Benjamin Netanyahou en août 2003 à Monaco, en compagnie d’Arnaud Mimran. © Mediapart
« Benjamin Netanyahou aurait dû se méfier de lui-même. Des documents rédigés par le premier ministre israélien en personne confirment la proximité et les liens d’intérêts entretenus avec l’escroc présumé Arnaud Mimran, acteur clé selon la justice de la plus grande escroquerie que la France ait jamais connue, la fraude aux quotas carbone, selon une enquête menée conjointement par Mediapart et le quotidien israélien Haaretz.
Mis en cause dès le début des années 2000 pour fraude fiscale, puis dans une affaire de délits d’initiés aux États-Unis, Arnaud Mimran est devenu depuis une décennie une figure des palais de justice et des commissariats, en plus des tablées de poker et des nuits parisiennes.
Actuellement dans l’attente de son procès pour son rôle supposé d’« organisateur » de la fraude au CO2, il est également mis en examen depuis juin 2015 dans une sordide histoire d’enlèvement, passible de la cour d’assises. Ces deux dossiers lui ont chacun valu de la détention provisoire, vu la gravité des faits reprochés. Son nom est par ailleurs régulièrement cité dans plusieurs affaires d’assassinats, tous liés au magot ou aux acteurs du CO2. Il est, en somme, devenu un ami un peu trop encombrant pour l’actuel chef du gouvernement israélien.
Après de premières révélations sur la proximité entre le clan Mimran et Benjamin Netanyahou, le bureau du premier ministre israélien avait publiquement affirmé, fin mars, dans les colonnes de Haaretz, n’avoir jamais profité de libéralités quelconques de la part d’Arnaud Mimran.
Seulement voilà : un répertoire rédigé en juillet 2002 par Netanyahou, dans lequel il recensait pays par pays la liste des fortunes qui l’aidaient financièrement, laisse apparaître dans la rubrique “France” un certain « Arnaud », à côté duquel figure un numéro de téléphone, le 06.11.33.XX.XX. Mediapart et Haaretz ont découvert que ce numéro appartenait alors à Arnaud Mimran. Le lien a pu être établi matériellement grâce à une facture téléphonique datée de janvier 2003 et un répertoire téléphonique familial.
Une heure après la publication de notre enquête, les services du premier ministre israélien ont diffusé un communiqué dans lequel il reconnaît finalement des relations d’argent avec Mimran. « M. Netanyahou n’etait au courant d’aucun agissement criminel ou illégal de la part des Mimran quand il était en contact avec eux, comme citoyen privé, au début des années 2000. Ils étaient alors des membres respectés de la communauté juive soutenant Israël en France. Après vérification de faits remontant à plus de quinze ans, il apparaît qu’Arnaud Mimran a contribué au financement de l’activité publique de M. Netanyahou pendant cette période, quand M. Netanyahou n’avait aucune fonction officielle. Cette activité comprenait conférences et tournées à l’étranger pour expliquer les positions israéliennes, et a toujours respecter les lois en vigueur en la matière », peut-on notamment lire dans le communiqué officiel.
Contacté par le biais de son avocat, Arnaud Mimran n’a pas donné suite à nos sollicitations.
L’histoire du carnet de “Bibi”, le surnom de Netanyahou, a déjà fait couler beaucoup d’encre en Israël. Son existence avait été révélée en 2011 par un journaliste israélien de renom, Raviv Drucker. L’affaire mettait au jour les puissants sponsors dont a pu profiter Netanyahou pour le financement de son exorbitant train de vie personnel (voyages en première classe, vacances de luxe, palaces, limousines, domestiques…) entre 1999 et 2002, période durant laquelle “Bibi” revendiquait un statut de « citoyen privé ».
Premier ministre entre 1996 et 1999, Netanyahou est redevenu ministre en 2002 (aux portefeuilles des affaires étrangères par deux fois et des finances) avant de prendre à nouveau la tête du gouvernement en 2009. Mais selon la presse israélienne, les contributions de ses riches donateurs ont malgré tout continué après 2002.
La mise au jour de ce répertoire, rédigé à partir d’un simple fichier Word, avait provoqué beaucoup d’émoi en Israël. Ponctué de remarques sans équivoque figurant à côté de certains noms — « très riche, nos relations pas assez bonnes, je dois y travailler » ou « ami très riche, ne m’a pas donné d’argent directement mais il m’aide beaucoup » —, son contenu et certaines de ses annexes ont permis de documenter le train de vie dispendieux de l’un des hommes politiques israéliens les plus illustres et, surtout, les amitiés fortunées qui l’ont financé.
Parmi les dix plus importants soutiens référencés par Netanyahou lui-même dans son répertoire confidentiel figure d’ailleurs un intime d’Arnaud Mimran : le député franco-israélien Meyer Habib (UDI). Netanyahou le présente dans ses écrits comme son représentant personnel en France. Meyer Habib aime quant à lui parler de Netanyahou comme d’un « frère ».
Le député UDI Meyer Habib et Arnaud Mimran © Mediapart Le député UDI Meyer Habib et Arnaud Mimran © Mediapart
L’enquête de 2011 du journaliste Raviv Drucker avait fait état de prises en charge par Meyer Habib de Netanyahou et de sa famille à l’occasion de déplacements en France. Par exemple, aux vacances de Noël 1999, “Bibi” et les siens avaient séjourné à Paris aux frais de Meyer Habib, selon le journaliste. Un an plus tard, en octobre 2000, le voyage pour un nouveau séjour à Paris de la famille Netanyahou était réglé cette fois directement par le groupe Vendôme, l’entreprise de joaillerie de Meyer Habib, dont l’objet social a peu à voir avec le contentement personnel des hommes politiques. Coût : 5 000 dollars.
Les découvertes de Raviv Drucker, passées inaperçues en France, étaient particulièrement accablantes pour Netanyahou. Outre ses aspects financiers gênants, elles détaillaient les moindres desiderata imposés par les Netanyahou à leurs hôtes lors de leur venue en France : il fallait deux lits séparés plus un lit de camp pour la nounou dans la chambre dédiée aux enfants, des lecteurs DVD, des antidérapants dans la salle de bains, un presse-orange avec filtre, des draps et serviettes qui devaient être changés tous les jours… Le tout était consciencieusement consigné par écrit.
Contacté, Meyer Habib a affirmé n’avoir aucun commentaire à faire sur l’affaire Mimran et assure que son entreprise « n’a jamais donné le moindre centime ni à Benjamin Netanyahou ni à quelque politique que ce soit ». « Tous les dons que j’ai été conduit à faire dans mon existence à titre personnel ont été faits en toute transparence et dans le pur respect de la légalité. Je n’ai aucun souvenir d’un don fait à mon ami Benjamin Netanyahou », a-t-il ajouté, dénonçant une « manipulation médiatique » de la presse israélienne. Révélés il y a cinq ans, les faits n’avaient pourtant suscité en leur temps aucune contestation judiciaire de la part de Meyer Habib.
« Très défavorablement connu des services de police »
Le détail a aujourd’hui toute son importance : le fait qu’Arnaud Mimran soit désigné dans ce même répertoire secret de Netanyahou par son seul prénom – il n’y a que lui en France à profiter de cette faveur – en dit long sur l’intimité entre les deux hommes.
L’affaire Mimran n’est en effet pas un dossier comme les autres en France. Elle mobilise dans toutes ses ramifications, qu’elles soient financières ou criminelles, plusieurs services de police mais aussi de la douane judiciaire, ainsi que de nombreux juges et procureurs qui supervisent la multitude des enquêtes visant l’ami de Netanyahou.
Les antécédents de Mimran ont aujourd’hui de quoi impressionner. En 2000, il est impliqué aux États-Unis dans une vaste affaire de délits d’initiés qui l’amènera à accepter à restituer avec ses complices la somme de 1,3 million de dollars. Une affaire de fraude fiscale débutée en 2002 lui vaudra ensuite d’être condamné à deux reprises, en première instance et en appel à Paris, à partir de 2007.
Mais ce sont les deux années suivantes, en 2008 et en 2009, qu’éclatera la plus grande escroquerie jamais réalisée à ce jour en France, l’affaire dite « du CO2 ». Cette fraude spectaculaire, réalisée sur le dos des droits à polluer à partir de sociétés fictives domiciliées dans une myriade de paradis fiscaux, a coûté au bas mot 1,7 milliard d’euros aux contribuables français, selon la Cour des comptes – des officiels français rencontrés par Mediapart évoquent pour leur part plutôt un préjudice total pour l’État de 2 voire 3 milliards d’euros. Début mai, Arnaud Mimran sera devant le tribunal correctionnel de Paris le principal prévenu de l’un des procès du CO2, qui portera à lui seul sur le détournement de près de 300 millions d’euros.
Benjamin Netanyahou en compagnie de Jacques Mimran, le père d’Arnaud, au restaurant Diep, à Paris (non daté)
Dans plusieurs documents officiels auxquels Mediapart a eu accès, les juges de l’affaire du CO2 désignent Mimran comme un esthète des techniques de blanchiment : utilisation de comptes bancaires au nom d’autrui, usage de comptes ouverts dans des casinos pour y récupérer des espèces après conversion en jetons, faux prêts de jetons entre joueurs au casino, transferts transfrontaliers d’espèces ou de chèques non déclarés… D’après les enquêteurs, c’est ce dossier, plus que tous les autres, qui a fait l’immense fortune de Mimran dont le train de vie a longtemps été ballotté entre hôtels particuliers, palaces, berlines de luxe, comptes offshore et jets privés.
Mais ce n’est pas tout. Arnaud Mimran est par ailleurs actuellement sous le coup d’une quadruple mise en examen pour « enlèvement et séquestration », « extorsion en bande organisée », « association de malfaiteurs » et « blanchiment » pour avoir organisé en janvier 2015 le kidnapping d’un financier suisse réputé et, dans le même temps, avoir simulé le sien dans le but de soutirer à la victime 2,2 millions de dollars, retrouvés sur des comptes à l’étranger.
Claude Dray
Un rapport de police, rédigé le 3 février 2015 dans le cadre de ce dossier, brosse un portrait peu reluisant du personnage : « Arnaud Mimran est très défavorablement connu des services de police et de la justice pour son rôle dans des escroqueries de grande envergure dites à la “taxe carbone” mais aussi dans deux affaires d’assassinats commis ces dernières années dans son environnement. » L’auteur du rapport fait ici référence aux disparitions violentes de son ancien associé dans le CO2, Samy Souied, abattu Porte Maillot en 2010, et de son beau-père le milliardaire Claude Dray, abattu dans sa villa de Neuilly en 2011. Aucune mise en examen n’a à ce jour été prononcée dans ces deux dossiers.
C’est aussi dans ce dossier d’enlèvement que le nom Netanyahou a, contre toute attente, surgi sur procès-verbal, le 19 octobre 2015, lors d’une audition d’Arnaud Mimran par le juge en charge de l’affaire. Alors interrogé sur son emploi (entre deux détentions provisoires) comme directeur marketing du Ken Club, un centre de sport, de détente et de soins de grand luxe situé à côté de la Maison de la Radio, à Paris, Mimran répond : « J’ai fait venir un très grand nombre d’hommes connus au club, qui sont devenus membres ou non, et donc ça a augmenté la notoriété du club, comme Monsieur Netanyahou. »
« Netanyahou, c’est le premier ministre israélien ?, demande alors le juge, selon la retranscription de l’audition.
— Oui, c’est cela, répond Mimran.
— Et il vient au Club ?, interroge, incrédule, le magistrat.
— Pour lui, il était ancien premier ministre mais aussi futur premier ministre [entre 1999 et 2009 – ndlr], il y venait dans cet intervalle en France, et parfois on partait ensemble dans le sud de la France pour les vacances. Quand il était à Paris, il résidait chez moi », précise Mimran.
Il ne s’agit pas d’une forfanterie d’un mis en examen qui voudrait se faire mousser devant un juge. Ce qu’il dit est exact. Arnaud Mimran et Benjamin Netanyahou sont partis en vacances ensemble en 2003 à Monaco, comme une photo déjà publiée par Mediapart en atteste. Les deux hommes se sont également retrouvés en famille à Courchevel à l’occasion d’au moins un séjour financé par Mimran, selon plusieurs sources concordantes. Et comme le dit Mimran lui-même, Netanyahou était logé à l’œil à Paris. Chez lui ou ses parents.
Son père, Jacques, ancien n°3 du groupe Vinci, a d’ailleurs, lui aussi, eu quelques soucis avec la justice : il a été condamné en 2002 pour « corruption » dans une importante affaire de pots-de-vin liés à la construction de la ligne de TGV reliant Paris à Bruxelles. Ce qui ne l’avait pas empêché de recevoir en 2006 des mains du ministre du budget de l’époque, Jean-François Copé, la Légion d’honneur avant d’être radié de l’ordre en 2009, une fois sa condamnation découverte. Sept ans plus tard.
« Jacques Mimran a reçu la légion d’honneur d’un ministre français en 2006, alors que la loi française interdit la remise de cette distinction à des repris de justice. Si le gouvernement français ne savait rien d’activités criminelles de M. Mimran, M. Netanyahou ne pouvait pas en savoir plus, et il ignorait effectivement tout de ceci », affirment aujourd’hui les services du premier ministre israélien.
Fin mars, au lendemain des premières révélations de Mediapart sur les liens entre Mimran et Netanyahou, le chef du gouvernement israélien avaient pourtant cru pouvoir opposer un démenti catégorique à nos informations : « Les sous-entendus contenus dans la presse sont faux et ridicules. Depuis de nombreuses années, il n’y a pas eu de lien entre la famille Netanyahou et la famille Mimran […] Netanyahou n’a pas demandé quoi que ce soit et n’a pas reçu de contributions de la famille Mimran. » Un mensonge, donc.
ACTUALISATION – Cet article a été actualisé, jeudi 14 avril, une heure après sa publication, à la suite de la publication en Israël d’un communiqué de Benjamin Netanyahou dans lequel il reconnaît des relations d’argent avec Arnaud Mimran qu’il démentait il y a mois.
CAPJPO-EuroPalestine