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14 novembre 2024

Comment les élites ont fabriqué le « problème salafiste »


Nicolas Bourgoin


Photo: D.R.

Mercredi 6 avril 2016

Bis repetita placent. Invité à clôturer la journée de conférences et de débats sur «l’islamisme et la récupération populiste en Europe», organisée par le forum «Le Sursaut», Manuel Valls a, une énième fois, considéré que le voile « n’était pas un objet de mode mais un asservissement de la femme ». Cette déclaration fait écho aux propos racistes de la ministre des droits des femmes assimilant les femmes qui choisissaient de porter le voile « aux nègres américains qui étaient pour l’esclavage. » On peut bien sûr voir dans cette ostracisation la dernière carte d’une équipe gouvernementale en déroute. La stratégie du bouc émissaire ou du diviser pour mieux régner et toujours rentable dans les périodes de crise pour dédouaner les vrais responsables (qui ne sont évidemment pas musulmans…). Mais cette haine anti-Islam rejoint un projet politique plus vaste : lever les derniers obstacles qui s’opposent encore à la mise en place d’un capitalisme globalisé.

Renforcer les clivages communautaires

Les propos de Manuel Valls déclarant que le salafisme était en train de « gagner la bataille idéologique et culturelle » ont été qualifiés par le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Anouar Kbibech de positions « clivantes » et « anxiogènes ». Ces deux termes résument en effet la stratégie suivie par le Premier Ministre : entretenir un climat de peur en agitant le fantasme d’un Islam conquérant, tout en renforçant les clivages entre communautés par le mécanisme bien connu du self-fullfilling prophecy – l’ostracisation favorise le repli communautaire, donnant ainsi des arguments à ceux qui le dénoncent. Le terme de « bataille identitaire » employé par Manuel Valls n’est pas anodin car elle suppose qu’un individu se définit avant tout par son appartenance religieuse. Postulat totalement contradictoire avec la laïcité dont il a pourtant fait son cheval de bataille…

… en instrumentalisant le féminisme.

Manuel Valls n’a pas manqué d’en appeler à la défense des femmes contre l’asservissement religieux, alibi classique des préjugés islamophobes. Dans son viseur : la mode pudique qui permet aux femmes musulmanes de se vêtir en conformité avec leurs valeurs. La ministre des Droits des femmes lui a emboîté le pas en s’en prenant aux marques qui font la promotion de la mode pudique. La ministre a ainsi déclaré que les « burkini » de Marks & Spencer faisaient « la promotion de l’enfermement du corps des femmes » et a jugé que la collection pudique et les autres collections de ce type étaient « irresponsables ». « On ne peut pas admettre que c’est banal et anodin que de grandes marques investissent ce marché et mettent les femmes musulmanes dans la situation de devoir porter ça », a-t-elle soutenu.

L’argumentaire de la ministre repose sur deux postulats : que les femmes qui portent ces vêtements le font sous la contrainte et que l’émancipation féminine passe forcément par la nudité. Difficiles à démontrer à moins de tenir pour acquise la supériorité des « valeurs occidentales ». La question identitaire posée par Manuel Valls rejoint finalement la question coloniale : le dévoilement forcé des musulmanes fait écho à la cérémonie du dévoilement à Alger de sinistre mémoire (des femmes musulmanes ont été forcées de brûler leurs voiles pendant la guerre d’Algérie sous la menace de militaires français). Comme le rappelle la sociologue Zahra Ali, « l’argument de l’émancipation et de la libération des femmes musulmanes a été central durant la colonisation, et ce féminisme colonial a servi d’assise à la prétention à civiliser le « monde musulman ». Ce féminisme réactionnaire n’est jamais loin du néoconservatisme : le thème de la « libération des femmes » a été largement investi par l’administration Bush pour justifier ses guerres impérialistes en Afghanistan et en Irak.

Salafisme ou Islam.

À l’avant-poste du combat anti-pudique, l’islamophobe Elisabeth Badinter qui a appelé au boycott des marques occidentales (Dolce & Gabbana, H&M, Marks and Spencer, Uniqlo…) développant des tenues islamiques en qualifiant au passage d’islamo-gauchistes ceux qui défendent les musulmans contre l’impérialisme occidental. Position pour le moins surprenante quand on connaît les liens étroits qui unissent notre féministe patentée à l’Arabie Saoudite qui ne brille guère, pourtant, par la place qu’y occupent les femmes.

Finalement, on peut se demander contre quelle cible est dirigée la croisade menée par les élites socialistes. L’Islam ? L’islamisme ? Pas le salafisme en tout cas, et surtout pas à l’époque où Fabius affirmait qu’Al Nosra faisait du bon boulot. Il est vrai qu’il parlait alors de la Syrie…

La vraie cible est peut-être bien l’Islam, religion structurée et structurante dont les principes s’opposent à l’idéologie consumériste que les impérialistes rêvent de voir étendre à l’ensemble du monde. Comme l’expose Pierre Hillard, l’Islam est sans doute le dernier rempart contre le Nouvel Ordre Mondial. Un rempart que les élites oligarchiques voudraient bien voir sauter…

Publié le 6 avril 2016 avec l’aimable autorisation de l’auteur

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