Une commission trilatérale à la française
28 novembre 2016
LE WORLD POLICY FORUM
COMAGUER
Dimanche 27 novembre 2016
Sur le modèle du groupe de Bilderberg et de la Commission trilatérale les techniques de domination mondiale de la classe capitaliste transnationale sont désormais bien rodées et le World Policy Forum qui vient de tenir sa 9°réunion à Doha fonctionne sur le même modèle.
La différence provient du fait qu’il s’agit d’une initiative française et que son multilatéralisme donne une image des ambitions et des réseaux du sous-impérialisme français réellement existant.
A l’origine le patron du principal think français : Thierry de Montbrial fondateur et dirigeant de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI) qui connait tous les rouages du Bilderberg et de la Trilatérale pour en être de longue date un participant actif. A ses côtés le patron du groupe Lafarge, multinationale d’origine française ayant déménagé récemment son siège social en Suisse suite à sa fusion avec le cimentier suisse HOLCIM qui a été un des groupes capitalistes les plus actifs dans les activités de la Trilatérale, et le général le plus versé dans la politique internationale Jean-Louis Georgelin qui fut chef d’état-major des armées après avoir été le chef d’état-major du Président Chirac dès son installation à l’Elysée en 2002. Sans oublier l’incontournable Jean-Claude Trichet, ex patron de la banque centrale européenne et habitué de toutes ces mondanités capitalistes.
Pour rassembler pendant 3 jours tous frais payés 250 invités à l’Hôtel Sheraton de DOHA il faut de l’argent. Il y en a via la FONDATION DU WORLD POLICY FORUM, siège à Genève où la discrétion bancaire est mieux assurée qu’à Paris, et il y en a sur place au Qatar.
Le WORLD POLICY FORUM a tenu 8 réunions depuis sa fondation en 2008. Son caractère français est marqué puisque ses conférences se sont tenues deux fois et demi en France (Evian, Cannes, Monaco) une fois en Suisse (Montreux) et en Autriche (Vienne), et deux fois à Marrakech, cette ville marocaine si prisée de la bourgeoisie française. Le seul pays lointain qui l’ait accueillie avant le Qatar cette année est la République de Corée (lire « Corée du Sud »).
Parmi les invités des précédentes conférences quelques hommes d’influence au service des intérêts du grand capital transnational baptisé MONDIALISATION pour gommer la forte composition de classe du phénomène. La MONDIALISATION est la forme contemporaine et l’appellation ouatée de la guerre des classes planétaire menée par la fraction la plus riche et la plus monopoliste de la classe capitaliste mondiale.
Pour bien montrer l’étroitesse de ce cercle à vocation hégémonique relevons quelques noms de participants bien connus aux réunions du Bilderberg et de la Commission Trilatérale.
Mario Monti (Goldman Sachs boy), Ehud Barak, Jaap de Hoop Scheffer (ex secrétaire général de l’OTAN), Alassane Ouattara, le président ivoirien mis en place par l’armée française et son chef Nicolas Sarkozy, le prince saoudien Turki Al Faisaal, ancien ambassadeur à Washington, grand copain de Bush, mis sur la touche par le nouveau monarque saoudien après avoir été le chef des services de renseignement, Martii Ahtisaari, ancien président finlandais ayant trempé dans toutes les vilénies de l’Union européenne dans l’ex Yougoslavie…
Parmi les français : Robert Badinter, un des concepteurs de la loi Travail et le premier juriste à avoir ouvert la voie à la destruction de l’Etat fédéral yougoslave, le rabbin Haim Korsia, actuel Grand rabbin de France, Elisabeth Guigou, actuelle présidente de la Commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale encore présente, cette fois à Doha, et Hubert Védrine lui aussi présent à Doha. La présence du nouveau patron de Total après l’étrange mort de son prédécesseur sur l’aéroport de Moscou est inévitable dans un pays grand producteur de gaz naturel où l’entreprise française a une forte présence. S’explique aussi la présence de Guillaume Pepy, président de la SNCF par la bataille désormais mondiale entre le puissant secteur ferroviaire chinois (ingénierie, réseaux, matériel roulant..) et ce qu’il reste du secteur ferroviaire français très affaibli par le mariage Alstom/General Electric, ainsi que celle du président de l’Institut Pasteur, fleuron de la science pharmaceutique française, du PDG du groupe ACCOR en compétition mondiale avec les grands groupes hôteliers anglo-saxons, et d’un représentant des patrons français du BTP très impliqués dans le bétonnage du Qatar.
La présidente de cette 9° session du World Policy Forum est confiée à une représentante de la Banque Rothschild, Zineb Al Andaloussi, confirmant le fait que dans ce type de réunions capitalistes transnationales, « la Rothschild touch » est un signe de distinction irremplaçable, surtout quand les Rockefeller, décidément trop yankees, ne sont pas invités. D’origine marocaine, diplômée de l’Ecole Centrale, Zineb Al Andaloussi est en charge des intérêts de la banque en Afrique, activité où l’a précédée le franco-béninois Lionel Zinsou rejeté par les électeurs béninois lors des dernières présidentielles, lui aussi présent à Doha.
Tout ceci démontre la préparation très sérieuse de cette conférence par le sous-impérialisme français attestée par la présence officielle de Jean Marc Ayrault.
Le deuxième enseignement de la liste des invités est que les « amis de la France impérialiste» dans ce petit monde très sélectif des initiés des grandes affaires se recrutent dans un nombre très limité de pays. Passons sur les deux ou trois experts chinois et sur leurs homologues japonais en matière de politique internationale, qui sont invités car ils sont de très bon niveau et sont des voix émanant de la seconde et de la troisième économie mondiales et arrêtons-nous au fait que l’Europe tant vantée et soi-disant si unie dans le discours du pouvoir est quasiment absente : un journaliste de The Economist ne représente pas à lui tout seul le Royaume Uni, et pas d’invité allemand ni d’invité italien, concurrence économique oblige. La France n’est accompagnée que de représentants d’Etats européens secondaires : quelques roumains, quelques polonais et quelques espagnols.
Le troisième enseignement est que hors d’Europe la France impérialiste a peu « d’amis/alliés » véritables. En tête vient bien sûr le Qatar, pays hôte, mais les trois pays les plus représentés sont le Maroc, la République de Corée et la Turquie. Pour le premier d’entre eux ceci confirme la « marocanisation » du gouvernement Valls qui s’appuie sur le seul pays africain non membre de l’Union africaine et qui poursuit une politique de type colonial (un vieux classique remarqué par Frantz Fanon : le dirigeant décolonisé reproduit les méthodes de l’ancien colonisateur). Pour le second il s’agit de la manifestation d’affinités nouvelles et d’un soutien à un régime en difficulté et dont une partie de la population exprime des aspirations à la réunification d’une Corée coupée en deux depuis 1953. Pour le troisième l’invitation de l’ancien premier ministre M Davutoglu, brutalement écarté par Erdogan constitue un choix par défaut, Erdogan étant devenu par trop imprévisible.
Pour l’Afrique subsaharienne la France impériale n’est accompagnée que de deux responsables sénégalais. Son obligé Ouattara était venu pour une conférence précédente et son parachuté Lionel Zinsou ayant raté son atterrissage au Bénin ne sera à Doha qu’en qualité de banquier français.
Le quatrième enseignement vient de la lecture des thèmes retenus pour la discussion. Il en ressort qu’avec le Brexit, l’élection de Trump, l’échec occidental prévisible en Syrie, la période est très incertaine au point que dans ses propos liminaires Thierry de Montbrial reconnait que la mondialisation est menacée.
Parole d’orfèvre ! Oui, la mondialisation capitaliste est menacée par la crise prolongée du système, par la multiplication des guerres qu’elle a engendrées, par les mouvements migratoires que ses guerres provoquent, par l’enrichissement insupportable d’une toute petite minorité qui a voulu mettre le monde entier en coupe réglée et qui suscite des rejets populaires de plus en plus nombreux. Ce n’est pas cette mondanité qatarie qui va la sauver.
Enfin la participation d’un « opposant syrien », Riyad Hijab -dernière trouvaille française pour faire entendre sa voix dans le processus de paix qui suivra l’élimination des terroristes d’Alep et de la vallée de l’Euphrate par la seule véritable coalition antiterroriste : Syrie, Russie, Chine, Iran, Hezbollah- montre que la conférence de Doha qui a précédé une réunion convoquée pour le 28.11 du « camp français pour le renversement du gouvernement syrien » était une des ultimes vaticinations de la désastreuse diplomatie hollandaise. A défaut de soutien populaire ce monsieur sera probablement reparti de Doha avec des paquets de dollars qataris pour s’acheter une milice privée, « modérée » (évidemment), bien équipée et une clientèle politique.