où venaient les gens d’Al-Qaida ?
Les leaders de ces cellules venaient d’Irak, d’Afghanistan ou même d’Algérie. Certains ont été relâchés de la prison de Guantanamo.
Comment pourraient-ils convaincre les jeunes de Benghazi de les suivre ?
Ces jeunes ne connaissaient pas Al-Qaïda ni l’idéologie de cette organisation. Mais les membres de ces cellules vont jusqu’à leur donner des pilules hallucinogènes. Les meneurs d’Al-Qaïda viennent chaque jour pour parler avec eux, leur donnent ces pilules et de l’argent et leur demandent d’aller incendier des commissariats et d’attaquer des dépôts d’armes. Aujourd’hui, ces jeunes ont pris goût à ces pilules et pensent que les mitraillettes sont comme une sorte de feu d’artifice. Un de ces meneurs d’Al-Qaida, un ancien de Guantanamo, a appelé sa ville « l’émirat d’Al-Qaïda », un autre « l’émirat islamique ». Ils ont mis en place une radio, la radio du Djihad. Nous, jusqu’à présent, nous n’avons pas pris la décision d’attaquer. Eux, ils terrorisent la population. Quand il y a un aéroport, ils l’attaquent; quand il y a un port, ils l’attaquent; quand il y a un gisement, ils l’attaquent, pour que les compagnies pétrolières prennent la poudre d’escampette.
Vous pensez donc que tout cela est planifié ?
Oui, très planifié. Malheureusement, cela a été présenté à l’étranger d’une façon très différente de ce qui se passe réellement. Il a été dit qu’il s’agissait de tirs sur des manifestants paisibles… mais les gens d’Al-Qaïda n’organisent pas de manifestations! Il n’y a pas eu de manifestations en Libye! Et personne n’a tiré sur des manifestants! Cela n’a rien à voir avec ce qui s’est passé en Tunisie ou en Égypte! Ici, les seules manifestations sont celles qui soutiennent la Jamahiriya. C’est pourquoi je m’étonne vraiment que l’on ne comprenne pas qu’il s’agit ici d’un combat contre le terrorisme. Nous sommes tous dans le même combat contre le terrorisme. Nos services de renseignements coopèrent. Nous vous avons beaucoup aidé ces dernières années! Alors pourquoi, lorsque nous sommes dans un combat contre le terrorisme ici en Libye, on ne vient pas nous aider en retour !
Quand vous avez vu tomber vos deux régimes voisins, la Tunisie et l’Égypte, en quelques semaines, n’avez-vous pas été inquiet pour vous-même ?
Non, pourquoi? Notre situation ici est vraiment très différente. Chez nous, le pouvoir est au peuple. Nous n’avons pas de président qui démissionne, pas de parlement à dissoudre, pas d’élection qu’on falsifie, pas de Constitution qu’on peut amender. Nous n’avons pas de réclamations de justice sociale, parce qu’ici, c’est le peuple qui décide. Moi, je n’ai pas de pouvoir comme en avaient Ben Ali ou Hosni Moubarak. Moi, je ne suis qu’un référent, qu’une référence pour le peuple libyen. Aujourd’hui, nous, nous faisons face à Al-Qaïda, nous sommes les seuls à faire face, et personne ne veut nous aider…
A Benghazi pourtant, les meneurs ne semblent pas se référer à Al-Qaïda…
C’est possible qu’à Benghazi vous avez des juristes ou des hommes cultivés qui pensent pouvoir propager le message d’Al-Qaïda, mais en dernier ressort, Al-Qaïda les abandonnera. Les gens d’Al-Qaïda n’ont aucun sens de la démocratie, aucun sens social. Ils utilisent les juristes, les intellectuels, pour donner à leur action une coloration crédible, mais c’est tout.
Vous dites que vous n’avez pas pris la décision de reprendre le terrain perdu, mais quelles sont les options qui s’offrent à vous ?
Les autorités militaires me disent qu’il est possible d’encercler les groupuscules pour les laisser s’évanouir et s’épuiser petit à petit. Ces gens-là égorgent des gens. Ils sont allés sortir des prisonniers des prisons, ils ont commencé à leur distribuer des armes, à piller les maisons, à violer les femmes, à attaquer les familles… Les habitants de Benghazi ont commencé à appeler au téléphone pour nous demander de bombarder ces gens-là… Le peuple libyen tout entier est du côté de la révolution Jamahiriya…
Quelle initiative comptez-vous prendre à présent ?
Tout d’abord, je voudrais qu’une équipe d’enquête des Nations unies ou de l’Union africaine se rende ici, en Libye. Nous allons permettre à cette commission d’aller voir sur le terrain, sans aucune entrave.
Les organisations humanitaires ont mené une enquête qui évoque 6.000 morts… Vous contestez ce chiffre?
(Rires) Je vous donne un exemple, il y a un village dont la population est de moins de 1.000 personnes, incluant le secrétaire général du comité populaire. Ils ont dit que ce président était en fuite de son village à l’étranger. Ce jour-là, il était là, avec moi, sous ma tente! Ils ont dit qu’il y avait 3.000 morts dans ce village qui n’en compte que 1.000, et reste un village tranquille, où les gens ne regardent même pas la télévision. Il y a un autre village où des rumeurs ont dit que la Libye avait bombardé le port, or ce village est en plein désert! Il n’y a pas la mer…
Qu’attendez-vous de la France?
La France a de grands intérêts en Libye. Nous avons beaucoup travaillé avec M.Sarkozy, nous avons collaboré ensemble dans plusieurs dossiers, plusieurs causes. La France aurait dû être la première à envoyer une commission d’enquête. J’espère qu’elle changera son attitude à notre égard.
Avez vous eu au téléphone Nicolas Sarkozy depuis le début de la crise ?
Non. Si la France souhaite coordonner et diriger la commission d’enquête, j’y serais favorable. Le Conseil de sécurité de l’ONU a pris une résolution contre la Libye… Le Conseil de sécurité n’est pas compétent pour les affaires internes d’un pays. Il intervient si deux États s’affrontent, mais là, le Conseil de sécurité outrepasse ses droits sur la base de simples informations médiatiques ou de rumeurs. S’il veut s’immiscer qu’il envoie une commission d’enquête, et je vous répète que j’y suis favorable. En attendant, sa résolution est nulle et non avenue à mes yeux, en tout cas tant qu’une commission d’enquête sérieuse et indépendante ne soit venue vérifier les choses sur place.
Quel rôle jouent, selon vous, les Américains ?
(Sourire.) Comment est-ce possible que des responsables américains fassent de telles déclarations, racontant des boniments basés sur des rumeurs relayées par des médias? Quand il y a, par exemple, ici en Libye, entre 150 et 200 morts, ils ont parlé de milliers. Et ces victimes sont pour moitié de la police… Qu’ils envoient des enquêteurs! Ils verront que les morts sont devant les entrées principales des commissariats ou des casernes et qu’ils ont été tués parce qu’ils étaient en train d’attaquer. Il n’y a pas eu de tirs de soldats sur les gens dans la rue!
Depuis 1969 vous avez connu Richard Nixon et sept autres présidents américains, dont le dernier en date, Barack Obama… Qui vient de dire que vous devez « partir » et quitter le pays…
Que je quitte quoi ? Où veut-il que je parte ? Que j’aille où ? Vous avez reconnu des erreurs dans la gestion de la Cyrénaïque ? Oui, en 2006, les gens de Benghazi ont attaqué le consulat italien parce que le consul d’Italie avait fait des déclarations contre le Prophète. Les gens étaient très en colère et voulaient s’attaquer aux membres du consulat italien. Il y a eu un assaut. La police les en a empêchés et a tiré vers la foule pour éviter cette tuerie et il y a eu des morts. Au lieu de tirer en l’air, d’utiliser des balles en caoutchouc ou des canons à eau, la police, je l’admets, aurait dû évacuer les Italiens… Cette affaire a créé des tensions, oui.
La Cyrénaïque est une région où vous avez toujours eu des détracteurs, est-ce qu’il n’y a pas des demandes de plus grande autonomie, de fédéralisme…
Il y a quelque chose de cet acabit. avant l’indépendance de la Libye, en 1951, on a déclaré d’abord l’indépendance de la Cyrénaïque, qui s’est appelé l’Émirat de Cyrénaïque. C’était le premier État libyen un an ou deux avant l’indépendance complète. Le roi était l’émir de Cyrénaïque, dans la Constitution, il était le roi de Libye et l’émir de Cyrénaïque. Il y a donc une sorte de privilège là-bas… C’est une région peu peuplée, qui représente 25% de la population de la Libye, et pour laquelle nous avons accordé, dans le plan actuel, 22 milliards de dollars d’investissements. Ce sont un peu les enfants gâtés de la Libye.
Qu’attendez-vous aujourd’hui ?
Que la France prenne vite la tête de la commission d’enquête, qu’elle bloque la résolution de l’ONU au Conseil de sécurité, et qu’elle fasse arrêter les interventions étrangères dans la région de Benghazi.
Quelles interventions?
Je sais qu’il y a des contacts semi-officiels, des Britanniques, par exemple, ou d’autres Européens, avec des personnages de Benghazi. Nous avons arrêté un hélicoptère hollandais qui avait atterri en Libye sans la moindre autorisation.
Les pilotes sont-ils vos prisonniers ?
Oui et c’est normal.
À vous écouter, tout va bien… rien ne se passe…
Le régime ici, en Libye, va bien. Il est stable. Je veux bien me faire comprendre: si on menace, si on déstabilise, on ira à la confusion, à Ben Laden, à des groupuscules armés. Voilà ce qui va arriver. Vous aurez l’immigration, des milliers de gens qui iront envahir l’Europe depuis la Libye. Et il n’y aura plus personne pour les arrêter. Ben Laden viendra s’installer en Afrique du Nord et laissera le mollah Omar en Afghanistan et au Pakistan. Vous aurez Ben Laden à vos portes.
Vous brandissez le spectre de la menace islamique…
Mais, c’est une réalité! En Tunisie et en Égypte il y a un vide politique. Les islamistes peuvent déjà entrer par là. Il y aura un djihad islamique en face de vous, en Méditerranée. Ils attaqueront la 6e flotte américaine, il y a aura des actes de piraterie ici, à vos portes, à 50 km de vos frontières. Les gens de Ben Laden viendront imposer des rançons sur terre, et sur mer. On reviendra au temps de Barberousse, des pirates, des Ottomans qui imposaient des rançons sur les bateaux. Ce sera vraiment une crise mondiale et une catastrophe pour tout le monde. Cette catastrophe va s’étendre du Pakistan, de l’Afghanistan, et viendra jusqu’en Afrique du Nord. Je ne laisserai pas faire !
Quel élément sérieux avez-vous pour brandir un tel scénario ?
Je sais, grâce à nos services secrets, que les gens d’Al-Qaïda ont déjà pris des contacts avec Dako Amirov, qui est le meneur du Djihad en Russie. Nous savons que ces contacts existent, et qu’il y a des discussions pour qu’ils viennent les aider d’abord ici en Libye, puis après de renvoyer l’ascenseur.
Quel message de changement adressez-vous aux Libyens qui s’interrogent aujourd’hui ?
En ce qui concerne la Cyrénaïque, c’est une région libyenne qui est mise devant le fait accompli par des groupes armés.
Vous semblez penser que le temps joue pour vous…
Oui, parce que le peuple est dérangé par tout ça… Mais ce que je veux vous faire comprendre, c’est que la situation est grave pour l’Occident tout entier et toute la Méditerranée… Comment les dirigeants européens ne voient-ils pas cela? Le risque que le terrorisme s’étende à l’échelle planétaire est évident.
Vous ne pensez pas qu’en Libye il y ait un risque de scission, de voir le pays durablement coupé en deux, comme en Côte d’Ivoire, par exemple ?
En Côte d’Ivoire, au Soudan, il y a deux peuples, plusieurs religions, plusieurs ethnies, et de multiples différences. En Libye, il y a un seul peuple. Ce n’est pas l’intérêt de l’Occident de s’immiscer de cette manière ici. Les Américains, les Russes, les Européens, devraient nous aider au contraire. Sinon leurs entreprises seront mises à la porte par les groupes armés, et vous aurez à la place les Indiens et les Chinois… Et les sociétés européennes peuvent dire adieu à la Libye. Encore une fois, je leur demande de bien réfléchir.
Les démocraties n’aiment pas les régimes qui tirent sur leur peuple…
Je n’ai jamais tiré sur mon peuple ! Et vous ne croyez pas que le régime algérien depuis des années combat l’extrémisme islamiste en faisant usage de la force! Et vous ne croyez pas que les Israéliens bombardent Gaza et des victimes civiles à cause des groupes armés qui s’y trouvent? Et en Afghanistan ou en Irak, vous ne savez pas que l’armée américaine fait régulièrement des victimes civiles? Est-ce que l’Otan en Afghanistan ne tire jamais sur des civils? Ici, en Libye, on n’a tiré sur personne. La commission d’enquête le montrera. La moitié des morts sont des policiers et des soldats, l’autre moitié est composée d’attaquants… Je mets la communauté internationale au défi de venir prouver le contraire.
Quel délai vous donnez-vous pour une sortie de crise ?
Cela dépend du peuple libyen. Jusqu’où est-il prêt à accepter tout cela?
Les Américains menacent de bloquer vos avoirs bancaires…
Mes avoirs à moi?
Oui, à vous et à votre famille…
Je mets tout le monde au défi de prouver que j’ai un seul dinar à moi! Ce blocage des avoirs, c’est une piraterie de plus imposée sur l’argent de l’État libyen. Ils veulent voler de l’argent à l’État libyen et ils mentent en disant que c’est l’argent du Guide! Là aussi, qu’il y ait une enquête pour montrer à qui appartient cet argent. Moi, je suis tranquille. Je n’ai que cette tente.