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25 novembre 2024

L’histoire des ampoules électriques: un bel exemple de cynisme marchand


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Ampoule électrique

L’histoire des ampoules électriques: un bel exemple de cynisme marchand

© Flickr/ Jan
Société

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Les ampoules LED ont une durée de vie vingt fois supérieure à leurs homologues à incandescence utilisées depuis le début du XXe siècle, et sont plus écologiques.

Mais il ne faut pas s’y tromper: cette qualité moindre était volontaire de la part des producteurs, et a même posé les bases de l’économie de consommation moderne. Le New Yorker révèle la véritable histoire des ampoules électriques.Les ampoules à incandescence auraient une faible durée de vie… Vraiment? Le Livre des records Guinness témoigne qu’une ampoule est en usage depuis 1901 dans la caserne des pompiers de Livermore (Californie). Elle est allumée depuis 115 ans et a déjà fonctionné plus d’un million d’heures. Cette ampoule a été fabriquée par la société Shelby Electric dans l’État de l’Ohio et dispose d’un filament de carbone de la même épaisseur (d’un cheveu) que les filaments de tungstène de ses successeurs actuels.

Sachant que les ampoules actuelles, qui arrêtent de fonctionner après seulement quelques mois, vivent deux fois moins que celles qui éclairaient les foyers au début des années 1920. Cette chute dramatique de la durée de vie a commencé en 1924 quand les producteurs de dispositifs d’éclairage, notamment la néerlandaise Philips, l’allemande Osram, la française Compagnie des Lampes et l’américaine General Electric, ont décidé qu’une trop bonne qualité n’était pas profitable. La veille de Noël, le 23 décembre, les représentants de l’industrie se sont rencontrés en Suisse pour fonder le cartel Phœbus (nom du dieu Apollon signifiant « le brillant ») pour monter ce qui fut probablement le premier complot de compagnies d’une telle envergure globale de l’histoire. Étant donné qu’au milieu des années 1920 la durée de service des ampoules avait atteint un indice menaçant le chiffre d’affaires des producteurs, ils se sont entendus pour la réduire de pratiquement de moitié, jusqu’à 1 000 heures. Ces soudains changements, accompagnés d’une hausse du prix des ampoules, ont été expliqués au public par l’amélioration de la qualité et une meilleure brillance mais les chercheurs sont convaincus aujourd’hui que la vraie raison était l’appât du gain. Le cartel Phœbus a marqué le début du modèle connu aujourd’hui sous le nom d’obsolescence programmée.

Cet accord entre les fabricants d’ampoules pourrait être considéré comme un complot de malfaiteurs avares mais le concept d’obsolescence programmée a été salué par les principaux économistes de l’époque. A la fin des années 1920, ce modèle est devenu si populaire qu’un partenaire de Lehman Brothers, Paul Mazur, a qualifié l’obsolescence de « nouveau dieu » des affaires américaines. Il écrivait: « Nous devons faire passer l’Amérique d’une culture du besoin à une culture du désir. Il faut apprendre aux gens à vouloir un nouvel objet avant que l’ancien n’ait fait son temps ».Le concept d’obsolescence programmée n’est pas apparu par hasard: les économistes des années 1930 appelaient même à l’employer pour mettre un terme à la Grande dépression. Simplement, quand la dépression a pris fin, ce modèle n’a pas été abandonné: il est devenu la base de toute l’économie de consommation moderne. L’obsolescence est intégrée absolument dans tout ce qu’achète le consommateur jusqu’à aujourd’hui, et les arguments en faveur de cette stratégie se faisaient également entendre durant la dernière crise financière aux USA en 2007-2008.

Paradoxalement, l’ampoule, qui a lancé le nouveau modèle de consommation, pourrait également y mettre fin. Les LED modernes sont probablement le premier produit de masse du XXIe siècle susceptible de contester l’obsolescence programmée des marchandises. Elles fonctionnent jusqu’à 25 000 heures, voire plus, ce qui signifie qu’une ampoule LED achetée aujourd’hui peut servir en régime normal pendant plus de 40 ans.Mais une fois de plus, comme il y a cent ans, l’ampoule prête à servir l’humanité rencontre un obstacle: comme dans les années 1920, les compagnies ignorent comment survivre en fabriquant un produit à la durée de vie élevée, qui fonctionnera pendant des années et des décennies. « Le modèle commercial qui rendrait rentable cette production n’a pas encore été inventé », souligne le New Yorker.

Malgré les prévisions, qui indiquent que le marché des ampoules LED devrait atteindre les 38 milliards de dollars cette année, les producteurs doivent déjà se poser la question de savoir comment ils resteront à flot quand le marché sera comblé et que les ventes commenceront de chuter. Selon les experts, deux solutions s’offrent à ces compagnies: commencer la production de produits à moindre coût avec une durée de vie inférieure (à nouveau) ou quitter ce secteur. Les grandes compagnies semblent pencher pour la seconde solution: Philips, Osram et General Electric ont déjà créé, sur la base des départements fabriquant des ampoules de consommation, des structures à part qu’il sera facile de vendre. Pendant ce temps, les compagnies mères se concentrent sur l’éclairage pour les entreprises et sur les LED pour différents dispositifs intelligents.Par contre, si le modèle commercial des producteurs d’ampoules LED dérivait vers la fabrication de produits à moindre coût et à plus faible durée de vie, alors la technologie LED serait une nouvelle victime de l’économie de consommation.

Mais l’histoire se répétera-t-elle? Aujourd’hui, la stabilité écologique est une priorité pour tous les pays développés, qui ont affirmé vouloir préserver l’environnement.Les produits à longue durée de vie existent mais restent coûteux et donc peu abordables. Une ingérence des représentants politiques est nécessaire pour faire de ces marchandises un produit vraiment accessible à tous. Depuis plus de 30 ans, les économistes disent que les produits à plus longue durée de service ne sont pas nuisibles pour les entreprises et permettent, au contraire, de fixer des prix plus élevés, d’engager plus de personnel, de développer le secteur de la réparation et de la maintenance, et enfin de réduire les déchets produits par l’homme. En 2015, un consortium d’organisation de protection de la nature, y compris des agences gouvernementales européennes, a appelé à produire des marchandises plus durables. En 2016, le Parlement européen a rendu public un rapport sur les avantages de tels produits pour les entreprises et les consommateurs.

Néanmoins, aucun pays n’a encore pu séparer la croissance économique de l’impact sur l’environnement. En dépit de la popularité des produits énergétiquement efficaces, recyclés, biodégradables et non toxiques, la consommation des ressources continue d’augmenter. L’humanité et la pollution continuent d’avancer main dans la main. Les lois ne suffisent pas: il faut changer la culture de consommation elle-même. Si aujourd’hui, la mode est d’avoir quelque chose de nouveau tous les jours, à terme, pour parvenir à réduire notre consommation, nous devrons apprécier « l’ancien, mais meilleur » plus que le « nouveau et dernier sorti ». C’est précisément l’obstacle le plus difficile que le cartel Phœbus a placé devant la société de consommation il y a cent ans.

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