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14 novembre 2024

Dé-israéliser l’Europe


 

Joan Cañete Bayle

Jeudi 31 mars 2016

« Il faut israéliser l’Europe pour apprendre à vivre avec le terrorisme » (1), ai-je lu après les attentats à Bruxelles. L’idée n’est pas nouvelle. Ceux qui la progagent veulent dire que sous la menace du terrorisme, les sociétés européennes doivent copier le modèle d’Israël en matière de sécurité. L’Europe regarde vers Israël pour reconcevoir la sécurité de ses aéroports (2), ai-je lu dans des articles qui abondent sur un (autre) des mythes qu’avec ténacité Israël a construits au fil des ans : son engagement non négociable dans l’autodéfense, son efficacité indiscutable dans la lutte contre ceux qui osent l’attaquer, son état de fier David entouré de Goliaths menaçant son existence même, sa ténacité à frapper fort ses ennemis, d’Adolf Eichmann au Palestinien gisant par terre qu’un soldat a achevé d’une balle dans la tête, la semaine dernière à Hébron. (3)

Je lis, dis-je, cette clameur en faveur d’une israélisation de l’Europe et elle coincide avec le fait que je suis récemment aller à l’aéroport de El Prat, et près du comptoir d’enregistrement de El Al j’ai assisté aux interrogatoires des voyageurs, aux enregistrements, à la « recherche d’explosifs » par des agents israéliens qui n’ont pas de compte à rendre aux autorités espagnoles et qui vérifiaient le sac à dos d’une fillette de 5 ans d’où émergeait la tête d’un ours en peluche. Rien d’étrange, c’est juste l’habitude si vous volez vers Tel-Aviv avec une compagnie aérienne israélienne, d’où que vous partiez dans le monde. (4) Je lis, je vois et j’entends ceux qui dans les discussions, défendent cette israélisation sans plus de de connaissances et d’expériences que celles d’avoir vu à la télé, coupé de spots publicitaires, le film de Steven Spielberg « Munich », et je pense à un bon ami et grand journaliste qui, avec sa dérision toute gallicienne, avait l’habitude de dire : « Il est faux de dire que El Al est la compagnie aérienne la plus sûre du monde. S’il en est une, disons que c’est la Varig, parce que personne n’a aucun intérêt à faire exploser un de leurs avions. »

Sa réputation de grande efficacité en matière de sécurité garantit à Israël des bénéfices politiques et économique. Les bénéfices politiques sont évidents : renforcer l’idée que le « conflit » avec les Palestiniens est une affaire de terrorisme et non la résistance armée de l’occupé contre l’occupant. Selon ce discours, une attaque au couteau dans Hébron occupée est la même chose que les attentats à Bruxelles. Les Palestiniens sont les mêmes que Daesh ou Al-Qaeda. L’autorité en matière de sécurité donne à l’occupation une autorité politique et cimente l’idée qu’il y a un « nous » (Israël comme avant-garde géographique et politique d’un Occident attaqué par des islamistes) et « eux » (arabes, musulmans, palestiniens, perses, islamistes… en un grand méli-mélo). C’est la raison pour laquelle l’Etat d’Israël promeut des accords avec les gouvernements de la moitié du monde pour que les policiers de tout type et statut aillent se former en Israël aux méthodes que les forces de sécurité israéliennes utilisent pour réprimer la résistance palestinienne. Les policiers espagnols, de l’Etat à l’échelle régionale, en sont l’exemple (5). Il y a d’autres pays qui répriment avec une efficacité égale (l’Arabie Saoudite par exemple) mais aucun pays occidental n’enverrait sa police se former chez eux. Ce n’est donc pas une question d’efficacité, mais d’identité, de eux et de nous. Et grâce à la sécurité, Israël devient l’un d’entre nous.

Le commerce des bombardements de Gaza

Parlons d’économie. La guerre de Gaza (500 enfants morts en 50 jours sous les bombardements, dix par jour en moyenne) fut beaucoup de choses. Parmi elles, un commerce. Grâce au marketing inestimable que fournit le mythe de l’efficacité israélienne en matière de sécurité, les entreprises d’armement de l’Etat hébreu ont testé de nouvelles armes à Gaza qu’ils vendent avec le label de qualité que donne le fait d’avoir été testées au combat par Israël (6). « Testés au combat » (7). Israël n’a pas l’habitude de se cacher, et ses dirigeants et hommes d’affaires disent ouvertement que les territoires occupés sont « un laboratoire de moyens de guerre et de nouvelles technologies de défense » (8). Le fin du fin, si vous êtes un policier ou un militaire, c’est d’aller s’entraîner en Israël et d’utiliser des armes israéliennes. Nous ne parlons pas seulement dans le domaine militaire, loin de là. Israël a exporté avec succès des méthodes et des tactiques de répression policières testées dans l’occupation (9).

C’est ce qu’on appelle les armes de contrôle des foules (crowd-control weapons, CCW, en englais). Dans un rapport intitulé « Lethal in disguise » (10) publié ce mois-ci, l’ONG Médecins pour les droits de l’homme dénonce le fait que ces dernières années et dans le monde entier, il y a une augmentation du nombre de manifestations en raison des ravages causés par la crise économique et que les forces de sécurité ont eu recours à « une utilisation de la force inappropriée et disproportionnée » grâce à la « prolifération des CCW« . La militarisation de la police des Etats-Unis a provoqué de nombreuses morts, surtout lors des manifestations de la population noire. Des mouvements comme  Black Lives Matters (11) dénoncent cette tendance sécuritaire dans le monde entier, dont Israël est l’un des principaux moteurs, autant avec les tactiques qu’avec les armes (12). Pas étonnant que Black Live Matters fraternise avec la cause palestinienne (13) : ils luttent, littéralement, contre la même chose.

Un pistolet dans le sac à dos

Je lis et j’entends que tout cela est bien joli mais que le djihadisme nous a déclaré la guerre et qu’il nous faut nous défendre et garantir la sécurité, et dans ce domaine, que ses méthodes nous plaisent ou non, Israël est le meilleur. Je les écoute et je pense à Benjamin Lehman (14). Ce monsieur, un colon qui vit en Cisjordanie (15), est arrivé en juin 2004 (trois ans après le 11-septembre, en pleine guerre d’Irak, trois mois après le 11 mars en Espagne, en pleine hystérie) à l’aéroport d’Heathrow avec un pistolet chargé dans son sac à dos avec l’intention d’aller aux Etats-Unis assister à un mariage. Il avait passé trois jours à Londres, où il était arrivé en provenance de Tel-Aviv. A l’aéroport Ben Gourion, il avait passé tous les sacro-saints contrôles de sécurité (ceux qui ont fait fulminer Manu Leguineche (16)) sans que personne ne détecte le pistolet. Lehman a été jugé, et entre autres choses il a dit que c’était un oubli et que tout le monde devait comprendre qu’en Israël, on était obligé de porter des armes pour se défendre contre les terroristes. L’argument a fonctionné (17), bien sûr. Inutile de dire ce qui serait arrivé à un Palestinien d’Hébron qui serait arrivé à Heathrow avec une arme chargée, au motif que dans sa ville, il devait la porter pour se défendre de colons comme Lehman. Bien sûr, ce Palestinien (au cas où il aurait eu la permission de quitter Hébron, et rien n’est moins sûr) n’aurait jamais passé le premier contrôle de sécurité à Ben Gourion [originaire d’Hébron, il n’aurait de toutes façons pas pu partir par Tel Aviv mais par la Jordanie, ndt]. Parce que la sécurité là-bas, la fameuse et glorieuse sécurité, est fondée sur la fouille et l’interrogatoire des autres, eux (ce qui inclut quiconque n’est pas israélien) pour que nous (les Israéliens) soyons tranquilles (la fouille du sac à dos d’une fillette de 5 ans d’où dépassait la tête d’un ours en peluche à El Prat). En ce qui concerne les aéroports, c’est l’israélisation que tant acclament maintenant.

Efficacité ?

Ensuite, il y a l’efficacité dans la lutte contre le terrorisme. J’ai écrit peu après les attaques à Bruxelles et aux sympathiques amis de la Hasbara (il faudrait qu’un jour j’écrive sur eux) ils n’ont pas aimé, ce qui me semble incompréhensible : Israël est un échec en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, et ce n’est pas moi qui le dit mais l’Etat hébreu lui-même. La version officielle est que Israël doit être inflexible avec sa sécurité parce qu’il lutte contre le terrorisme arabe et musulman depuis sa création, et même avant. C’est-à-dire depuis 1948. Suivant le propre ministère des Affaires étrangères d’Israël, aujourd’hui, maintenent, Israël subit « une vague de terrorisme » sous la forme de coups de couteau, de fusillades et d’agressions depuis octobre 2015, qui ont coûté la vie à 34 Israéliens. Ce qui veut dire qu’en 68 ans, et d’après le discours officiel israélien, l’Etat hébreu n’a pas réussi à vaincre les terroristes palestiniens. Israël, selon son Etat et le discours officiel, aujourd’hui, maintenant, se bat pour sa survie contre le terrorisme… 68 ans après sa création. Il n’y a pas d’autre pays au monde qui, selon les critères et les statistiques de son propre Etat, subit d’autant d’attaques terroristes qu’Israël. Il ne semble pas par conséquent que ses méthodes soient l’exemple à suivre, car il ne parviant pas à la victoire tant attendue contre la terreur. Et si, contre sa propre affirmation, nous décrétons que l’Etat hébreu est le vainqueur du terrorisme, alors que se passe-t-il en ce moment ? Peut-être la résistance contre l’occupation ?

De fait, je ne pense pas qu’il faille israéliser l’Europe, mais plutôt le contraire. Le monde est lancé dans un processus accéléré d’israélisation, depuis au moins le 11-Septembre. Après les attaques des Tours jumelles, ce sont les méthodes et stratégies « israéliennes » (comme les appellent sans complexe certains) qui ont été mises en oeuvre : les guerres en Irak et en Afghanistan, le Patriot Act, la sécurité avant les libertés, l’espionnage massif des citoyens considérés comme une masse suspecte jusqu’à ce que le contraire soit démontré, Guantánamo, le bourbier syrien… Ce sont ces politiques qui nous ont conduit là où nous sommes.

Ce qu’il faut faire, c’est désisraéliser l’Europe. Le fait qu’on fouille le sac à dos d’une gamine de cinq ans d’où émerge la tête d’un ours en peluche ne me donne pas un plus grand sentiment de sécurité.

Source : Décima da 2.0

TraducTraduction : MR pour ISM

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