Par Patrick Cockburn (revue de presse : Chronique de Palestine – 12/2/17)*
Lors de leur entretien, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a fait à Theresa May un compte rendu effrayant de la menace pour Israël et le reste du monde que pose une agression iranienne.
Pour M. Netanyahu l’Iran est un ennemi bien plus dangereux que l’OEI [Organisation de l’État Islamique] ou Al-Qaïda. Il cherche « à annihiler Israël, il cherche à conquérir le Moyen-Orient, il menace l’Europe, il menace l’Occident, il menace le monde. »
Même à l’aune de la rhétorique de M. Netanyahu ce discours paraît excessif et est probablement motivé par le désir de détourner l’attention de la construction par Israël de nouvelles implantations en Cisjordanie. Quelques jours seulement après l’investiture de Donald Trump en tant que président, Israël a annoncé la construction de 2500 logements supplémentaires en Cisjordanie. Bien que l’administration Trump ait exprimé un léger mécontentement, Israël échappera probablement à des protestations plus énergiques de la part de Washington.
M. Netanyahu sait que de hauts fonctionnaires de la nouvelle administration ont eux-mêmes dénoncé l’Iran dans des termes aussi apocalyptiques que les siens. Samedi dernier, le secrétaire américain à la Défense James Mattis a qualifié l’Iran de « plus gros sponsor du terrorisme au monde », bien qu’il ait ajouté qu’il n’est pas nécessaire que les États-Unis déploient davantage de forces militaires pour contrer l’Iran. La veille, les États-Unis avaient imposé de nouvelles sanctions quoique limitées en raison d’un essai iranien de missiles balistiques.
La construction de nouvelles implantations coloniales en Cisjordanie provoque habituellement des réactions à l’échelle internationale déplorant que cela érode ou détruise la perspective d’une « solution à deux états » pour établir la paix entre Israël et les Palestiniens. Mais dans les faits, une telle solution est morte et enterrée depuis longtemps en raison de la disparité des forces politiques, diplomatiques et militaires entre les deux camps. Israël n’a aucune raison d’accepter un compromis et la direction de l’Autorité Palestinienne, décrépite et autoritaire, n’a quasiment aucune marge de manœuvre ou d’autre option parce qu’elle dépend depuis longtemps du soutien d’Israël en matière de sécurité.
Israël et les états arabes du Golfe sunnites menés par l’Arabie Saoudite sont soulagés d’avoir un président mieux disposé à la Maison Blanche et sont contents que M. Obama soit parti. Cette administration a adopté un ton anti-iranien beaucoup plus belliqueux, mais de toute évidence elle ne va pas déchirer l’accord sur le programme nucléaire iranien signé par le président Obama. La politique états-unienne en Irak et en Syrie vise principalement à éliminer l’OEI et les groupes de type Al-Qaïda en utilisant la puissance aérienne américaine et alliée pour soutenir les alliés locaux au sol, notamment les forces armées irakiennes en Irak et les Kurdes syriens en Syrie.
L’influence iranienne dans la région croît en raison du simple fait que l’Iran est à la tête d’une coalition d’États et de mouvements essentiellement chiites – l’Irak, la Syrie et le Hezbollah au Liban – qui gagne la guerre en Syrie en alliance avec la Russie. En Irak, les États-Unis et l’Iran entretiennent depuis longtemps une relation étrange, coopération et rivalité à la fois. L’accord entre Washington et Téhéran est requis en pratique avant qu’il ne puisse y avoir un nouveau premier ministre irakien.
M. Netanyahu et Mme May sont tous deux quelque peu isolés à l’échelle internationale et veulent mettre à profit une situation plus fluide à Washington avec M. Trump, mais ils ne savent pas exactement quelle tournure vont prendre les choses. Il est peu probable que les décisions les plus importantes de la politique états-unienne en Irak et en Syrie soient détricotées parce qu’elles fonctionnent bien et que l’OEI subit une forte pression.
La construction de nouvelles implantations israéliennes autour de Jérusalem et en Cisjordanie mine l’idée qu’une « solution à deux états » soit de l’ordre du possible, mais ce n’est depuis longtemps rien de plus qu’un écran de fumée bien pratique. Une administration plus favorable à Washington accroîtra la pression de l’extrême droite à l’intérieur d’Israël pour qu’il s’engage sur la voie d’une annexion totale ou partielle de la Cisjordanie, mais un véritable changement est improbable.
Patrick Cockburn est un journaliste de The Independent spécialisé dans l’analyse de l’Irak, la Syrie et les guerres au Moyen-Orient. Il est l’auteur de Muqtada Al-Sadr, the Shia Revival, and the Struggle for Iraq et de Age of Jihad: Islamic State and the Great War for the Middle East.