Jamais tant de personnes n’ont acclamé un assassin aussi méprisable
2 avril 2016
Gideon Levy
Jeudi 31 mars 2016 La foule qui a manifesté et écrit pour soutenir le militaire exécuteur de Hébron le perçoit comme un héros. Pas simplement une victime, comme l’assassin condamné Ramon Zadorov, par exemple, mais bien comme un héros. E.A. – son nom complet fait toujours l’objet d’une ordonnance de non-publication (1) – est devenu un héros populaire pour avoir assassiné un Palestinien moribond. En raison – et non en dépit – de son acte. Il convient de dire les choses clairement. Pour la première fois peut-être dans l’histoire de l’État, un crime abject dont la seule justification semble être la haine envers les Arabes et le mépris pour leur existence, s’est mué en acte héroïque. Un crime qui n’a requis aucun courage, un acte d’une lâcheté inégalable, est devenu héroïque aux yeux des masses, tout simplement parce qu’il s’est terminé par la mort d’un Palestinien perdant son sang sur la route alors que la foule donnait libre cours à sa joie. Jamais tant de personnes n’ont acclamé un assassin aussi méprisable. Dans l’histoire des Forces de défense israéliennes (2), il y a eu bon nombre d’actes obscènes déguisés en héroïsme – les raids de représailles des années 1950, les activités dans la bande de Gaza de l’unité d’opérations spéciales Sayeret Rimon, les opérations Plomb durci et Bordure protectrice –, mais jamais on n’avait vu un obscur assassin être encensé comme un héros. Shimon Bar Kochba, Meir Har-Zion, Yoni Netanyahu, Ehud Barak et… E.A. (1) Qui peut raconter de nouveau les hauts faits d’armes d’Israël ? Le racisme israélien a atteint un nouveau point culminant. Le meurtre de Tel Rumeida et la réponse qui a suivi ne sont rien moins que des événements déterminants. Le racisme israélien s’appuyait naguère sur l’arrogance du Peuple élu, auquel tout est permis puisqu’il est le meilleur et qu’il sait tout mieux que tout le monde ; sur la manipulation de la perception d’une victimisation et persécution sans fin ; sur la diabolisation des Arabes, qui ne veulent que nous détruire ; sur leur déshumanisation, comme si leur existence ne valait rien ; sur l’incitation, la négation, la répression et les mensonges et sur la formidable puissance militaire israélienne. C’est sur ces fondations que nous avons construit une société raciste, sans doute la plus raciste au monde, actuellement. Cette fois, tout cela a été remonté d’un cran, ou peut-être baissé. À tout ce qui précède, nous pouvons maintenant ajouter ouvertement la soif de sang – pure et simple, sans mélange, sans inhibition et sans déguisement. Cette combinaison de racisme et de soif de sang n’est pas seulement répugnante, elle est également volatile et dangereuse. Il y a du racisme dans bien des sociétés : il est généralement caché et marginal. En Israël, il est devenu la norme, il représente peut-être le niveau du politiquement correct actuel et le combattre est perçu comme une trahison. Qui plus est, on peut douter qu’il existe une autre société occidentale dont le racisme s’accompagne d’une telle soif de sang. Les blancs haïssent les noirs aux États-Unis et en Afrique du Sud, les Européens haïssent les réfugiés, les chrétiens haïssent les musulmans, mais pas avec une telle soif de sang ni de telles envies de meurtre. Le cri « Mort aux Arabes » a acquis une signification pratique choquante. E.A. (1) est son exécuteur. Voilà pourquoi on l’applaudit. Il existe des courants profonds qu’il est malaisé d’arrêter. Ils se sont profondément enracinés dans le cœur des gens, ils sont le résultat de décennies d’incitation à la violence et de lavage de cerveau. Ni un châtiment sévère pour E.A. (1), qui le mérite, ni la lettre du chef d’état-major aux soldats pour leur rappeler l’éthique de l’armée, ne peuvent suffire. Peu nombreux sont ceux qui ont osé affronter ces courants ; la plupart de nos systèmes les soutiennent ou ont capitulé devant eux. Il suffit de voir l’appareil de la justice militaire se mettre à plat ventre devant les foules à l’extérieur et laisser tomber la présomption de meurtre pour adopter celle d’homicide par négligence, et même cela est mis en doute. Les médias, qui savent ce que veut leur public, ont naturellement participé à la propagation des incitations. Cela se vend bien. Brusquement, ce qui s’est passé « n’est pas très clair » et « n’est pas définitif ». La vidéo incrimine au moins un millier de témoins et révèle des myriades de preuves, n’empêche que l’image n’est toujours « pas très claire ». Qu’est-ce qui n’est pas clair ? Et les hommes politiques qui, comme d’habitude, soutiennent les masses, sont soit muets soit paralysés par la crainte. Le très agressif Avigdor Lieberman, avec Sharon Gal qui lui colle au train, et la foule au tribunal militaire de Kastina sont ce qu’il y a de plus israélien aujourd’hui. Rien ne pourra les arrêter. Il n’est même pas certain que cela vaille la peine d’essayer. Mais ils ne s’arrêteront pas à Kastina. Après les Arabes, il y aura les gens de gauche, les journalistes, les juges et qui sait encore. Préparez-vous pour le prochain héros israélien : il astique déjà son fusil. Publié le 31 mars 2016 sur Haaretz (1) Le nom du soldat tueur a été publié dans l’article de David Sheen que nous avons posté hier. Il s’agit de El-Or Azarya et il est franco-israélien. Gideon Levy est un chroniqueur et membre du comité de rédaction du journal Haaretz. Il a rejoint Haaretz en 1982 et a passé quatre ans comme vice-rédacteur en chef du journal. Il a obtenu le prix Euro-Med Journalist en 2008, le prix Leipzig Freedom en 2001, le prix Israeli Journalists’ Union en 1997, et le prix de l’Association of Human Rights in Israel en 1996. Il est l’auteur du livre The Punishment of Gaza, qui a été traduit en français : Gaza, articles pour Haaretz, 2006-2009, La Fabrique, 2009 |
Source: Plate-forme Charleroi-Palestine http://www.pourlapalestine.be/… |