Par Gilles Munier/
Le calife Ibrahim – Abou Bakr al-Baghdadi – a déclaré, dans son enregistrement audio du 26 décembre, que l’Etat islamique (EI) « n’a pas un instant oublié la Palestine » et dit en s’adressant aux Israéliens : « Vous ne connaitrez pas la paix en Palestine ô juifs, elle ne sera jamais votre terre ni votre demeure. La Palestine ne sera qu’un cimetière pour vous. Allah ne vous y a rassemblés que pour que les musulmans vous y tuent … ». Les Israéliens ont pris aussitôt la menace au sérieux. L’attentat du 1er janvier 2016, rue Dizengoff à Tel-Aviv semble porter la marque de l’EI. Si c’est le cas, la thèse faisant du Mossad le créateur de Daech aura du plomb dans l’aile.
Certes, la libération de la Palestine n’est pas la priorité de l’Etat islamique, mais est-ce encore celle des organisations palestiniennes depuis qu’elles ont déposé les armes pour participer au « régime d’Oslo » ? Seuls le Hamas, le Djihad islamique et le FPLP (Front Populaire de libération de la Palestine) militent encore pour la création d’une Palestine indépendante, mais ce n’est pas non plus la position de l’EI. Son but étant d’effacer les frontières tracées par les occidentaux, il n’est pas question pour Abou Bakr al-Baghdadi d’accepter une Palestine libérée autrement que comme province de l’empire qu’il veut créer.
L’exemple des Compagnons du Prophète et de Salah Eddine (Saladin)
Jusqu’à ces derniers temps, Abou Bakr al-Baghdadi recommandait la « patience » à ceux qui l’interrogeaient sur l’absence d’opérations lancées par l’Etat islamique contre Israël. Il justifiait la position de l’EI en se référant au Coran, à certains hadiths et aux faits et gestes des Compagnons du Prophète, notamment ceux des deux premiers califes : Abou Bakr (632-634) et Omar (634-644). Pour lui, la libération de la Palestine passe d’abord par la liquidation des « apostats », c’est-à-dire des musulmans qui n’ont pas la même vision du monde que lui. C’est ce qu’avait fait le calife Abou Bakr en lançant la ridda – guerre contre l’apostasie – pour étouffer avec succès les révoltes contestant son pouvoir et éliminer les individus qui, comme Musaylima, se faisaient passer pour de nouveaux prophètes. L’institution califale ayant été ainsi établie sur des bases solides par Abou Bakr, le calife Omar – son successeur – eut les mains libres pour conquérir et islamiser – en seulement dix ans – la Syrie, la Perse et l’Egypte…
Autre exemple suivi par l’Etat islamique: celui de Salah Eddine – le Saladin des Croisés, un Kurde sunnite arabisé – qui renversa la dynastie « apostate » chiite fatimide au pouvoir au Caire, ce qui lui permit de reprendre Jérusalem aux Croisés en 1187.
Les organisations palestiniennes refusent de prêter allégeance à l’EI
L’Etat islamique ne dénie pas ax Hamas ni au Djihad islamique le droit de combattre le sionisme ; il est même disposé à les y aider… mais à deux conditions, au moins : que ce soit sous son drapeau et qu’elles rompent leurs relations avec les « apostats » que sont les Frères musulmans et l’Iran chiite.
Les deux organisations palestiniennes ont évidemment refusé de prêter allégeance au calife Ibrahim. Résultat : le 30 juin 2015, dans une vidéo diffusée par l’Etat islamique, de jeunes gazaouis combattant en Syrie ont menacé de « déraciner l’Etat des juifs » et de s’en prendre au Fatah et aux « tyrans du Hamas ». Puis, à titre d’avertissement, le 19 juillet, les véhicules de responsables du Hamas et du Djihad islamique ont explosé devant leur domicile. Enfin, en septembre 2015, une vidéo de djihadistes de l’EI (Wilayat Dimashq- Province de Damas) avait demandé « à tous le gens sincères de la terre de Palestine » d’être « patients » et de combattre à leur côté.
24% des Palestiniens favorables à l’Etat islamique ?
Des militants palestiniens de l’Etat islamique sont apparu la première fois à visage découvert, à Gaza, lors d’une manifestation organisée devant le Centre culturel français, en janvier 2015, pour protester contre la caricature provocatrice du Prophète Muhammad déclarant : « Tout est pardonné » en couverture du numéro de Charlie Hebdo paru après l’attentat qui a décimé les membres de sa rédaction.
Plusieurs groupuscules clandestins gazaouis se réclamant de l’EI ont ensuite fait parler d’eux, puis une organisation appelée Les partisans de l’Etat islamique à Al-Quds a revendiqué des tirs au mortier sur une base des Brigades Al-Qassem, la branche armée du Hamas. Ce groupe clandestin aurait le soutien de Wilayat al-Sina – Wilaya du Sinaï, ex Ansar Beit al-Maqdis – qui multiplie les attaques contre l’armée égyptienne et qui a fait la Une de l’actualité, le 31 octobre dernier, en revendiquant le crash d’un Airbus A321 de la compagnie russe Metrojet, en représailles aux bombardements ordonnés par Vladimir Poutine en Syrie.
En 2014, un sondage effectué par l’Arab Center for Research and Policy Studies de Doha, au Qatar, en novembre 2015 affirmait que 24% des Palestiniens se déclaraient favorables à l’Etat islamique, un autre réalisé en novembre 2015 par l’Université de Haïfa assurait que c’était aussi le cas de 17% des Arabes israéliens.
D’après le Shin Beth (service de sécurité intérieure israélien), une quarantaine d’Arabes israéliens combattrait dans les rangs de l’EI en Syrie ou en Irak. En novembre 2015, Benjamin Netanyahou a annoncé le démantèlement d’une cellule de l’Etat islamique composée d’Arabes israéliens.
L’attentat de la rue Dizengoff à Tel-Aviv et l’« Intifada des couteaux » – qui aurait pour origine les appels lancés par Abou Muhammad al-Adnani, porte-parole de l’EI, enjoignant les musulmans ne disposant pas d’armes d’utiliser des pierres, des couteaux ou leur automobile pour tuer les « apostats », les « mécréants »et les Juifs – signifient-ils que l’organisation djihadiste a changé de stratégie ? Le jour n’est peut-être pas loin où l’Etat islamique annoncera la naissance d’une nouvelle province appelée Wilayat Palestine, compliquant un peu plus l’imbroglio proche-oriental.
Photo : Nashat Milhem, auteur présumé de l’attentat de Tel-Aviv
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