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26 décembre 2024

Algérie : Article 51 et binationalité


ITRI : Institut Tunisien des Relations Internationales

 

Algérie : Article 51 et binationalité
Publié par Candide le 5 février 2016 dans Chroniques

Alors qu’en France, la « déchéance de nationalité » fait débat, en Algérie, c’est le nouveau projet de constitution qui est en débat et une vive polémique a éclaté entre autre sur l’article 51 de ce projet qui ferme les hauts postes de responsabilité aux binationaux.
Les Tunisiens qui viennent tout juste d’adopter leur constitution ne se sont guère posé cette question et aucun débat de ce genre n’a accompagné sa longue élaboration. Bien plus et alors qu’historiquement (constitution de 1959) seul un tunisien de naissance, dont les parents et les grands parents sont eux-mêmes tunisiens (avec les autres conditions d’âge et de confession…) peut se porter candidat à la magistrature suprême, la Constitution de 2014 autorise même un bi ou tri national à se présenter à l’élection présidentielle à la seule condition qu’il renonce à la deuxième nationalité en cas d’élection..

Depuis 2011, les gouvernements tunisiens successifs ont compté de nombreux membres bi et tri nationaux et même le chef de l’un d’entre eux un Franco-tunisien. On ne compte pas non plus les ambassadeurs et consuls généraux tunisiens accrédités dans des pays dont ils portent la nationalité. Cela ne semble gêner personne. Mais voyons d’abord ce qui se passe chez le voisin Algérien
A.M.

Algérie : Article 51 et binationalité

par Djamel LABIDI
3 Février 2016

» Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays. »
(Président J.F.Kennedy, discours d’investiture, 20 Janvier 1961)

L’intérêt du débat actuel , mené sur l’article 51, à la faveur du débat sur la nouvelle Constitution, est qu’il permet d’aborder la question de la double nationalité au grand jour, de façon franche alors qu’elle a jusqu’à présent été occultée ou traitée de façon administrative.
Le principal argument des adversaires de l’article 51 du projet de Constitution est de dire que la règle de droit, notamment pour l’accès aux hautes fonctions de l’Etat, doit être la même pour tout le monde, binationaux ou non, dès lors qu’ils ont en commun la nationalité algérienne.
On oublie cependant de préciser de quelle règle de droit on parle, car il s’agit justement de fixer cette règle, à travers la Constitution puis la loi, comme partout dans le monde. Autrement ce serait partir de l’axiome que la règle de droit, fixant la nationalité et son exercice, est partout la même.
Or ce n’est pas le cas. Elle dépend de l’histoire de chaque société.
Les règles gérant la nationalité sont forcément différentes par exemple entre pays d’immigration et pays d’émigration.
Ainsi les Etats Unis ont largement ouvert leurs portes à l’émigration pendant des siècles. Mais des gardes -fous ont été placés. La citoyenneté américaine implique expressément le renoncement à la loyauté envers tout autre Etat étranger. L’article 349 de la loi de l’immigration et la nationalité prévoit la perte de la nationalité américaine dans les cas suivants: obtention de la nationalité d’un Etat étranger, acceptation d’un emploi au service d’un gouvernement étranger, serment prêté dans un Etat étranger, enrôlement ou service au sein d’une armée étrangère. Bref, dans la conception américaine, l’émigrant change de nation.
De plus le fait de posséder la nationalité américaine n’implique pas de jouir de tous les droits liés à la nationalité américaine. C’est le cas de certains territoires américains Porto Rico, Gam, les Samoa américaines etc… Leurs habitants disposent de la citoyenneté américaine et d’un passeport américain mais ne peuvent participer aux élections fédérales.
Des Etats, la Chine, le Japon interdisent la double nationalité. L’Allemagne exigeait, jusque récemment, la preuve que la personne a renoncé à sa nationalité précédente. Elle n’a accepté la double nationalité, dernièrement ( juin 2014) que pour les allemands d’origine étrangère. L’Australie interdit aux binationaux l’accès à certaines fonctions etc..
Il faut ajouter à cela que les mêmes actes n’ont pas la même signification suivant qu’un pays soit puissant ou encore fragile. Les pays dominants auront tendance à ouvrir la nationalité ( et d’ailleurs à la restreindre en période de crise), les pays à l’indépendance récente à la consolider.
Bref, la façon d’envisager la question de la nationalité dépend donc de l’histoire de chaque pays.
La nationalité algérienne s’est affirmée dans la lutte contre le colonialisme français. Nous avons clamé au monde entier que nous n’étions pas français. Il y a eu plus d’un million de morts pour cela, pour nous donner une patrie et ce passeport vert. Il serait donc pour le moins incohérent aujourd’hui, pour un haut responsable de la république algérienne de se réclamer à la fois des valeurs de Novembre et de la nationalité française.
Imaginons un président de la République algérienne ayant la double nationalité, et étant par exemple, algérien et français. Cela n’a pas de sens. Imaginons un ministre algérien ou même un haut fonctionnaire devant gérer un crédit financier avec un pays étranger et possédant, outre la nationalité algérienne, celle de ce pays. Il agirait au profit de qui. On le voit bien, il faut des règles de droit pour gérer cette question. Il vaut mieux le faire dans la clarté, dans la transparence au lieu de vivre dans le mensonge, dans les cachotteries, dans les non-dits comme cela a été longtemps le cas sur cette question. Ceci est aussi un pas supplémentaire vers l’Etat de droit.
Acquérir une nationalité est un acte humain majeur. Il ne peut être banalisé. Le réduire à un simple acte utilitaire, comme celui par exemple de ne plus avoir besoin de visa, comme le font certains, est manquer de respect à la fois à deux nations: celle d’origine et celle d’accueil.
Certes l’Histoire continue : il y a les différentes strates de l’émigration au fil du temps, il y a aussi le phénomène de l’exode des compétences dont pâtissent les pays en développement. Emigration et utilisation des compétences algériennes se trouvant à l’étranger sont les deux situations souvent évoquées dans le débat sur la double nationalité. Voyons ces deux points.

L’émigration

L’émigration algérienne a une histoire. Il y a celle d’avant l’indépendance et celle d’après. Se réclamer du nationalisme et du prestige de celle d’avant l’indépendance pour justifier certaines positions, dans le débat sur la binationalité et l’article 51, c’est confondre les périodes historiques et tomber dans un anachronisme total. Les émigrés, vivants en France, avant l’indépendance, ont lutté pour la nation algérienne, et non pour réclamer la nationalité française. L’émigration à cette époque, et pendant une période après l’indépendance, était celle essentiellement de travailleurs manuels. Après la libération du pays, eux et les autres vagues d’émigration de travailleurs, ont gardé leurs réflexes nationalistes, peut être avec plus de force qu’au pays. Ils ont toujours rêvé du retour pour eux et leurs enfants. Après l’indépendance, résidents en France, ils ont continué à faire montre de beaucoup de prévention envers l’acquisition de la nationalité française. Ils en redoutaient les conséquences pour leurs enfants à travers notamment les discriminations néocoloniales dont ils pourraient souffrir et le service militaire dans l’armée française. Ses craintes étaient hélas fondées. Les fils et filles d’émigrés continuent jusqu’à aujourd’hui de souffrir de discriminations malgré la nationalité française. L’armée française a utilisé largement des fils d’émigrés maghrébins dans des interventions directes ou secrètes à l’étranger, notamment, cela pour des raisons évidentes, dans les pays arabes et musulmans. C’est ainsi qu’on parle de l’utilisation de jeunes fils d’émigrés maghrébins comme tireurs d’élite dans les forces spéciales françaises en Lybie, en Afghanistan et en marge de l’opération « Serval « au Mali.
L’Histoire de l’émigration algérienne en France continue d’être douloureuse. A la demande de la nationalité française qu’ouvraient les accords d’Evian, les travailleurs émigrés ont toujours préféré leurs cartes de résidence et les files interminables pour son renouvellement devant les préfectures françaises. Pour une partie de cette émigration, les circonstances et le droit du sol ont fait que leurs enfants sont de nationalité française. Mais leurs enfants continuent de regarder avec circonspection ceux qui vivant en Algérie ont demandé, eux, à avoir la nationalité française.
Il ne faut donc pas faire l’amalgame, pour les besoins de l’argumentation, entre ceux-ci et ceux-là, entre ceux qui ont eu de fait la nationalité française et ceux qui l’ont demandée. Les situations sont différentes, tout dépend des circonstances et des motivations. L’opinion publique algérienne sait discerner les nuances.

L’exode des compétences

C’est la nouvelle émigration. L’exode des compétences est produit essentiellement par les inégalités de développement entre pays. C’est une question à la fois grave sur le plan économique et douloureuse sur le plan moral.
Sur le plan économique, cet exode représente un transfert gratuit vers les pays les plus développés d’énormes ressources humaines, et donc de l’énorme capital qui a servi à les former.
Les compétences, qui partent, quittent un pays, leur pays, à qui ils doivent tout, leur éducation, leur formation. Le sentiment douloureux de culpabilité qui en résulte, pour la plupart d’entre eux, n’est pas en réalité stérile. Il traduit une conscience morale, celle de leurs obligations envers leur patrie. Il les interpelle sur ce qu’ils ont fait pour leur pays et il est une puissante motivation pour revenir au pays et/ou lui apporter ce qu’ils ont pu apprendre.
L’attitude du cadre ou du scientifique envers son pays n’a donc rien à voir avec la question de la binationalité. Elle est déterminée par des valeurs.
Il est d’ailleurs faux d’établir une relation entre l’utilisation des compétences algériennes se trouvant à l’étranger et la question de la double nationalité. Cela au moins pour deux raisons:
– la première est qu’il n’y pas une causalité directe entre le fait de travailler à l’étranger et celui de prendre la nationalité du pays d’accueil. Les cartes de résidence, de la Green card au titre de séjour, remplissent amplement cette fonction. C’est le cas par exemple pour les émigrés occidentaux. On peut, sans grand risque de se tromper dire que c’est aussi le cas de la grande majorité de nos compétences se trouvant pour plus ou moins longtemps à l’extérieur du pays.
– la deuxième est que l’acquisition de la nationalité du pays d’accueil joue en réalité dans le sens inverse, celui de la fixation de l’immigrant. Il ne faut pas s’y tromper: c’est le pays d’accueil qui y trouve son compte et non le pays d’origine. C’est la raison pour laquelle certains pays occidentaux facilitent l’accès à la nationalité pour les compétences.
Prendre la nationalité du pays d’accueil est en effet, un acte qui traduit la volonté de s’intégrer à ce pays de façon implicite ou explicite. L’inverse est aussi vrai: conserver sa seule nationalité algérienne traduit un projet de vie, une vision du monde, une appartenance, une volonté de garder très fort le cordon ombilical avec le pays. C’est d’ailleurs de cette manière que cela est vécu par les concernés et perçu par l’opinion publique. Et c’est aussi une manière d’exprimer sa fidélité et donc sa disponibilité à son pays.
On donne souvent comme exemple d’ouverture et de tolérance envers la double nationalité, celui de binationaux d’origine algérienne élus à des mandats politiques dans d’autres pays occidentaux, comme c’est le cas en France. Outre que cela est encore rare, il faut signaler que ces exemples confirment en réalité que pour être élu il faut partager la vie d’un pays, sa langue, sa culture, bref y être intégré.
Au fond, la double nationalité est en elle-même une contradiction. Peut-on être l’un et l’autre, ici et là. Vaste débat qui dépasse le cadre de cet article. En tout cas, la contradiction est si évidente que rares sont les Etats qui s’aventurent à reconnaitre officiellement la double nationalité, même s’il l’autorise comme c’est le cas de la France qui cependant ne l’inscrit pas dans son droit. Ou alors il faudrait permettre l’existence de citoyens différents par rapport à leurs droits et devoirs nationaux, et qui pourraient se référer à l’une ou l’autre nationalité selon la conjoncture, les avantages ou leurs intérêts.
Ceux qui défendent le point de vue d’un traitement indifférent des algériens par rapport aux hautes fonctions officielles ou électives, qu’ils aient la double nationalité ou non, ceux-là oublient cependant que la situation des uns et des autres est différente précisément sur ce point, celui du rapport de la nationalité avec les critères exigés par ces hautes fonctions. C’est donc à la Constitution et à la loi de veiller à ce que les mêmes critères d’accessibilité à ces fonctions soient appliqués et que tous les algériens s’y conforment, pour avoir les mêmes devoirs envers leur pays.
La nationalité comme la binationalité ou la multinationalité est le résultat d’une Histoire, celle de la fin des empires coloniaux, des inégalités de développement qui crée les flux migratoires et les exodes des compétences. Ses contradictions reflètent toutes les contradictions et les déchirements de notre époque. Il ne s’agit pas d’aborder cette question de façon moralisante ou étroitement nationaliste comme il ne s’agit pas de produire un discours de légitimation qui pourrait permettre de justifier les égoïsmes, les individualismes et l’ingratitude par rapport aux sacrifices de tous ceux à qui nous devons d’avoir une patrie.
Si la question de la nationalité se pose de manière si vive, c’est que la nation est pour l’instant et pour longtemps le cadre du développement humain et des relations avec les autres. Quand on part ailleurs, on s’aperçoit très vite qu’on vaut ce que vaut son pays.

Paru dans le Quotidien dOran du 3 Fèvrier 2016
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