De l’indifférence des uns, et du malheur des autres
4 janvier 2016
De l’indifférence des uns, et du malheur des autres
En plein Paris, des campements se sont installés, comme des villes dans une ville. L’un d’entre eux existe et perdure, dans l’indifférence générale, et dans une misère totale. Ce sont pour la plupart des Roms, une communauté ostracisée depuis des siècles, où qu’elle aille et où qu’elle se trouve.
La porte de Clignancourt est connue pour son marché aux puces et son atmosphère multiculturelle. On pourrait croire que dans un pareil endroit, tout le monde il est heureux, tout le monde il est pote.
Or, le long de l’ancienne voie ferrée, s’étire sur plus de 200m, entre le Boulevard Ney et la Rue Belliard, ce qu’on pense trouver uniquement au Brésil: des favelas.
A l’heure où les autorités parlent de solidarité, en cette période de trêve de fin d’année, on trouve, en plein Paris (dans le 18ème plus précisément), des gens dont beaucoup d’enfants vivent comme en l’an Mil.
J’avais déjà travaillé en Roumanie, et la question Rom ne m’était pas étrangère. Je m’approche du campement. Une planche en bois me permet d‘entrer dans le campement. Des cabanes s’étirent, deux voire trois familles entassées dans chacune d’entre elles. Pas de chauffage, pas d’électricité. Juste des cheminées, une odeur de plastique brulé et d’immondices.
Une personne s’approche de moi. Je rassemble les quelques mots que je connais de roumain et je m’entretien avec cette personne. Trajan* nous dit que tous viennent de Roumanie, sauf 3 Syriens. Il est là depuis une semaine, et nous dit qu’il ne restera pas longtemps.
Partira-t-il? Et si c’est le cas, où? Je n’en saurai pas plus; d’autres gens s’approchent et me regardent de travers; je préfère ne pas m’attarder.
Je cherche des témoignages de la part de riverains et de la part des autorités. En vain. J’arrive à m’entretenir enfin avec quelques commerçants.
Certains compatissent et parlent de solidarité comme Paul*, boulanger.
Il y a des gitans qui trainent et qui passent à la boulangerie; ils m’ont demandé des baguettes et du pain, et ça dérange les clients, qui n’aiment pas voir ça dans un quartier parisien. Ça fait mal au cœur, donc on leur donne du pain, ça ne nous coûte rien.
Cette histoire ne va jamais finir; il y a le parc où ils trainent, juste à côté d’une école, c’est chaud pour les enfants. Je n’ai rien contre eux, mais ça fait un moment que ça dure, deux ans- trois ans.
Préfecture, mairie et nous-mêmes devons être solidaires, et être plus efficaces. Si ça continue comme ça, ce sera un problème pour tout le monde. Ils pourraient vivre dans des appartements. Mais ça c’est du ressort de la mairie et de la police.
D’autres parlent de vols, d’insalubrité et de violences. Comme en témoigne Jean*, un autre commerçant
J’ai aucun problème personnellement avec les Roms, mais des Roms viennent des fois dans le magasin, et il faut être derrière eux pour savoir s’il n’y aura pas de vol. En plus leurs conditions de vie, sur les voies ferrées ne doivent pas être géniales. Je connais des gens qui travaillent à la RATP, et ils connaissent le campement depuis 2 ans.
La question de santé est régulièrement posée, et le manque de prise en main des pouvoirs publics à cet égard est flagrant, selon Marc*, gérant et voisin du campement, qui nous parle de 1000-2000 personnes vivant dans le campement.
Le campement que l’on voit aujourd’hui a été commencé cet été et grandit de jour en jour, et s’étend sur 300-400 mètres. C’est un lieu en contrebas de toute visibilité, on peut passer à côté et ne pas se rendre compte que des gens vivent dans des conditions désastreuses et dangereuses. La seule difficulté pour les riverains et ceux qui travaillent dans le quartier réside dans l’odeur de plastique brûlé.
C’est étonnant qu’il n’y ait pas eu encore d’incendie lié à leurs cheminées. En tant que personnes, nous avons essayé de joindre la mairie du 18ème Arrondissement sur les conditions, et c’était il y a quelques mois, il ne faisait pas encore zéro degrés la nuit, mais nos demandes n’ont pas donné de suites. Une situation qui se détériore avec l’hiver qui arrive, et des baraques qui s’ajoutent chaque jour, dans lesquelles s’entassent plus de mille personnes, dont la moitié des enfants.
En fin de compte, c’est un laisser-aller général ambiant, sans initiative, ni changement, juste un agrandissement du problème comme nous le confirme René*, un employé riverain.
La question est surtout sanitaire. Depuis les 3 mois que je travaille dans le quartier, j’ai vu beaucoup de monde partir et arriver. J’ai rien vu en ce qui concerne les autorités, les associations ou les forces de l’ordre; à part les habitants du campement, personne n’y est jamais entré. C’est une situation qui stagne.
« Une situation qui pourrit » serait un terme plus approprié. Ni la Mairie du 18ème Arrondissement, ni la RATP, ni Pôle Emploi (pourtant voisins du campement) n’ont voulu faire de commentaires. Aucune mesure n’a été prise par SNCF Réseau, pourtant responsable de voies.
En gros, c’est bien l’inaction et l’indifférence des autorités quant au sort de ces personnes qui choquent, au-delà des conditions de vie monstrueuses. Pourtant, un campement similaire avait été évacué l’année dernière, toujours sur les rails de la Petite Couronne, à cause des risques d’incendies.
En attendant, entre 1000 et 2000 personnes passeront peut-être l’hiver dans un trou.