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24 novembre 2024

Charles Onana à Algeriepatriotique : «Le sionisme s’est enraciné au cœur du pouvoir français»


ALGERIE PATRIOTIQUE

Charles Onana à Algeriepatriotique : «Le sionisme s’est enraciné au cœur du pouvoir français»

Charles Onana : «La question du sionisme provoque un certain malaise dans la société française». D. R.

Charles Onana : «La question du sionisme provoque un certain malaise dans la société française». D. R.

Algeriepatriotique : Votre dernier livre Palestine, le malaise français est le fruit d’une enquête menée au cœur des archives françaises et de la présidence du Parlement européen, puis auprès des dirigeants palestiniens et français. Que vous ont révélé vos recherches ?
Charles Onana : Cette enquête révèle, en réalité, beaucoup de choses qui ne peuvent être résumées en quelques mots ni en quelques phrases. Je précise que j’ai été moi-même surpris par tout ce que j’ai découvert, car très peu de chercheurs ou de journalistes s’aventurent en France sur ce terrain. Il y a comme une véritable psychose à parler sereinement de la Palestine et du sionisme français. Il y a aussi de très fortes pressions dans les milieux politique, médiatique et universitaire quand il s’agit de traiter d’Israël et de la Palestine. Etudier sérieusement cette question n’est pas aisé en Europe en général et en France en particulier. Je me suis rendu compte que même les chefs d’Etat et de gouvernements ne sont pas à l’abri de ces pressions. Les exemples du général de Gaulle et de François Mitterrand en sont, pour moi, les meilleures illustrations. L’un et l’autre n’avaient ni la même sensibilité au sionisme ni la même appréciation de la question palestinienne. Mais leur position critique face à la politique d’Israël dans les territoires palestiniens ou face au conflit israélo-arabe a conduit certains dirigeants israéliens ou des groupes pro-israéliens en France à les traiter «d’antisémites». Ce qui est surprenant lorsqu’on regarde la politique menée par l’un et par l’autre au Proche-Orient, et surtout que de Gaulle, comme Mitterrand, a toujours soutenu Israël et les juifs en général.
Vous avez eu accès à des documents inédits lors de votre enquête. Comment cela a-t-il été possible ? Que révèlent ces documents que nous ne sachions déjà sur Israël ?
La question palestinienne a été traitée par de très nombreux auteurs et je pense sincèrement qu’il était difficile d’être original en donnant un sentiment ou un point de vue sur ce dossier vieux de plusieurs décennies. Je m’intéressais à la première visite de Yasser Arafat en France en 1988, au Parlement européen d’abord et à l’Elysée ensuite. Il fallait donc chercher à obtenir des documents de première main pour comprendre pourquoi les associations pro-israéliennes s’étaient mobilisées contre cette visite et, donc, contre le président du Parlement européen et contre le président français François Mitterrand. J’ai découvert comment fonctionnait le réseau pro-israélien au sein du Parlement européen et du pouvoir français, comment agissaient ses militants soit en tant que parlementaires ou fonctionnaires et c’est très impressionnant. J’ai rencontré des diplomates qui m’ont donné leurs impressions sur cette affaire, mais très peu avaient des preuves de ce qui s’était réellement passé lors de la visite d’Arafat. Je les ai eues finalement dans les archives du président Henry Plumb, qui était à l’époque président du Parlement européen. Quant aux archives de l’Elysée, qu’il m’a été donné de consulter, j’y ai vu les lettres du Premier ministre israélien Yitzhak Shamir et celles de Yasser Arafat à François Mitterrand. Je me suis rendu compte des difficultés qu’il y avait à promouvoir une paix juste et durable en Palestine. Vous savez, la connaissance approfondie des choses est toujours plus importante que la connaissance superficielle. Je ne crois pas qu’il est si facile de tout savoir sur un Etat ou sur un conflit, quel qu’il soit.
Vos investigations vous ont permis de découvrir la relation complexe qui existe entre la France et Israël ainsi que l’influence du sionisme sur la classe politique française. Quel est le secret de cette relation ?
C’est une vieille histoire qui, je crois, effraye un peu les Français. Ceux qui savent pensent qu’ils en savent déjà assez et ceux qui ne savent pas ont manifestement peur de savoir. Il est vrai que la réalité n’est ni plaisante ni rassurante. En étudiant simplement les faits, il apparaît que la montée du mouvement sioniste en France coïncide quelque peu avec la montée de l’antisémitisme européen, principalement en Europe centrale et orientale. L’accent a souvent été mis sur l’antisémitisme à tel point qu’on a parfois négligé, consciemment ou inconsciemment, d’étudier la percée du sionisme dans la vie politique et les systèmes de pouvoir en France. Je me suis un peu livré à cet exercice et je découvre que c’est dans les années 1920 que le mouvement sioniste s’enracine véritablement au cœur du pouvoir français. Je donne beaucoup de détails sur cet enracinement en puisant aussi dans les sources et les documents israélites. Très peu de personnes savent, par exemple, qu’avant la fin de la Première Guerre mondiale, cinq mois seulement avant la fameuse déclaration Balfour de novembre 1917, le président de l’Organisation sioniste mondiale, M. Nahum Sokolov, a demandé au secrétaire général du ministère français des Affaires étrangères de soutenir les efforts de colonisation israélite en Palestine. Ce dernier lui a apporté toute la sympathie du gouvernement français dans ce projet. Ce qui a fait dire au mouvement sioniste que c’est la plus grande «victoire que l’idéal sioniste ait jamais obtenue».
Avant la création de l’Etat d’Israël, d’éminentes personnalités françaises d’origine ou de confession juive deviennent, comme Léon Blum ou André Blumel, à la fois responsable politique ou haut représentant du gouvernement et représentant officiel du mouvement sioniste. Au moment de la création d’Israël, le ministre français des Affaires étrangères, Robert Schuman, qui sera plus tard l’un des fondateurs de l’Europe, militant sioniste, est celui qui va œuvrer à la reconnaissance d’Israël et va lui-même reconnaître Israël au nom de la France le 24 janvier 1949.
Lorsque le général de Gaulle arrive au pouvoir en 1958, les sionistes sont déjà bien représentés au cœur du pouvoir et n’hésitent pas à s’opposer vigoureusement à ses décisions pour satisfaire Israël. Depuis cette période, il est très difficile que la classe politique française – à droite comme à gauche – prenne, au plus haut niveau, des positions qui peuvent contrarier la politique d’Israël en Palestine.
De Gaulle et Mitterrand ont-ils œuvré à limiter l’influence du mouvement sioniste sur la France ?
Chacun a essayé, à sa façon, de retrouver une certaine indépendance par rapport à Israël dans la conduite de la politique étrangère de la France au Proche-Orient. Ils se sont heurtés systématiquement à l’opposition et aux pressions des militants sionistes ou pro-israéliens. De Gaulle a échoué dans son refus de livrer la bombe atomique à Israël et Mitterrand a échoué dans sa volonté de réaliser la paix entre Israéliens et Palestiniens.
Pourquoi ont-ils échoué ?
Leur échec n’est pas nécessairement dû au fait qu’ils avaient adopté une mauvaise méthode ou que leurs intentions n’étaient pas louables. Ils ont échoué parce que les dirigeants israéliens et leurs réseaux français n’ont jamais facilité la tâche ni au général de Gaulle ni à François Mitterrand. Apparemment, il faut, soit se soumettre à la vision des dirigeants israéliens, soit s’abstenir de toute initiative qui ne reçoit pas au préalable leur aval. C’est-à-dire que tout dirigeant français qui accepte, sans sourciller, ce que veut Israël comme le faisait Guy Mollet dans les années 1950, est apprécié à Tel-Aviv et dans les médias français. Si, au contraire, il se montre prudent, réservé, voire critique, il sera d’office suspecté, malmené et quelquefois détesté. Certes, cette situation est inconfortable pour les dirigeants français, mais ils ne sauraient esquiver indéfiniment cette réalité politique qui provoque un certain malaise dans la société française. Ils devraient pouvoir réussir à expliquer aux dirigeants israéliens que la France n’est pas Israël et qu’ayant toujours soutenu Israël dans des moments difficiles, il est aussi nécessaire que, de temps en temps, ils entendent certaines vérités, surtout quand leur politique en Palestine est en contradiction avec les principes et les valeurs défendus par la France ou quand cette même politique viole allègrement le droit international. Les dirigeants français savent le faire avec les Palestiniens. Pourquoi ne le feraient-ils pas avec leurs amis israéliens ? D’autre part, la France ne peut pas s’aligner aveuglément sur les positions d’Israël alors qu’elle a aussi une relation historique forte avec le monde arabo-musulman et avec la Palestine en particulier. Ses obligations de puissance moyenne ou grande et son histoire avec le monde arabo-musulman ne peuvent être totalement ignorées.
Vous avez rencontré, pour les besoins de votre enquête, plusieurs personnalités palestiniennes et israéliennes. Que vous ont-elles dit, en substance ?
Les Palestiniens comme les Israéliens honnêtes et lucides estiment qu’il est absurde de ne pas trouver une solution juste à la question palestinienne. Ils admettent que les Israéliens qui réclament la paix avec les Palestiniens et qui souhaitent un Etat pour les Palestiniens ne sont ni écoutés ni entendus. De l’autre côté, les Palestiniens qui font des concessions pour obtenir un Etat et la paix avec les Israéliens ne sont pas récompensés pour leurs efforts. Ils souffrent aussi que la communauté internationale ne dise rien et ne fasse rien pour mettre fin au calvaire du peuple palestinien contraint à la mort et à l’exil.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
Charles Onana est un journaliste d’enquête et essayiste franco-camerounais. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur le génocide rwandais, le rôle des tirailleurs africains et maghrébins dans les rangs de l’armée française durant la Seconde Guerre mondiale, le racisme en France, etc.

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