L’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine ignore la situation géopolitique de l’Ukraine et ses interactions avec la Russie. L’accord contre Moscou est plus qu’un pur traité de commerce. L’accord est de la dynamite politique mondiale.
La chancelière fédérale Angela Merkel avec le premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk dans la chancellerie fédérale à Berlin, en octobre 2015. (Photo : EPA/GUIDO BERGMANN / GERMAN GOVERNMENT)
Dans quelques jours, le 1er janvier 2016, l’accord d’association contesté entre l’UE et l’Ukraine entrera en vigueur. L’Ukraine secouée par les crises en profitera très peu.
L’Ukraine dépend de la coopération avec la Russie non seulement dans le secteur du gaz, mais aussi dans tout son commerce extérieur. Les accords de libre-échange, toujours en vigueur malgré les différents conflits, sont abandonnés le 1er janvier par Moscou en réaction sur le traité avec l’UE, par conséquent tous les espoirs se tournent vers l’UE.
Une légende obstinée court chez tous les candidats à l’adhésion, tout comme en Ukraine, selon laquelle une adhésion à l’UE serait liée à une manne financière venant de Bruxelles. Les élites de l’UE renforcent cette croyance avec de belles paroles sur les avantages d’une adhésion.
La corne d’abondance est vide depuis longtemps. Aujourd’hui, l’Union est devenue un club d’États désespérés, luttant avec des déficits budgétaires et tentant en vain de faire des économies.
La dernière tentative en date d’aider un pays, comme cela a été le cas avec la Grèce, a échoué lamentablement.
Ainsi dès la semaine prochaine, l’Ukraine commencera à ressentir la réalité de l’UE actuelle : le budget de l’État doit être équilibré – une exigence qui n’a pas beaucoup de sens pour un pays ruiné. Les lois doivent correspondre aux principes de l’UE – une règle qui paraît totalement frivole face au démantèlement de l’État de droit en Pologne et en Hongrie. Surtout en Ukraine où, dans le dénuement total, beaucoup de gens voient dans la corruption une simple stratégie de survie.
L’Ukraine a besoin d’investissements, d’investissements et encore d’investissements.
La politique de rigueur de l’UE, couplée avec la régulation de presque tous les aspects de la vie, agit depuis des années comme un frein à l’investissement, même dans les pays stables et riches. L’Ukraine ruinée ne peut pas se permettre d’adhérer à l’UE et, en outre, l’accord d’association qui entre maintenant en vigueur est conçu comme une espèce d’adhésion light. L’Ukraine aurait besoin d’un plan Marshall, que l’UE ne peut ou ne veut pas financer.
La flotte russe dans un État de l’Otan ?
L’Union européenne mène une politique hostile à la Russie sur le dos de l’Ukraine : la Russie actuelle est mise sur le même pied que l’ancienne Union soviétique. On combat aujourd’hui les anciennes agressions avec retard.
L’annexion de la péninsule de Crimée par Moscou est une occasion bienvenue. Ce geste est interprété comme la preuve que la politique soviétique se poursuit. Pour prévenir tout malentendu : les graves déficits démocratiques dans la politique de la la Russie actuelle sont insupportables. Simplement, ils ne sont pas vraiment pertinents pour juger de la crise de l’Ukraine.
Certains liens sont négligés. Les dirigeants ukrainiens, sous la présidence de Petro Porochenko, s’introduisent dans l’Otan et si, du côté de l’Otan, ces avances ne sont pas exaucées jusqu’à présent, elles sont accueillies avec bienveillance.
Sauf que la flotte russe de la mer Noire russe est stationnée en Crimée en vertu d’un traité à long terme avec l’Ukraine. Une adhésion de l’Ukraine à l’Otan aurait signifié qu’une partie importante de l’armée russe se serait tout à coup retrouvée à l’intérieur de l’ Otan. Aucun gouvernement russe, quelle que soit sa position, ne pourrait accepter passivement un tel développement.
La vision de Bruxelles, selon laquelle il serait possible d’impressionner la Russie sur cette question par des sanctions économiques, qui ont été étendues il y a quelques jours, témoigne d’un manque de connaissance de l’histoire : depuis des siècles, un élément central de la politique étrangère et de défense russe réside dans la sécurisation de la frontière ouest par un glacis formé de pays amis ou opprimés. Le territoire de l’Ukraine s’étend comme une immense porte d’entrée dans le territoire que Moscou considère comme un espace russe.
Le paradoxe : l’Occident qualifie l’annexion de la Crimée d’agression. A Moscou, l’intégration éventuelle de l’Ukraine dans l’Otan est perçue comme une progression de l’Ouest en direction de Moscou. Le flirt de la politique ukrainienne avec l’alliance militaire occidentale met donc l’ensemble du pays en question et représente une énorme menace pour la paix mondiale déjà fragile.
Bref, l’Ukraine n’est pas un pays européen comme un autre, même si sa partie occidentale faisait partie de la monarchie austro-hongroise. En ce qui concerne l’Ukraine, une politique de neutralité politique et militaire serait recommandée, soutenue par des accords économiques avec l’Occident et avec la Russie.
L’UE n’est plus seulement une communauté économique.
La crise en Ukraine est devenue aiguë quand Viktor Ianoukovitch, le prédécesseur pro-Moscou du président Porochenko, a mis abruptement fin aux négociations sur un accord d’association avec l’UE, à la demande de Moscou.
En conséquence, en février 2014, une révolution a éclaté chassant M. Ianoukovitch du pouvoir et installant un régime pro-UE et critique de la Russie.
Dans de longues négociations, les dirigeants de l’UE ont usé de toute leur éloquence pour convaincre Moscou que l’Ukraine ne tirerait profit de l’accord que sur le plan économique et pourrait évidemment continuer à vivre dans les meilleurs termes avec la Russie. Et qu’il fallait banaliser le fait que ce contrat comprenne non seulement un accord de libre-échange, mais soit aussi connecté à la politique de défense de l’UE.
On ne peut pas éviter l’impression que l’élite de l’UE – tout comme le grand public en général – n’a toujours pas lu le traité de Lisbonne, en vigueur depuis 2009.
Car effectivement, depuis le traité de Lisbonne, l’UE n’est plus seulement une union économique, mais aussi une union de défense bien définie avec des obligations de solidarité des membres individuels entre eux. On s’engage à développer sa propre armée et à la possibilité de mener des actions militaires hors de l’UE. Le traité fait expressément référence à la participation de certains États membres à l’Otan. Le traité de Lisbonne prévoit également la possibilité qu’un groupe de membres crée une alliance et passe à l’action militaire, en coordination avec l’Union européenne, ou même simplement en l’en informant.
On peut sourire de cette démonstration de muscles figurant dans le texte du Traité de Lisbonne, en considérant l’action actuelle de l’UE, qui ne se caractérise pas particulièrement par la force actuellement. Les membres de l’UE et les pays qui veulent s’y joindre doivent tenir compte de cette volonté de pouvoir mondiale.
En tout cas, le traité de Lisbonne a été lu avec beaucoup d’attention à Moscou.
Par Ronald Barazon – Le 28 décembre
Source: Deutsche Wirtschafts Nachrichten
Ronald Barazon a été pendant de longues années rédacteur en chef des Salzburger Nachrichten. Il est l’un des journalistes économiques les plus respectés en Europe et il est aujourd’hui rédacteur en chef du magazine Der Volkswirt et modérateur à l’ORF.
Traduit par Jefke pour le Saker Francophone