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22 novembre 2024

En Libye, l’implication croissante des Américains au risque de l’engrenage


Libye


Moncef Djaziri


Fin septembre 2016, des soldats du gouvernement national sur la ligne de front à Syrte.
Fabio
Bucciarelli/AFP

Mercredi 7 décembre 2016

The Conversation

Une nouvelle intervention en Libye de l’Alliance de l’Atlantique-Nord (OTAN) n’est pas à l’ordre du jour. Il y a un an, le 6 décembre 2015, le secrétaire général, Jens Stoltenberg, avait déjà été très clair à ce sujet :

« Nous sommes prêts à aider le gouvernement libyen et l’assister mais pas en intervenant militairement, intervention que je ne recommande pas ».

Au vu des conséquences de son intervention en mars 2011, et compte tenu des rapports de compétition accrue entre les pays occidentaux et la Russie, l’OTAN préfère en effet agir par le truchement du Commandement militaire américain pour l’Afrique (Africom), installé en Allemagne, pour combattre Daech, tout en apportant son appui technique au pouvoir à Tripoli, reconnu par les pays occidentaux. C’est bien le choix qui a été fait, en août 2016, et qui semble avoir permis – au moins provisoirement – de défaire l’État islamique à Syrte, par ailleurs un des bastions des Kadhafistes et de leurs alliés.

Censée venir en aide aux opposants de Benghazi « menacés de massacre », selon l’OTAN et les pays occidentaux, l’opération « Unified Protector » lancée en mars 2011 s’était vite transformée en soutien militaire aux rebelles libyens dans leur guerre contre le régime de Kadhafi. Tout cela dans le cadre d’une lecture controversée de la résolution 1973 du 16 mars 2011 du Conseil de sécurité de l’ONU autorisant l’usage de « toutes les mesures nécessaires » afin de « protéger les civils contre les attaques des forces de Kadhafi, en particulier en imposant une no-fly zone ».

Nous savons, aujourd’hui, que cette intervention a largement débordé le cadre du mandat onusien, se transformant en une opération de guerre contre le régime de Tripoli. Ce fait a été reconnu dans des rapports officiels, dont celui de l’International Institute for Strategic Studies de juin 2011, sans parler de rapports plus récents.

Du côté de l’OTAN, un soutien purement technique

La prise de contrôle de Syrte par Daech en 2015 a été perçue comme un tournant décisif et a amené certains acteurs à envisager une nouvelle intervention de l’Alliance atlantique. Une hypothèse écartée, on l’a vu, par son secrétaire général Jens Stoltenberg. En revanche, en février 2016, ce dernier s’est déclaré prêt à soutenir le gouvernement d’accord national en Libye en l’aidant à rebâtir son appareil de défense en vue de combattre la présence croissante du groupe djihadiste Daech, à la condition expresse que les nouvelles autorités en fassent la demande. Cette position a été réaffirmée lors du sommet de Varsovie de l’OTAN des 8-9 juillet 2016.

Pour l’OTAN, il n’est donc plus question d’intervenir directement en Libye, comme elle l’avait fait en 2011. D’ailleurs, et à supposer que certains pays occidentaux le veuillent, une nouvelle opération militaire de l’Alliance requerrait une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU : il ne peut y avoir d’extension automatique à la Libye du mandat conféré à l’Organisation atlantique pour attaquer Daech en Irak et en Syrie, contrairement à ce qu’avait souhaité l’Italie. Sa ministre de la Défense, Roberta Pinotti, lors du sommet de Hanovre du 25 avril 2016, avait demandé que l’opération antiterroriste de l’OTAN « Active Endeavour » en Méditerranée orientale englobe les côtes libyennes.

Dans le contexte international actuel, une telle résolution serait combattue par la Russie, opposée à toute intervention militaire de l’Alliance. Le 13 juin 2016, les autorités russes ont déclaré qu’elles opposeraient leur veto à toute résolution du Conseil de sécurité qui tendrait à autoriser une nouvelle opération militaire de l’OTAN en Libye. Le vice-ministre des Affaires étrangères, Guennadi Gatilov, a été encore plus catégorique en affirmant que la Russie n’autoriserait « jamais » une telle opération. Cette prise de position contribue à expliquer le changement d’attitude de l’OTAN, qui désormais préfère laisser la main aux forces spéciales américaines et britanniques, ainsi qu’à l’Africom.

L’OTAN est donc parvenue à la conclusion qu’une intervention directe en Libye n’était pas souhaitable mais qu’en revanche, et conformément à l’a href= »http://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_132756.htm »>initiative de renforcement des capacités de défense et des capacités de sécurité (DCB), lancée en 2014, elle pourrait apporter son soutien technique au gouvernement de Tripoli reconnu par l’ONU. Lors de sa rencontre du 17 juin 2016 avec le ministre libyen des Affaires étrangères de Tripoli, Mohamed Taha Siala, le secrétaire général de l’Alliance, Jens Stoltenberg, a indiqué à son interlocuteur qu’il trouvait « encourageants » les progrès accomplis par le gouvernement d’accord national (GAN) sous la direction du premier ministre Fayez Al-Sarraj et l’a assuré du soutien de l’OTAN à l’égard du processus de dialogue politique qui se déroule sous l’égide de l’ONU.

L’Africom aux avant-postes

TTout se passe donc comme si en Libye l’OTAN avait délégué à l’Africom les tâches militaires et de soutien logistique au gouvernement et aux forces pro-gouvernementales de Tripoli dans leur guerre contre Daech à Syrte. Créé en 2007 (suite aux attentats du 11 septembre 2001), l’Africom est conçu par les autorités américaines comme une organisation devant servir les intérêts économiques, sécuritaires et géostratégiques des États-Unis en Afrique. Ce commandement vise à renforcer les capacités techniques et militaires des États de la région afin de leur assurer une stabilité et une efficacité garantes des intérêts américains dans la région. La promotion du développement et de la démocratie et la lutte contre le terrorisme constituent les axes principaux de l’Africom en Libye.


Des soldats américains d’Africom à l’entraînement avec des militaires espagnols en 2015.
US Army Africa/Flickr, CC BY

En visite le 24 août 2016 au quartier général de l’icom à Stuttgart, le premier ministre libyen Fayez al-Sarraj a exprimé le souhait du gouvernement d’accord national (GAN) de voir les États-Unis et l’Africom contribuer au « renforcement des capacités militaires libyennes, notamment via la formation de militaires et le partage d’informations. »

De De leur côté, l’émissaire américain en Libye, Jonathan Winer, et le commandant des forces américaines en Afrique, le général Thomas Waldhauser, ont réitéré leur soutien aux efforts du gouvernement d’accord national (GAN) pour chasser les djihadistes de Syrte. De fait, dans le cadre de l’opération « Odyssey Lightning », et à la demande de Fayez al-Sarraj, le commandement militaire américain en Afrique a reconnu avoir effectué, depuis le 1er août 2016, plus de 550 frappes aériennes contre l’État islamique à Syrte, fournissant un appui déterminant aux forces pro-gouvernementales (Al-Bunyan Al-Marsous).

Si victoire il y a sur Daech à Syrte – et il semble aujourd’hui que ce soit le cas –, les forces présidentielles de Fayez al-Sarraj, issues essentiellement de Misrata, le devront à l’appui militaire décisif de l’Africom et au soutien logistique et de renseignement des forces spéciales américaines et britanniques se trouvant sur le sol libyen – le rôle de la France se limitant à leur fournir du renseignement. C’est dire que la victoire contre Daech à Syrte, remportée avec le soutien déterminant des forces américaines, risque de fragiliser le pouvoir à Tripoli qui apparaîtra dépendant et tributaire de l’Africom.

La nécessité d’une large coalition

Par ailleurs, et dans la mesure où l’armée libyenne du maréchal Haftar active à l’Est – de plus en plus soutenue militairement et diplomatiquement par la Russie – continue à être marginalisée par les puissances occidentales, même si de ce point de vue les choses évoluent, la percée de Syrte pourrait bien n’être qu’une victoire à la Pyrrhus. Car elle risque d’aggraver le discrédit américain en Libye sans réellement résoudre le problème que constitue Daech.

De fait, elle pourrait avoir pour effet pervers la dissémination des militants de cette organisation aussi bien dans le reste de la Libye que dans les pays limitrophes, avec pour conséquence une plus grande implication de l’Africom et une fragilisation accrue du pouvoir internationalement reconnu. À moins que l’arrivée du nouveau Président américain Donald Trump aux affaires n’entraîne une remise en cause de ce processus d’implication croissante des forces américaines sur le terrain en Libye.

Dans tous les cas, la lutte contre Daech en Libye doit concerner non seulement le pouvoir internationalement reconnu de Tripoli, les États-Unis et les pays européens, mais aussi impliquer nécessairement la Russie, l’Égypte ainsi que le pouvoir rival installé à Benghazi (Est) – y compris l’Armée nationale libyenne et son chef le Maréchal Khalifa Haftar. D’autant plus que les membres de Daech pourraient bien trouver rapidement de nouveaux soutiens et créer un nouveau foyer de fixation plus à l’est du pays.


Enseignant-chercheur in Libyan politics, University of Lausanne

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