Les 143 tonnes d’or de Kadhafi et la guerre contre la Libye
29 janvier 2016
Les 143 tonnes d’or de Kadhafi et la guerre contre la Libye
La guerre contre la Libye a-t-elle été une intervention humanitaire ? La correspondance de l’ancienne ministre américaine des Affaires étrangères prouve que l’Occident avait des intérêts dans le renversement de Kadhafi.
Pourquoi l’Occident est-il intervenu en Libye en 2011 ? À l’époque déjà, les observateurs avaient découvert que la guerre n’allait pas aboutir à plus de Droits de l’homme et de démocratie, mais qu’elle était en fait menée pour des intérêts économiques et géostratégiques purs et durs. C’est ce qui ressort en outre de la correspondance par mail, récemment révélée, de l’ancienne Secrétaire d’État américaine (l’équivalent de notre ministre des Affaires étrangères), Hillary Clinton. Cette publication a été ordonnée par le Département d’État même (le ministère américain des Affaires étrangères).
En tant que secrétaire d’État, Hillary Clinton ne s’en était pas tenue aux sévères consignes de sécurité qui avaient été instaurées par le président Barack Obama dans les années 2009-2013. Il était en effet interdit d’échanger des mails officiels sur son propre serveur privé. Les critiques ont présumé que Clinton l’avait fait pour soustraire cette correspondance au contrôle public et pour se protéger personnellement contre d’éventuelles conséquences. Elle-même prétend qu’elle ne l’a fait qu’en raison de la « facilité d’utilisation ».
Des mails explosifs
La dernière fournée de quelque 5 500 documents de Clinton a été livrée en pâture sur le Net à la veille du nouvel an, dans l’intention, naturellement, d’attirer le moins possible l’attention à un tel moment. Et cela a partiellement marché. En Allemagne, seuls des éléments peu compromettants ont été mentionnés dans la presse. À savoir que la chancelière allemande Angela Merkel n’appréciait guère le « phénomène Obama ». Ce sont entre autres The New York Times et The Guardian (Grande-Bretagne) qui ont fait état de ce mail qui a été repris ensuite par Die Welt. Le contenu politique explosif d’un courriel daté du 2 avril 2011 sur la guerre en Libye a toutefois été entièrement négligé par les médias traditionnels.
Ce courriel provenant de Sidney Blumenthal, un bon vieux copain de Clinton qui s’était fait une réputation mondiale en tant que lobbyiste et « médiateur en informations » entre hommes politiques, services de renseignement et chefs d’État. Dans son mail, Blumenthal déclare que « le gouvernement de Kadhafi disposait d’une réserve d’or de 143 tonnes et d’une quantité comparable d’argent (métal). » L’or avait été accumulé longtemps avant l’insurrection dans le but de développer un monnaie panafricaine sur base du dinar libyen, couvert par cet or. Ce plan aurait été imaginé « afin de proposer aux pays africains francophones une alternative au franc CFA ». C’est pour empêcher cela que les Français ont entamé la guerre contre la Libye.
Plus fort encore : à ce moment-là circulaient des rumeurs sur des plans de Kadhafi en vue de briser l’hégémonie française sur les anciennes colonies africaines. Pour atteindre ce but, il semblait décidé à utiliser la richesse pétrolière de son pays. C’était manifestement inacceptable pour Paris. La France aurait ainsi perdu sa « souveraineté » sur les mines d’uranium dans le Nord-ouest de l’Afrique, et cet uranium était indispensable pour le programme nucléaire français, tant civil que militaire.
Le courriel de Blumenthal à Hillary Clinton est clair sur le rôle de la France : « Les services de renseignement français ont découvert ce plan peu après le début de la révolte. Selon des personnes bien informées, la réserve d’or et d’argent de Kadhafi est estimée à plus de 7 milliards de dollars. C’est l’une des raisons qui ont poussé le président Nicolas Sarkozy à attaquer la Libye. Selon ces personnes, Sarkozy a également été motivé par les points suivants : 1) le désir se s’emparer d’une partie plus importante de la production pétrolière de la Libye ; 2) accroître l’influence de la France en Afrique du Nord ; 3) améliorer la situation politique intérieure en France même ; 4) donner l’occasion aux militaires français de conserver leur position dans le monde ; 5) calmer les inquiétudes de ses conseillers à propos des plans de Kadhafi en vue de repousser la France en tant que puissance dominante en Afrique francophone. »
Mais, officiellement, on a diffusé avec succès une version de l’histoire prétendant que la guerre contre la Libye a été menée par souci de la démocratie, des Droits de l’homme et de la liberté.
Le 19 mars 2011, à midi, avec l’« Opération Harmattan » de la France, débutait la guerre d’agression occidentale contre la Libye. La guerre allait durer jusqu’au 31 octobre 2011. Plus de 7 500 bombes allaient être larguées et il y eut également des attaques de missiles. Le nombre de morts est estimé entre 10 000 et 50 000. 15 jours après le début de l’intervention, les bombardiers français et britanniques n’étaient pas encore parvenus à éliminer les défenses antiaériennes libyennes. Et les Américains avaient donc repris la direction des opérations. Les pays de l’Otan avaient fait mine de soutenir l’« opposition démocratique » au dirigeant Mouammar Kadhafi. Dans le cadre du « Printemps arabe », il y avait d’ailleurs également eu des révoltes en Tunisie, en Algérie et en Égypte. Après la prise de Syrte, le 20 octobre, le colonel Kadhafi avait été capturé par les insurgés et torturé à mort. La secrétaire d’État américaine de l’époque, Hillary Clinton, avait été très amusée par ce lynchage particulièrement violent. Le visage rayonnant, elle allait faire allusion devant les caméras à la fameuse phrase de Jules César, « Nous sommes venus et avons vu… qu’il était mort. » Dès ce moment, la Libye était « libérée ». En réalité, elle était détruite et divisée. Il y régnait un chaos indescriptible.
Le coup d’État sanglant en Libye a partout été encensé comme un changement de cours, comme une date phare pour un « nouvel ordre mondial, plus humain », comme un modèle de la façon dont, à l’avenir, il fallait s’y prendre avec les pays récalcitrants. « Après la chute de Kadhafi, les dictateurs se sentiront moins en sécurité (…) à Damas, certainement, sans doute aussi à Téhéran, peut-être même à La Havane et à Pékin », écrivait un Jan Ross enthousiaste, le 25 août 2011, dans l’hebdomadaire Die Zeit, sous le titre « La voie est ouverte ». Parce que l’Otan, « en fait, est intervenue comme la force aérienne du mouvement rebelle », les despotes du monde entier « devront toujours tenir compte du fait que les bombardiers peuvent arriver ». Rien que ça déjà, disait Ross, était « un pas important en direction d’un ordre mondial civilisé ». Cet « humaniste » de Hambourg exprimait également des critiques acerbes à l’égard des autorités fédérales, parce qu’elles avaient fait trop peu d’efforts pour convaincre les citoyens de la nécessité d’une intervention pour mettre un terme aux crimes de Kadhafi. Cet abominable article se trouve toujours aujourd’hui sur le site de Die Zeit, mais sans mention du nom de son auteur. Se pourrait-il qu’il s’agisse des premiers signes de honte à propos de ce qui est en train de se passer en Libye et au Moyen-Orient ? (RWR)
Cet article a été publié le 15 janvier 2016 dans le journal allemand Junge Welt.