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27 décembre 2024

« L’Algérie vit la crise la plus profonde de son histoire »


Algérie Résistance

Ali Benouari :
« L’Algérie vit la crise la plus profonde de son histoire »

Mohsen Abdelmoumen


M. Ali Benouari. DR.

Vendredi 22 janvier 2016

Mohsen Abdelmoumen : En tant qu’économiste et ancien ministre algérien du Trésor, que pensez-vous de la situation économique actuelle de l’Algérie ?

Ali Benouari : L’Algérie vit la crise la plus profonde de son histoire. Non en raison de l’ampleur de ses déficits actuels, car on a vu pire. C’était entre 1986 et 1994, quand le premier effondrement des prix du pétrole avait conduit le pays au rééchelonnement de sa dette extérieure. Le niveau actuel des réserves de change donne une marge de 3 ans, qui permet théoriquement de voir venir, mais la situation est plus grave pour plusieurs raisons.A. Le niveau des importations incompressibles s’est considérablement élevé. En 2019, il se situera, selon les spécialistes, à environ 70 milliards de dollars, dont 20% représenteront une importation de services, liés à la production et à la commercialisation des hydrocarbures, à la gestion des aéroports, à la distribution de l’eau potable dans nos grandes villes, à la réalisation de grands travaux d’infrastructures, à la gestion des lignes de tramway et de métro, etc. La baisse des revenus d’exportation, liée à l’effondrement de la mono-ressource d’exportation (hydrocarbures) engendre des déficits qui seront bientôt impossibles à financer, dans l’hypothèse du maintien de l’actuel modèle de gouvernance.

On puise déjà depuis deux ans dans les réserves de change, mais au rythme des déficits actuels, celles-ci disparaîtront au plus tard en 2019. Dans la mesure où peu de spécialistes voient le prix du pétrole remonter au delà de 50 dollars d’ici là, le déficit de notre balance des paiements continuera à se creuser, pour atteindre les 40-50 milliards de dollars par an. Devant l’impossibilité où le pays se trouvera alors de financer un déficit aussi important, il devra se résoudre à des ajustements aussi brutaux que douloureux.

Cette élévation du niveau des dépenses incompressibles s’explique par l’augmentation de la population qui double tous les 20 ans et l’élévation de son train de vie consécutive aux transferts sociaux importants qui représentent aujourd’hui 30% du PIB, un record mondial. L’amélioration relative du pouvoir d’achat résulte, non d’une élévation de la productivité de l’économie, mais de l’augmentation des dépenses publiques, qui ont fait exploser la consommation, couverte essentiellement par les importations. Celles-ci ont été multipliées par presque sept au cours de la période 1999-2015. Il est difficilement imaginable dans ces conditions que le pays (État, ménages et entreprises confondus) puisse supporter une baisse drastique des importations, d’autant plus que la population est appelée à s’accroitre de 5 millions d’habitants entre 2014 et 2019. En deçà de ce seuil d’importations incompressibles, des problèmes sérieux affecteront l’appareil productif, le commerce et le fonctionnement de nos services publics, entrainant un accroissement du chômage et de l’inflation.

La seule réponse possible, devant les énormes difficultés financières, sera d’entrer en négociation avec le FMI pour obtenir des tirages qui deviendront de plus en plus conditionnels, à mesure que nos besoins financiers augmenteront, jusqu’au moment où il faudra nous résoudre à signer un plan d’ajustement structurel extrêmement contraignant, celui-ci étant nécessaire pour obtenir le blanc-seing pour convaincre les marchés financiers. Mais les conditions qui seront posées par le FMI seront impitoyables. Il faut réduire la demande solvable, l’ajuster au niveau de nos ressources, faute de pouvoir augmenter l’offre, du moins à bref délai. Des émeutes de la faim ne sont pas à exclure à l’horizon 2019. Le pouvoir algérien, qui se flattait d’avoir réussi à maintenir le pays en dehors des turbulences du Printemps arabe risque d’être gagné a son tour par la contestation. Plus grave, les forces centrifuges, à l’œuvre depuis longtemps, ne manqueront pas de profiter du chaos qui s’installera pour menacer la cohésion nationale et remettre en cause l’intégrité et la souveraineté du pays.

Cependant, dès cette année, des troubles sociaux apparaitront, qui iront en s’amplifiant, car la population acceptera difficilement une remise en cause de ses conditions de vie. On en a un petit aperçu à travers les mouvements sociaux qui ont commencé dès la promulgation de la loi de finances pour 2016, qui a introduit des augmentations des tarifs, dont les carburants, l’eau et l’électricité. Une loi de finances construite sur la révision de la politique de subventions tous azimuts suivie depuis des années. La fin de la paix sociale n’est pas loin. Une paix sociale à laquelle on a sacrifié une bonne partie du potentiel de développement du pays. On estime que près de mille milliards de dollars auront été dépensés en 20 ans (1999 et 2019), avec comme seule contrepartie un champ de ruines économique et social…

B. Le pays a pris du retard dans tous les domaines: l’éducation, la formation professionnelle, l’industrie, le secteur financier, les infrastructures de transport, notamment ferroviaires, le tourisme, l’agriculture, les énergies renouvelables, etc. Ce retard deviendra impossible à rattraper si on épuise ce qui reste de ressources financières, c’est à dire les réserves de changes et le fonds de régulation de recettes. Or, les unes comme l’autre ont commencé à fondre comme neige au soleil. Les réserves de change actuelles seront en effet sollicitées pour financer les déficits croissants de la balance des paiements. En 2019, elles auront complètement disparu, laissant un solde déficitaire annuel de près de 50 milliards de dollars. On ne trouvera pas à emprunter sur les marchés financiers, à cette date, le dixième de ce montant. On parle de retour à l’endettement extérieur dès cette année, mais c’est un exercice périlleux car il est à parier qu’on ne pourra pas emprunter sur des durées à moyen terme (supérieures à 3 ans) car à cette échéance de trois ans, le pays est déjà insolvable. Le Gouvernement de Sellal, comme précédemment celui de Ouyahia, reconnaissent leur échec publiquement, mais ni eux, ni le Président qu’ils servent sans discontinuer depuis 1999, ne semblent disposés à laisser le pouvoir à d’autres. Les plans de relance et de restructuration annoncés par le Gouvernement sont utopiques car il est impossible de faire de la relance sans les ressources pour la financer et sans les reformes politiques pour faire passer les sacrifices qui seront demandés au peuple.

Comment qualifiez-vous le fait que le chef de cabinet à la présidence, Ahmed Ouyahia, s’attaque à vous sans avoir le courage de vous nommer, lors de la présentation du projet de la « Constitution » ?

Il est d’abord étrange, en effet, que ce personnage, qui a reconnu publiquement avoir échoué dans tous les domaines, soit encore au centre du Pouvoir, au point que le Président lui ait confié l’importante tâche de consultation et de préparation du projet de Constitution. Encore plus étrange qu’il évoque ma modeste personne, sans appareil et sans parti, lors de la présentation du projet de Constitution.

En lisant bien les articles 51 et 73, on ne peut manquer d’y trouver, là encore, une allusion indirecte à ma personne. Le but est apparemment, après m’avoir interdit de déposer le dossier de mon parti (une discrimination qui n’a frappé aucun parti), de m’interdire de me présenter à la prochaine élection présidentielle, même au prix d’une renonciation à ma nationalité suisse. Des alinéas ont été rajoutés à l’article 73 qui corroborent ce sentiment : obligation faite à l’épouse de ne pas avoir une seconde nationalité, obligation d’avoir résidé en Algérie pendant 10 années consécutives. Le premier alinéa est encore plus édifiant : il ne faut pas avoir possédé une nationalité étrangère. Sous-entendu, le fait d’y renoncer ne change rien. L’article 51 semble, quant à lui, avoir été rédigé pour m’interdire tout accès à une fonction politique.

Une question mérite d’être posée : pourquoi craint-on à ce point Ali Benouari ? Je ne peux pas, et ne veux pas répondre à cette question. Je laisserai le soin à ceux qui me connaissent, qui ont suivi ma campagne électorale et pris connaissance de mon programme de le faire…

J’observe cependant que ce personnage n’en est pas à sa première attaque personnelle. À chaque fois que j’apparais sur le devant de la scène, pour quelque raison que ce soit, il utilise l’artillerie lourde. La première fois en 1994 quand il a voulu m’empêcher de participer, en tant qu’expert invité par la Présidence, à la Conférence nationale consacrée à la situation économique du pays. Le Président Zeroual a du intervenir en personne en m’imposant à cette conférence et en le désavouant publiquement.

La seconde fois en Janvier 2006, après la publication dans El Watan des 24 et 25 Décembre 2005 de mon « plaidoyer pour la convertibilité totale du dinar » (disponible sur le net, via Google). J’ai eu droit comme il y a une quinzaine de jours, à une attaque directe sur la chaîne de TV publique. Il me déniait le droit de participer à la réflexion sur des sujets intéressant l’économie nationale, en mettant en avant, pour cela, le fait que je participais à des élections en Suisse.

Appréciez-donc la constance de ses attaques personnelles. C’est ce qui m’a fait réfléchir et m’a permis d’arriver à la conclusion que cet individu sert les intérêts de gens que j’ai autrefois attaqués, quand j’étais au Gouvernement, pour de graves malversations. Ces gens-là m’avaient menacé de mort à l’époque, menaces qui se sont poursuivies tout au long des années 90 et 2000, et se poursuivent encore.

Je n’ai pas d’autres explications, sachant que je ne l’ai jamais rencontré ni eu affaire à lui. Pour autant, je n’exclus pas que cette fois-ci, il a agi pour le compte du pouvoir actuel. L’homme des sales besognes, comme on l’appelle, a toujours su servir le maître du moment. Cela laisse à penser que je dérange le pouvoir actuel et la faune d’affairistes qui gravitent autour. Mon projet politique, qui rencontre un succès grandissant, pourrait expliquer tous les obstacles qu’on dresse devant moi et mon parti, Nida El Watan. Mais ils se trompent lourdement dans leurs calculs. Mon patriotisme a le souffle long. Les obstacles constitutionnels et ceux liés à ma nationalité suisse me rappellent ceux que le régime de Houphouet-Boigny avait mis en avant pour empêcher un certain Alassane Ouattara de participer à l’élection présidentielle ivoirienne. Le déni de son ivoirité ne l’a pas empêché de devenir l’actuel Président de Côte d’Ivoire.

Ne pensez-vous pas qu’il s’agit d’une régression majeure quand le chef de cabinet à la présidence s’attaque à des personnalités telles que vous ? Ouyahia règle-t-il des comptes avec vous ?

La réponse est dans la question précédente. Je réponds quand même à celle-ci, sur le volet « régression majeure » dans les principes qui doivent gouverner un État digne de ce nom. Oui, il y a une régression qui fait de notre pays une sorte de République bananière. Les personnes qui sont au pouvoir ne paraissent être ni des hommes politiques, ni encore moins des hommes d’État. Ils se conduisent comme des gangsters qui ont commis un casse…

Ahmed Ouyahia était-il dans son rôle de présenter le projet de la « Constitution » ?

Clairement non, car ses échecs passés et son impopularité ne l’y prédisposent nullement. Ensuite, il reste un chef de parti même s’il est directeur de cabinet du président. Enfin, je dirais que la Constitution d’un pays n’est pas un document ordinaire. Elle ne peut être que l’œuvre de représentants élus du peuple souverain.

Vous avez évoqué entre autres la possibilité d’une famine en Algérie. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

J’y réponds en partie dans votre première question. J’ai parlé de famine car nous sommes dépendants à 90% de nos importations pour notre alimentation et ces besoins n’arrêtent pas de croître. En 2014, nous avons importé quelque 7,5 millions de tonnes de céréales. Outre la difficulté où nous serons de financer cette massive importation, il faut tenir compte de la paupérisation extrême des gens, qui sera provoquée dans les années qui viennent par la généralisation du chômage et par l’inflation qui résultera de l’inévitable et massive dévaluation du dinar. Il n’est pas exclu que l’on verra l’apparition de bons d’achat à prix réduits, mais la désorganisation du pays rendra cette option très difficile à mettre en œuvre.

La diaspora algérienne est visée dans certains articles de cette nouvelle mouture de la « Constitution ». Pensez-vous que le pouvoir actuel a le droit d’instaurer ce qui s’apparente à un code de l’indigénat qui classe les Algériens en deux collèges ?

Oui, un double collège qui exclut 20% de la population. Une discrimination extrêmement grave car c’est en partie de cette diaspora que pourra venir le salut du pays. J’aimerais préciser à ce sujet que ce n’est pas uniquement l’article 51 qui les vise, contrairement à ce que le laisse entendre ici ou là, mais c’est aussi l’article 73, qui concerne les conditions d’éligibilité à la magistrature suprême. Ou les algériens de la diaspora sont égaux à ceux restés au pays, ou ils ne le sont pas. Leur exclusion entraînera une désaffection des générations nées hors d’Algérie à l’égard de leur pays d’origine. Une auto-renonciation peut-être, à terme, à leur passeport algérien. Ce sera un véritable drame. Mais, qui sait, c’est peut-être l’objectif recherché par les auteurs de ce projet de Constitution.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

Qui est Ali Benouari ?

Ali Benouari est un homme politique algérien et ancien ministre né en 1951 à Bougaà dans la Wilaya de Sétif. Titulaire d’un DES en Sciences Économiques et diplômé de l’Institut d’Études Politiques d’Alger. Il a occupé des postes à responsabilité dans différents centres financiers, comme la Banque centrale d’Algérie, le Groupe Al Saudi Banque à Paris et la Société Générale à Genève. Il a également à son actif une carrière d’enseignant-chercheur à l’Université d’Alger, comme Maître assistant à l’Institut d’Etudes politiques et à l’Institut de Sciences économiques.

Il a fondé à Genève la société de conseils en partenariats industriels et financiers, Ecofinance, une entreprise qu’il dirige depuis une vingtaine d’années. Il a également fondé la première banque étrangère en Algérie, la Société Générale Algérie, dont il a été le premier président, de 1999 à 2004.

Il a également fondé diverses associations, dont : la Fondation Luc Montagnier à partir de 2008, dont il est Secrétaire Général et membre du Conseil de La Fondation ; l’association DiverCité, en 2009, pour lutter contre l’exclusion sous toutes ses formes, et favoriser la promotion politique des Suisses issus de l’émigration ; l’Union des Maghrébins de Suisse en 2009 ; la Fondation Novembre, en cours de fondation, dont le but est de perpétuer le serment prêté par nos aînés en Novembre 1954 et rappeler que leur dur et long combat pour la liberté, la justice et la dignité, est toujours d’actualité.

Il a été ministre du Trésor sous les Gouvernements Ghozali I et II, et a été candidat à l’élection présidentielle de 2014.

Détenteur de la double nationalité, Ali Benouari réside en alternance entre la Suisse et l’Algérie depuis 1992, militant pour la modernisation économique et sociale de son pays d’origine, intervenant dans tous les débats, donnant des conférences et publiant ses contributions dans la presse algérienne et internationale.

Published in Oximity, January 22, 2016:https://www.oximity.com/article/Ali-Benouari-L-Algérie-vit-la-cri-1

Reçu de l’auteur pour publication

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Source: Mohsen Abdelmoumen
https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/…
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