Près de Nantes, depuis plus de 50 ans, le projet de construction d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes suscite une véritable levée de boucliers de la part des agriculteurs, des riverains du projet et depuis près de 10 ans, de citoyens soucieux de la préservation de l'environnement.
Le projet de construction d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes est l'illustration symbolique du "Grand projet Inutile et Imposé" (GPII) : profitable pour quelques uns et lourdement préjudiciable pour le plus grand nombre et l'environnement.
Si l'idée date de 1965, elle a été relancée dans les années 2000 par le maire de la ville, un certain Jean-Marc Ayrault qui l'a fortement appuyée alors qu'il était premier ministre sous François Hollande de 2012 à 2014. Après de nombreuses batailles juridiques et des confrontations violentes, le gouvernement socialiste continue de porter ce projet, quitte à l'imposer.
Pourquoi construire un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, alors qu'il y en a déjà un tout près de Nantes ?
Le projet a été élaboré pour répondre à la nécessité de désengorger l'aéroport de Nantes : selon la Direction Générale de l'Aviation Civile (DGAC), le trafic à Nantes Atlantique croît de 5% chaque année depuis 20 ans, et atteindrait probablement son seuil de saturation en 2020.
La DGAC a réalisé en 1997 une première estimation du trafic sur Notre-Dame-des-Landes, sur la base des prévisions pour Nantes-Atlantique et des données démographiques des cantons alentours. Le trafic global de Notre-Dame-des-Landes, à l'horizon 2020 serait de 4,3 à 4,9 millions de passagers. IATA-Consultant a mené une étude complémentaire en intégrant les modifications d'infrastructures terrestres et établit des perspectives à 4,82 millions de passagers[1]. Ce nouvel aéroport apparaît donc comme une opportunité pour satisfaire une augmentation du trafic aérien.
De plus, l'actuel aéroport, situé à seulement 5 kilomètres de Nantes, pose des problèmes de sécurité à cause des 10 000 survols annuels à basse altitude[2] du centre-ville. C'est pourquoi les élus ont choisi Notre-Dame-des-Landes, petit village de 2 000 habitants situé à quelques 20 kilomètres. Cependant, cet éloignement du chef-lieu de la région Pays de la Loire pose question quant au transfert des passagers.
Un projet de plus de 40 ans qui rencontre une vive opposition
Les agriculteurs de la région sont les premiers à s'être mobilisés contre Notre-Dame-des-Landes, créant dès 1973 l'Association de Défense des Exploitants Concernés par l'Aéroport (ADECA). Réactivée en 2000, elle s'est jointe à l'Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d'Aéroport de Notre Dame des Landes (ACIPA) et d'autres collectifs. Leurs objectifs : s'opposer à la construction de l'aéroport et "agir pour la sauvegarde de ses intérêts dans le domaine de l'environnement et de l'aménagement harmonieux du territoire".
Les opposants au projet jugent la plupart des arguments en faveur de la construction irrecevables et proposent comme solution alternative la mise en réseau les aéroports proches (Angers, Rennes...)[3].
La saturation du trafic aérien
Selon les associations opposées au projet, il n'est pas du tout acquis que le trafic aérien (surtout national) continue d'augmenter. En effet, celui-ci a même tendance à décliner à cause de la crise économique, l'avion restant un moyen de transport onéreux.
En outre, le désenclavement de la région sera assuré par le projet LGV Rennes-Paris prévu pour 2020-2025, qui permettra aux habitants de toute la région de rallier facilement les aéroports parisiens.
Rappelons qu'en France, plus de la moitié du trafic aérien passager, et 89 % du trafic de fret est concentré à Paris. Les aéroports régionaux ont beaucoup de mal à développer les liaisons internationales sans l'aide des subventions régionales et l'accueil des compagnies low-cost (qui sont également subventionnées). La DGAC déclare par ailleurs que le trafic intérieur n'a cessé de diminuer ces dix dernières années, retournant à son niveau de 1994.
À titre d'exemple, à quelques 90 kilomètres de Nantes, l'aéroport d'Angers accueillait 5 000 passagers en 2011. Les deux pistes de l'aéroport ont atteint un taux de fréquentation de 10% : les compagnies, françaises comme étrangères, s'y succèdent sans jamais y rester bien longtemps. De ce fait, l'utilité d'un deuxième aéroport à Nantes pose question pour beaucoup d'élus locaux.
Enfin, selon les contestataires, l'aéroport de Nantes pourrait contenir plus de 4 millions de passagers sans soucis, puisque les détournements de vols vers Nantes causés par l'éruption du volcan islandais en 2010 n'avaient pas entraîné de paralysie de l'activité.
Les opposants au projet comptent également un collectif de pilotes qui estime que des marges de manœuvre existent. Les avions étant de plus en plus grands (et pouvant donc accueillir de plus en plus de passagers), il serait possible d'aménager Nantes Atlantique en agrandissant l'aérogare et en construisant une ligne ferroviaire qui desservirait plus efficacement le centre de Nantes depuis l'aéroport.
Pilotes contre NDDL par Acipa
L'argument sécuritaire ne tient pas non plus : d'autres villes, telles que Toulouse, ont des aéroports proches des centres-villes, et les avions survolent des zones densément peuplées sans qu'il y ait d'accidents grave. Cependant, les populations survolées sont exposées à des seuils de bruit qui affectent leur santé.
Quels seraient les bénéfices économiques de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ?
L'argument majeur en faveur de la création d'un nouvel aéroport est bien évidemment économique. Selon les pro Notre-Dame-des-Landes, un aéroport de cette envergure faciliterait le développement économique du Grand-Ouest, car il permettrait une meilleure organisation des déplacements, tournés vers l'international.
De plus, la construction de l'aéroport, d'une durée de 4 ans et qui aurait dû commencer en 2013 permettrait de créer environ 4 000 emplois. La chambre de commerce et d'industrie estime qu'une fois en service, il générerait « 3250 emplois directs et 2,8 fois plus d'emplois indirects ».
Des chiffres qui seraient largement surestimés selon les anti : la construction entraînerait la disparition d'une centaine d'emplois agricoles, et les emplois indirects qu'ils génèrent. De plus, une étude commandée par l'État en 2010 estime à moins d'une centaine le nombre d'entreprises qui prévoient de s'installer autour de Notre-Dame-des-Landes.
Notre-Dame-des-Landes : l'aéroport « le plus écologique du monde » ?
Pour parer les arguments des écologistes, les pro ont fait valoir les performances environnementales du futur aéroport : aérogare basse consommation, toiture végétalisé, minimisation des trajets pour l'embarquement... D'ailleurs, le bilan carbone de l'aéroport devrait être positif... en 2072 (sic).
Les militants écologistes s'insurgent contre de tels arguments : favoriser les déplacements aériens ne peut en aucun cas cadrer avec une logique de réduction des émissions de gaz à effets de serre (l'avion étant officiellement responsable de 2,5% des émissions mondiales de CO2 dues aux activités humaines, soit 550 millions de tonnes par an[4]).
Selon les environnementalistes, le bassin agricole de Notre-Dame-des-Landes est d'une grande qualité écologique et il serait préjudiciable de condamner une grande partie de ce territoire dont la biodiversité est remarquable.
1 200 hectares de zones humides et de bocages sont condamnés avec l'aéroport. Or, les zones humides sont essentielles pour notre environnement :
elles contribuent à améliorer la qualité des eaux en les dépolluant,
elles assurent une fonction d’éponge qui limitent les effets des inondations et des sècheresses,
elles stockent du carbone,
elles sont des réservoirs de biodiversité.
Selon France Nature Environnement, "deux Zones naturelles d'intérêt écologiques, faunistiques et floristiques (bois et landes de Rohanne et des Fosses noires et bois, landes et bocage du Sud-ouest de Notre-Dame-des-Landes) ont également vocation à disparaître avec un tel projet.", elles sont classées en ZNIEFF[5].
Bien sûr, il est prévu de "compenser" ces pertes écologiques. Encore faudrait-il que ce soi réellement possible. "Le cas de Notre-Dame des Landes est emblématique des limites de la compensation biodiversité. Les inventaires réalisés – dans des conditions douteuses – par le cabinet d'expertise Biotope ont oublié de nombreuses espèces et mal répertorie les zones, comme l'a révélé le travail des décompenseurs en lutte. Comment compenser des espèces dont l’existence même est ignorée ? La compensation ne permet-elle pas de justifier la destruction d'espèces non encore répertoriées ? A Notre-Dame des Landes, c'est bien les retards pris suite à la résistance citoyenne qui ont permis d’établir la véritable richesse biologique du lieu. Au final, cette zone de bocage, souvent dépeinte comme ordinaire, comporte 1500 espèces recensées. Soit un niveau proche des sites Natura 2000 du département selon les écologues", décrypte Maxime Combes dans son dossier sur la compensation biodiversité.
De plus, la desserte de l'aéroport par une ligne tram-train n'est pas encore assurée, ce qui entraînera au moins au début une multiplication des trajets en voiture ou en bus pour rallier Notre-Dame-des-Landes... Ce qui signifie une nouvelle fragmentation des espaces ouverts et donc une baisse de la biodiversité (sans parler des nuisances pour les riverains).
Malheureusement, la bataille des idées et la démocratie se sont enlisées. Les décideurs et les industriels appuyés par les plus hautes autorités de l'Etat veulent imposer ce grand projet inutile, contre le bon sens, l'environnement et le bien-être commun. une mobilisation plus violente, résistante s'est alors mise en place en 2012, alors que plus de 80 % des Français étaient opposés au projet en 2013.
Des affrontements de plus en plus violents entre les forces de l'ordre et les "zadistes"
Le bocage est presque un lieu convivial (si l'on exclut les chutes d'arbres et de branchages qui rendent les sentiers impraticables) depuis que les militants y ont organisé une vie collective. Doté d'une infirmerie, d'un coin de préparation des repas, le site est habité en permanence par des centaines de "zadistes" soutenus par des milliers de citoyens opposés au projet qui rallient le site à pied (pour contourner les barrages mis en place par les forces de l'ordre) pour amener des vivres et des ustensiles aux manifestants.
En 2008 un collectif local d'habitants lançait un appel à occuper les terres accaparées par la Zone d'Aménagement Différée. Après un Camp Action Climat en 2009, le mouvement d'occupation s'est amplifié sur ce qui a été rebaptisé la Zone A Défendre (ZAD).
Si la plupart des opposants ont recours à des moyens classiques (ils ont multiplié les manifestations, les recours juridiques et les déclarations dans la presse), cette minorité de résistants entend faire échouer le projet sans forcément passer par des moyens légaux, puisqu'ils squattent actuellement le futur emplacement de l'aéroport. Ainsi, anarchistes, écologistes radicaux et activistes d'extrême gauche se sont violemment opposés aux forces de l'ordre, dans des affrontements qui ont fait une centaine de blessés en 2012. La plupart ont été accueillis dans des infirmeries réparties un peu partout sur le site. Les plus gravement touchés sont envoyés dans un hangar prêté par un agriculteur, transformé pour l'occasion en petit hôpital de campagne, coordonné par un médecin bénévole. En effet, les grenades de dispersion et les gaz lacrymogène lancés par les forces de l'ordre occasionnent des blessures, tout comme les tirs de flashball lancés par des CRS protégés des pieds à la tête.
Le premier ministre Ayrault propose un dialogue tardif
En 2012, le ministre de l'intérieur Manuel Valls considérait l'opposition au projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes comme un « kyste »[6], révélant aussi les dissensions au sein même du gouvernement alors que le partie EELV est opposé au projet.
Rappelant le large soutien dont le projet bénéficie (notamment d'anciens ministres des transports, mais aussi de l'UMP, des communistes, des socialistes et des collectivités locales), le premier ministre et ancien maire de Nantes a réaffirmé la volonté du gouvernement de mener ce projet à terme. Les premiers travaux de défrichement, prévus en janvier, ont été retardés de six mois.
Devant l'ampleur de la mobilisation qui s'est manifestée dans des dizaines de grandes villes françaises et la résistance farouche sur le terrain, le premier ministre n'a pas eu d'autre choix que d'annoncer l'ouverture de négociations via la création d'une « commission de dialogue ».
Chez les opposants, souvent de gauche, l'incompréhension est totale. Malgré une mobilisation de grande ampleur, le gouvernement s'entête et refuse de revenir sur ses positions. Ils jugent également que la répression exercée n'est pas digne d'un gouvernement de gauche, qui devrait reconnaître un tel mouvement social.
Avril 2013 : le gouvernement français débouté par les études
La commission du dialogue, présidée par Claude Chéreau, a rendu public le 9 avril 2013 ses rapports concernant le transfert de l'aéroport Nantes Atlantique vers le site de Notre-Dame Des Landes. Ceux-ci valident les arguments des opposants à l'aéroport « bien au-delà de ce qu'eux même pouvaient espérer » indique un collectif d'associations[7].
En effet, le projet d'aéroport et desserte routière de Notre-Dame-des-Landes se situe « en quasi-totalité dans des zones humides, définies selon la réglementation actuelle, et constitue l'un des premiers projets en France à devoir mettre en œuvre des mesures de compensation sur une superficie aussi vaste et aussi circonscrite dans l'espace », souligne le collège d'experts scientifiques. Par conséquent, la méthode de compensation des dégâts environnementaux proposée par le constructeur Vinci est rejetée par le collège d'experts qui listent de nombreuses insuffisances et doutent de la bonne mise en oeuvre dans le temps des mesures de compensation avancées.
Les impacts sur l'agriculture sont également jugés sous-estimés et beaucoup trop importants.
Par ailleurs, le Comité Permanent du Conseil national de protection de la nature a validé dans une motion du 10 avril 2013 les réserves émises par le collège d'experts et « recommande, conformément à ce rapport, la réalisation de compléments à l'état initial sur une période d'au moins deux années, et, en toute logique, l'examen des mesures compensatoires sur la base d'un état initial complet et actualisé ». De plus, le Comité permanent « relève le manque de justifications et l'inopérance de la méthode pour déterminer les mesures compensatoires ».
Enfin, la Commission Européenne s'est auto-saisie du dossier de l’aéroport, qui pourrait présenter plusieurs violations des directives européennes.
Jamais les réserves émises sur ce projet n'ont été aussi fortes et justifiées et pourtant, le premier ministre Jean-Marc Ayrault et des élus des collectivités territoriales, s'y cramponnent coûte que coûte dans un déni flagrant de bon sens, de respect de l'environnement et de la démocratie.
« La bataille est loin d'être gagnée, les décisions juridiques déjà prises localement permettent les expulsions à tout moment. » rappelle le collectif.
Juin 2016 : tenue du référendum sur Notre-Dame-des-Landes
Finalement, le gouvernement a choisi de lancer un référendum qui se tiendra le 26 juin 2016 à destination des 967 500 habitants de Loire Atlantique : "Vous êtes appelés à faire connaître, par « oui » ou par « non », votre avis sur la question : « Êtes-vous favorable au projet de transfert de l'aéroport de Nantes Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes? » (Projet déclaré d’utilité publique en 2008)." expose la Commission Nationale du Débat public qui propose également une synthèse instructive sur les arguments pour et contre le projet.
Les partisans du "non" restent menaçant si le "oui" l'emporte et continueront de se mobiliser pour un projet qu'ils jugent "illégal".
Du côté du gouvernement, Manuel Valls, premier ministre a déclaré mardi 21 juin 2016 : « Si le non l’emporte, le projet sera abandonné. Si le oui l'emporte dimanche, le projet sera engagé [dès l'automne 2016]. Et je veux également rappeler que quel que soit le résultat, les personnes qui occupent illégalement des propriétés devront partir. »
Même en cas d'abandon du projet, les zadistes ne semblent pas prêts à quitter les lieux alors qu'ils y expérimentent "une forme de vie autogérée, libérée du salariat et de l'économie classique. Notre rapport au monde est différent et il ne se limite pas à la construction d'un aéroport." explique Camille dans l'Obs.
La Ligue des Droits de l'Homme note que "La transparence des projets, la diffusion des expertises et le débat contradictoire autour d'elles, l'information et la consultation effective des populations concernées doivent accompagner la décision des élus." et regrette "qu'une telle démarche n’ait pas été mise en œuvre et ne soit toujours pas à l'ordre du jour, pour ce projet comme pour les autres."
Notes
Débat Aéroport Notre-Dame-des-Landes - CPDP
À moins de 500 mètres de hauteur.
Le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes - Linternaute.com
Paris-New-York aller-retour = une tonne de CO2 par passager - notre-planete.info
Zone d'intérêt écologique, faunistique et floristique.
En médecine, un kyste est une tumeur normalement sans gravité qui est remplie de liquide ou d'air et qui peut se former dans n'importe quelle partie du corps. Dans certains cas, ils peuvent dégénérer en cancer. L'analogie est donc particulièrement forte.
Agir pour l'Environnement, AITEC, Les Amis de la Terre, Attac France, Confédération paysanne, FNAUT, Greenpeace France, Réseau Action Climat France
Sources
A Notre-dame-des-Landes, les opposants à l'aéroport plus déterminés que jamais – Bastamag
Ces aéroports qui coûtent cher et ne servent presque à rien – Bastamag
Ayrault ferme avec les écologistes sur l'aéroport nantais – Le Nouvel Observateur
Notre-Dame-des-Landes: pourquoi les pro et les anti se déchirent ? – L'Express
Zone A Défendre
Auteur
Christophe Magdelaine Christophe Magdelaine / notre-planete.info
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Source : notre-planete.info, http://www.notre-planete.info/actualites/3571-aeroport_Notre-Dame-des-Landes