Par Sheren Khalel (avec l’aide d’Abed al-Qaisi) – (revue de presse : Info-Palestine.eu – 28/4/16)*
Alors que la violence se poursuit dans les territoires palestiniens occupés, les tensions au sein de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) semblent croître tandis que le président palestinien Mahmoud Abbas est accusé par ses détracteurs de tenter de plus en plus d’affaiblir ses opposants et de les réduire au silence.
Le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), un mouvement socialiste qui constitue la deuxième plus grande faction au sein de l’OLP, est au cœur d’une controverse de plus en plus importante.
Depuis que les violences ont repris en octobre, le FPLP est devenu l’une des factions les plus bruyantes dans la contestation de l’administration chancelante d’Abbas. Le groupe s’est montré très critique à l’égard du gouvernement, l’accusant de ne pas soutenir le soulèvement du peuple.
L’OLP englobe plusieurs factions palestiniennes, mais le mouvement auquel Abbas appartient, le Fatah, est de loin le plus important.
Mi-avril, l’OLP a bloqué des fonds qui devaient être acheminés légalement à ses différents membres, ce qui a exacerbé les tensions qui grandissent depuis plusieurs mois.
Le FPLP n’a pas tardé à passer à l’offensive en affirmant que ce blocage était une réponse à ses critiques contre Abbas.
Un jour après l’annonce, des membres du FPLP ont brûlé des photos d’Abbas lors d’une manifestation dans la ville de Gaza. Hani al-Thawabta, dirigeant du FPLP dans la bande de Gaza et membre du comité central du FPLP, a déclaré à Middle East Eye (MEE) que les mesures prises par Abbas avaient pour but de transformer l’OLP en « une arme pour acquérir le pouvoir » en évinçant tous ceux qui sont en désaccord avec ses positions.
L’OLP réduit le financement versé à ses groupes affiliés
Alors que le FPLP entretient des relations fragiles avec l’instance palestinienne, qui a réduit le financement versé au groupe un certain nombre de fois au cours des dernières années, al-Thawabta a indiqué que les relations entre le FPLP et Abbas s’étaient encore plus détériorées au cours du dernier épisode du soulèvement.
Mohammed Brijiya, porte-parole du FPLP en Cisjordanie occupée, a expliqué que l’OLP avait informé le FPLP que la réduction du financement était due à des contraintes financières qui touchent l’organisme, mais son groupe a rejeté les excuses.
Depuis, les médias locaux ont également signalé que l’OLP avait coupé des financements alloués au Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDPLP), un autre groupe de gauche qui entretient des liens avec le FPLP.
L’OLP a rejeté ces allégations, un haut responsable de l’OLP ayant indiqué à MEE que la décision n’était pas politique et que la situation serait « bientôt » rectifiée. Toutefois, la controverse ne s’est pas dissipée et le soutien pour Abbas continue de plonger, même dans les cercles plus traditionnels.
L’impopularité d’Abbas
Selon un récent sondage réalisé par le Palestinian Center for Policy and Survey Research (PCPSR), 64 % de la population palestinienne dans les territoires occupés de Cisjordanie et de la bande de Gaza souhaitent la démission d’Abbas ; ce chiffre a légèrement augmenté depuis que ce sondage a été effectué pour la première fois après qu’Abbas a annoncé son intention de démissionner du comité exécutif de l’OLP en août.
La gestion par Abbas de la crise actuelle a joué un rôle clé dans sa chute de popularité. Alors que le sondage du PCPSR a montré que la majorité de la population palestinienne soutenait le soulèvement, Abbas ainsi que d’autres ministres de l’Autorité palestinienne ont déclaré à plusieurs reprises aux médias que l’administration Abbas était à pied d’œuvre pour réprimer les troubles.
En revanche, le FPLP, le FDPLP, le Jihad islamique, le mouvement du Hamas ainsi que plusieurs autres factions plus petites soutiennent activement le dernier soulèvement, auquel les groupes donnent le nom de « troisième Intifada », ce qui unit des groupes qui ont généralement peu de choses en commun sur le plan idéologique en dehors de leur appel à la fin de l’occupation israélienne.
Dans une récente déclaration qui aurait pu déclencher les mesures de l’OLP, le FPLP a accusé l’administration Abbas de « stigmatiser l’intifada et la résistance en parlant de ’terrorisme’ ».
Selon le sondage du PCPSR, l’appel à la démission d’Abbas est encore plus élevé auprès de la génération Y, dont les représentants sont les principaux participants à l’insurrection et soutiennent sa démission à 69 %.
Un médecin de 23 ans originaire de Bethléem, bénévole en tant que premier intervenant lors des affrontements avec les forces israéliennes, a expliqué à MEE que les jeunes dans ses cercles sont excédés par les efforts de l’Autorité palestinienne pour réprimer les troubles.
Début avril, les forces de l’Autorité palestinienne ont commencé à réprimer les manifestations du vendredi à Bethléem, où des affrontements entre les jeunes et les forces israéliennes éclatent chaque semaine depuis que le soulèvement a commencé en octobre. Alors que ces dernières semaines, les manifestants sont rentrés chez eux sans incident, Bethléem a été le théâtre de passages à tabac sanglants perpétrés par l’Autorité palestinienne – faits que MEE a relayés dans un enregistrement vidéo en septembre, où l’on voit la police de l’Autorité palestinienne se mettre à réprimer violemment les manifestants.
« Le soutien du peuple pour Abbas a chuté en raison de ses déclarations dans les médias et de ses actions contre le soulèvement, a indiqué le médecin à MEE. Il souhaite que le gouvernement palestinien travaille pour l’appareil de sécurité d’Israël et donne à Israël tout ce qu’il demande ; ce n’est pas la voix du peuple. »
Il a également expliqué que les Palestiniens de toutes les factions critiquent l’administration Abbas pour sa répression contre les autres partis politiques palestiniens, en particulier ses principaux rivaux, le Hamas et le FPLP.
« Cette attaque contre le FPLP n’est qu’une autre manière pour Abbas de transformer cette intifada en un problème entre les factions palestiniennes. Il veut que le soulèvement prenne fin parce qu’il est mauvais pour son « entreprise de sécurité » », a-t-il ajouté en faisant allusion à l’Autorité palestinienne.
Une démission improbable
Ido Zelkovitz, chef du département des études sur le Moyen-Orient au Max Stern Academic College of Emek Yezreel et chercheur principal à l’université de Haïfa, a fait part à MEE de son scepticisme quant à une démission délibérée d’Abbas, mais a expliqué que s’il quittait son poste, le remplaçant d’Abbas pourrait jouer un rôle très différent.
« Je ne crois pas qu’après Abbas, nous observerons ce format avec un leader fort servant de président de l’OLP, président du Fatah et président de l’Autorité palestinienne », a affirmé Zelkovitz, se référant aux trois principaux postes d’Abbas. « Il va être le dernier à endosser ce genre de rôle. »
Si Abbas est impopulaire auprès de la population palestinienne, Zelkovitz a cependant estimé que son apport était bénéfique pour l’avenir de l’État palestinien.
« Les politiques d’Abbas ne sont pas populaires auprès du peuple palestinien parce que ce dernier entretient une mémoire collective où la lutte armée est un moyen de mettre fin à l’occupation, alors qu’Abbas se focalise sur les négociations. Abbas a été très utile pour maintenir la stabilité en Cisjordanie, et je pense que sans lui, il y aurait un vide. »
Dans un discours prononcé fin septembre à l’Assemblée générale des Nations unies, Abbas a menacé de mettre fin à la coordination avec Israël en matière de sécurité si Israël ne commençait pas à assumer ses responsabilités telles que prévues par les accords d’Oslo, une position populaire auprès de la population palestinienne.
Cependant, lors d’une interview pour la chaîne israélienne Channel 2 le 31 mars, Abbas a expliqué que la coordination en matière de sécurité entre l’Autorité palestinienne et Israël était la seule chose qui empêchait la région de sombrer dans une « intifada sanglante ».
« Si nous abandonnons la coordination en matière de sécurité, ce sera le chaos ici. Il y aura des fusils, des explosions et des militants armés qui pousseront partout et se rueront sur Israël, avait déclaré Abbas. Sans coordination, une intifada sanglante éclaterait. Je veux coopérer avec les Israéliens. Il y a un accord entre nous et je n’en ai pas honte. »
Ses déclarations sont allées parfaitement à l’encontre des conclusions du sondage du PCPSR concernant l’opinion du public sur la coordination en matière de sécurité et l’utilité d’un soulèvement armé.
Le sondage a révélé que 65 % de la population palestinienne est opposée à la coordination en matière de sécurité avec Israël, tandis que 60 % du public palestinien soutient une intifada et estime qu’une lutte armée aiderait les Palestiniens à obtenir leurs droits nationaux, là où les négociations ont échoué.
Au cours de l’interview, Abbas avait également prévenu que l’Autorité palestinienne était « au bord de l’effondrement », un sentiment que partage al-Thawabta, mais pour des raisons différentes.
« Le président Abbas a provoqué une catastrophe pour les masses, a-t-il indiqué depuis la bande de Gaza. Je pense qu’on peut s’attendre à tout et que les masses peuvent à tout moment prendre l’initiative et exiger l’éviction du président et la réorganisation du gouvernement, parce qu’il est une cause majeure de cette situation désastreuse dans laquelle le peuple palestinien se trouve désormais. »
Sheren Khalel est une journaliste freelance basée en Irak. Elle a fait des reportages à travers le Moyen Orient sur des sujets tels que les droits de l’homme, la question des réfugiés et les conflits.