Ces troubles ont débuté après le décès samedi à Kasserine (centre) d’un chômeur de 28 ans, Ridha Yahyaoui, électrocuté après être monté sur un poteau. Il protestait avec d’autres contre son retrait d’une liste d’embauches dans la fonction publique.
Un air de déjà-vu
En Tunisie, ce drame et les violences qui l’ont suivi ont un air de déjà-vu. « C’est comme si nous étions encore à la fin 2010-début 2011 », écrit jeudi le quotidien arabophone Al Chourouk. « De Bouazizi à Yahyaoui, les motifs et la manière se répètent. Les résultats seront-ils les mêmes? », se demande le journal en allusion à Mohamed Bouazizi, le vendeur ambulant qui s’est immolé par le feu en décembre 2010 à Sidi Bouzid, non loin de Kasserine. Ce geste, à l’origine du Printemps arabe, avait déclenché un soulèvement populaire et la chute de la dictature de Zine el Abidine Ben Ali. Mais si la Tunisie a réussi la transition politique née de la révolution, l’exclusion sociale et les disparités régionales persistent.
Les vives tensions à Kasserine, où les forces de l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogène et de canons à eau contre des rassemblements de plusieurs centaines de personnes, se sont propagées à partir de mardi à d’autres villes alentour. A Tunis, quelque 150 personnes ont également manifesté mercredi et brandi des portraits du chômeur décédé, en clamant « Le travail est un droit ». En soirée à Feriana, à une trentaine de kilomètres de Kasserine, un policier de 25 ans est décédé durant la dispersion d’une manifestation, selon le ministre de l’Intérieur, qui n’a pas détaillé les circonstances. Une source de sécurité a affirmé à l’AFP que le véhicule du policier s’était renversée lors de la dispersion du cortège.
Plus d’un millier de personnes, souvent jeunes, se sont à nouveau rassemblées jeudi matin devant le gouvernorat à Kasserine, a constaté une journaliste de l’AFP. Sous une très forte présence sécuritaire, nombre d’entre eux cherchaient à obtenir des renseignements sur le recrutement de 5.000 chômeurs annoncé la veille en urgence par le porte-parole du gouvernement, Khaled Chaouket.
‘Effrayante réalité’
« Nous sommes là depuis 07H00 mais aucun responsable n’est sorti pour nous parler jusqu’à maintenant. Ce sont des promesses en l’air », a déclaré Houcem el Rhili, 24 ans. « Nous sommes prêts à travailler sur des chantiers s’il le faut. Que quelqu’un sorte et nous parle! », ont clamé Mohammad et sa femme, dénonçant une « situation insupportable ».
Signe de la tension, un jeune homme a tenté de se jeter du haut du toit du gouvernorat, avant d’être retenu in extremis par d’autres personnes, selon la journaliste de l’AFP.
Les routes menant à Kasserine portaient les stigmates des heurts des derniers jours: pneus calcinés, cartouches de lacrymogènes et pierres jonchant les rues.
Dans la presse, plusieurs titres rappelaient qu’à l’origine des troubles figure « l’effrayante réalité des inégalités régionales ».
Alors que la Tunisie ne parvient pas à relancer son économie, le chômage dépasse 15% au niveau national et atteint le double chez les diplômés. Ces taux sont encore supérieurs dans l’intérieur du pays. En 2015, la croissance devrait être inférieure à 1%, notamment plombée par la crise du secteur touristique, conséquence de l’instabilité et des attaques jihadistes.
Le gouvernement a récemment été remanié, après une première année jugée décevante. Le président Béji Caïd Essebsi a fait valoir mercredi que celui-ci avait « hérité d’une situation très difficile » avec « 700.000 chômeurs et parmi eux 250.000 jeunes diplômés ».
« On ne peut résoudre des situations comme ça par des déclarations ou un coup de pouce. Il faut (laisser) du temps au temps », a-t-il argué.
Président du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), Abderrahman Hedhili a de son côté estimé que de tels évènements « étaient depuis longtemps prévisibles ». « Nous avons averti que la situation sociale allait exploser. Les gens ont attendu (…) mais le gouvernement n’a pas de vision, pas de programme pour les régions intérieures », a-t-il dit à l’AFP.