Par Gilles Munier/
Tous ceux qui suivent la situation en Irak doivent absolument se procurer « 1916 en Mésopotamie » de Fabrice Monnier, qui vient de paraître aux Editions du CNRS.
Ils apprendront – s’ils ne le savaient pas – que dans l’Empire ottoman, qui s’effondrait, les musulmans ne se laissaient pas envahir facilement par les grandes puissances, les « kouffars » comme ils les appelaient déjà. Ils étaient capables, ne serait-ce que par obligation religieuse – sunnite ou chiite – ou pour l’honneur, de leur résister courageusement, voire de les battre à plate couture.
La « Force D », expédition militaire venue des Indes britanniques – débarquée à Fao en 1914, près de Bassora – l’a appris à ses dépens en avril 1916 : 18 000 morts rien qu’à la bataille de Kut al-Amara et 9 500 prisonniers emmenés en Turquie dont beaucoup ne revinrent jamais.
L’ouvrage de Fabrice Monnier, passionnant, se lit comme un roman historique. Il m’a tenu en haleine de bout en bout, notamment avec son récit du siège de Kut et de la reddition du général Charles Townshend qui croyait conquérir Bagdad sans difficulté. Ce n’est pas l’impréparation des militaires britanniques chargés d’occuper la Mésopotamie – appelée, selon eux, à être peuplée avec des paysans indiens – qui m’a sidéré le plus, mais l’arrogance et le mépris des officiers anglais pour les forces armées ottomanes, les tribus arabes, et même pour leurs propres « harkis » indiens. A croire que l’armée de Sa Majesté ne venait pas de subir une cuisante défaite face à la Turquie dans le détroit des Dardanelles…
Tandis que la Première guerre mondiale faisait rage en Europe, à Londres il n’était pas seulement question d’empêcher le Kaiser Guillaume II de contrôler la route des Indes. On y parlait déjà d’Or noir. Certes, il fallait protéger la raffinerie de l’Anglo-Persian Oil Company d’Abadan (Iran) qui approvisionnait la marine britannique en mazout mais, au-delà, il s’agissait de s’emparer d’une région connue de quelques spécialistes – et de l’Intelligence service – pour être gorgée de pétrole.
A cette fin, et pour effacer l’humiliante défaite de Kut al-Amara – quasiment passée sous silence dans la presse londonienne -, les Britanniques durent envoyer en Irak un corps expéditionnaire de 100 000 hommes, 176 canons et des avions leur assurant la supériorité dans les airs. Commandés par le général Frederick Maude, les Britanniques prirent Bagdad le 11 mars 1917. Mossoul qui résistait ne sera occupée que le 10 novembre 1918, sans respect pour l’armistice conclu avec les Turcs à Moudros dix jours plus tôt.
« Cent ans plus tard, les conséquences de cette guerre », écrit Fabrice Monnier, « les promesses non tenues et des humiliations infligées se font toujours sentir dans un Moyen-Orient où on a la mémoire longue».
Elles sont de toute évidence avec les deux guerres du Golfe, l’embargo international et plus d’un million de victimes civiles, à l’origine du chaos irakien actuel.
Les Américains – Bush père et surtout fils – n’ont tiré aucun enseignement de l’occupation de l’Irak par les Britanniques. Les résistances irakiennes sunnites et chiites – avec l’Armée du Mahdi et le Hezbollah irakien – les ont contraints à rappeler leur corps expéditionnaire. Un Etat islamique (EI) remettant en cause les accords Sykes-Picot a aussitôt émergé dans les provinces majoritairement sunnites d’Al-Anbar et de Ninive. Ce qu’il représente ne disparaîtra pas après sa défaite à Mossoul, loin de là. La partition de facto du pays en entités plus ou moins autonomes semble maintenant en cours. Il va s’en dire qu’elles ne demeureront pas longtemps en paix.
Mais en attendant cet éventuel redécoupage, ce sont les déclarations de campagne de Donald Trump – nouveau président des Etats-Unis – qui inquiètent. Elles ne laissent présager rien de bon dans la région, puisqu’il considère que les Américains ont le droit de s’emparer des champs de pétrole irakiens pour se rembourser des dépenses occasionnées par la guerre contre le terrorisme (terrorisme qu’ils ont eux-mêmes provoqué !). C’est plus facile à dire qu’à faire. Comme disent les anglo-saxons : Wait and see…
Présentation de l’ouvrage par son auteur (vidéo – 2’47):