Cause palestinienne en France : une nouvelle voie extrapartisane possible ?
17 avril 2016
Palestine
Lina Kennouche
Une femme agite un drapeau palestinien sur la place des Invalides à Paris en protestation
contre les bombardements israéliens dans la bande de Gaza le 16 juillet 2014. Photo AFP
Jeudi 14 avril 2016
La conception de la solidarité est aujourd’hui largement déterminée par une posture morale qui réduit la cause d’un peuple à une simple question humanitaire.
L’élimination froide du Palestinien Abed al-Fattah Yusri al-Sharif, blessé et gisant au sol, par un soldat franco-israélien, a récemment soulevé une vague de condamnations par les associations de défense des droits du peuple palestinien, qui ont qualifié cet acte de « terroriste » et réclamé la déchéance de la nationalité française de son auteur. Comme à chaque nouvel événement tragique, les mouvances propalestiniennes sont promptes à condamner les atrocités commises et rappeler leur ferme attachement aux droits historiques, légitimes et internationalement reconnus du peuple palestinien.
Mais au-delà d’une posture morale unanimiste, et bien que ce soutien reste largement rhétorique chez certains, le problème de fond réside essentiellement dans le cadre idéologique et politique qui éclaire la démarche de ces acteurs non étatiques. Hormis le fait que la cause palestinienne est souvent l’objet d’une utilisation partisane, lorsque l’on interroge la traditionnelle position des associations françaises de soutien à la Palestine, il ressort souvent une conception qui épouse, dans un réflexe inconscient sous-jacent, le discours politique élaboré par certains partis de l’extrême gauche française. Un discours qui reste enfermé dans une posture de type néocolonial malgré les apparences. Si ces forces de gauche les plus prégnantes exercent une véritable mise sous tutelle idéologique de la forme que doit prendre la lutte pour la concrétisation du projet national palestinien, toute la perversité du raisonnement découle de la conditionnalité du soutien de ceux qui manifestent avec force leur attachement au principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Ce discours n’a en effet vocation à soutenir les revendications des Palestiniens que dans une conception étriquée des intérêts de cette nation, et tant qu’ils ne se dissocient pas de la question sociale et de la lutte contre l’autoritarisme dans le monde arabe, placée au même plan que celle contre l’occupation. C’est donc en réaction à cette conception idéologique et politique des ardents promoteurs de la cause qui tend à déformer les véritables enjeux et la finalité de la lutte que pour la première fois en France est née une nouvelle initiative qui a pris la forme de l’association Comité Action Palestine remettant en cause les fondements idéologiques et politiques du mouvement de solidarité, et esquissant une nouvelle voie : celle d’un soutien inconditionnel, indépendamment du projet politique et social porté par les acteurs de la société palestinienne.
Entreprise de délégitimation
Pour Tayeb Ben Badis, militant associatif et cofondateur du Comité Action Palestine, « la question de la nature du pouvoir est une question secondaire, ou une question qui se posera après la libération de la terre. La souveraineté d’un peuple est entière ou ne l’est pas. Aussi, poser un préalable au soutien à un peuple colonisé, à savoir poser la question de la nature du pouvoir et celle de la question sociale, c’est-à-dire demander des comptes sur le projet de société que les Palestiniens entendent mettre en œuvre, voilà une position clairement colonialiste qui sert l’occupant. C’est une stratégie de délégitimation de la lutte du peuple palestinien menée partout dans le monde et qui peut entrer en résonance avec l’ethnocentrisme des militants de gauche et d’extrême gauche, de culture islamophobe pour leur très grande majorité », juge-t-il. Selon lui, l’islamophobie reste, en règle générale, un élément idéologique structurant de cette vision du monde. L’autre problème de cette mouvance est qu’elle assume finalement un rôle non avoué de police de la pensée à travers le chantage à l’antisémitisme à l’encontre de ceux qui contestent sa position dominante. « Le rôle assigné historiquement à ces militants est le contrôle du mouvement propalestinien en France, en empêchant l’émergence d’un mouvement autonome porté par les descendants d’immigrés. Lors de la dernière guerre de Gaza, on a pu observer cette fracture entre ces militants de gauche et la jeunesse des quartiers populaires, bien évidemment plus radicale quant à son soutien à la résistance du peuple palestinien », explique Tayeb Ben Badis.
À contre-courant, le Comité Action Palestine pose donc clairement les principes du soutien à la résistance du peuple palestinien : condamnation du sionisme comme un mouvement colonial et raciste; soutien à la résistance et à toutes les formes de résistance que se donne le peuple palestinien ; libération de toute la Palestine arabe. Des lignes politiques claires et des principes non négociables qui devraient constituer le préalable à tout discours et action de solidarité envers le peuple palestinien. Tayeb Ben Badis estime donc que ceux qui ont rejoint aujourd’hui les rangs de l’association Comité Action Palestine ont pris conscience d’une réalité historique : en France, un soutien inconditionnel et sans concession ne pourra émerger qu’en dehors des forces politiques classiques, porté par un mouvement autonome et structuré sur des principes antisionistes clairs et une base sociologique composée des couches populaires.
« Les débats sur la déchéance de la nationalité ou sur le voile islamique, par exemple, témoignent de ce rapport néocolonial qui fait des immigrés et des descendants d’immigrés un corps étranger, voire un ennemi de l’intérieur, que seule la force peut raisonner. Si comparaison ne vaut pas raison et si la France n’est pas la Palestine, il n’en demeure pas moins que les masses issues des anciennes colonies françaises (maghrébines pour l’essentiel) s’identifient spontanément au sort et au devenir du peuple palestinien. Pour les militants sincèrement propalestiniens, il ne s’agit rien de moins que de renverser les rapports qui prévalaient jusque-là : faire en sorte que ces masses deviennent l’avant-garde du soutien au peuple palestinien en se débarrassant de ces vieux militants de gauche et d’extrême gauche, et occidentalo-centrés », explique-t-il.
Pour ce militant associatif, l’urgence est aujourd’hui de sortir d’une perception de solidarité dont le fondement reste l’engament moral et humanitaire, posture renforcée depuis les accords d’Oslo.