Première de deux parties
Partie II. L' »Opération Libye » et la bataille du pétrole
Les États-Unis et l’OTAN appuient une insurrection armée dans l’est de la Libye dans le but de justifier une « intervention humanitaire ».
Il ne s’agit pas d’un mouvement de protestation non violent comme ceux de l’Égypte et de la Tunisie. Les conditions en Libye sont fondamentalement différentes. L’insurrection armée dans l’est de la Libye est directement soutenue par des puissances étrangères. Les insurgés à Benghazi ont immédiatement hissé la bannière rouge, noire et verte avec le croissant et l’étoile: le drapeau de la monarchie du roi Idris, symbolisant le règne des anciennes puissances coloniales. (Voir Manlio Dinucci, La Libye dans le grand jeu du nouveau partage de l’Afrique, le 25 février 2011)
Les conseillers militaires et les Forces spéciales des États-Unis et de l’OTAN sont déjà sur le terrain. L’opération a été planifiée pour coïncider avec les manifestations dans les pays arabes voisins. On a fait croire à l’opinion publique que le mouvement de protestation s’est étendu spontanément de la Tunisie à l’Égypte et ensuite à la Libye.
L’administration Obama en consultation avec ses alliés assiste une rébellion armée, à savoir, une tentative de coup d’État:
« L’administration Obama reste prête à offrir « tout type d’assistance » au Libyens cherchant à déloger Mouammar Kadhafi, a affirmé la secrétaire d’État Hillary Clinton [le 27 février]. « Nous avons contacté de nombreux Libyens de différents horizons qui tentent de s’organiser à l’est et à l’ouest, à mesure que la révolution avance également dans cette direction. Je crois qu’il est trop tôt pour dire comment cela va se dérouler, mais les États-Unis seront prêts et préparés à offrir tout type d’assistance souhaitée. » Dans la partie est du pays, là où la rébellion a débuté au milieu du mois, les efforts visant à former un gouvernement provisoire sont en branle. »
Clinton a affirmé que les États-Unis menacent de prendre d’autres mesures contre le gouvernement de Kadhafi, mais n’a pas mentionné leur nature ou quand elles seraient annoncées.
Les États-Unis devraient « reconnaître le gouvernement provisoire que l’on est en train de mettre sur pied […] » [McCain]
Lieberman s’est exprimé en des termes similaires, préconisant « un appui tangible, [une] zone d’exclusion aérienne, la reconnaissance d’un gouvernement révolutionnaire, le gouvernement des citoyens, ainsi qu’un appui sous forme d’aide humanitaire et d’armes » (Clinton: US ready to aid to Libyan opposition – Associated, Press, 27 février 2011, c’est l’auteur qui souligne)
L’invasion planifiée
Une intervention militaire est maintenant envisagée par les forces des États-Unis et de l’OTAN en vertu d’un « mandat humanitaire ».
« » Les Etats-Unis sont en train de repositionner leurs forces navales et aériennes dans la région » pour préparer » leur gamme complète d’options » à l’égard de la Libye : c’est ce qu’annonce hier (mardi 1er mars) le porte-parole du Pentagone, colonel de marines Dave Lapan. Il a ainsi dit que « c’est le président Obama qui a demandé aux militaires de préparer ces options », car la situation en Libye empire.». ( Manlio Dinucci, Opération Libye en préparation, Le Pentagone « repositionne » les forces navales et terrestres, Mondialisation.ca, le 2 mars 2011, c’est l’auteur qui souligne)
Le véritable objectif de l’« Opération Libye » n’est pas d’instaurer la démocratie mais de prendre possession des réserves de pétrole du pays, de déstabiliser la Compagnie pétrolière nationale de Libye (CPN ou NOC en anglais) et de privatiser tôt ou tard l’industrie pétrolière du pays, c’est-à-dire transférer le contrôle et la propriété de la richesse pétrolière libyenne dans des mains étrangères. La CPN est au 25e rang des 100 compagnies pétrolières les plus importantes. (The Energy Intelligence ranks NOC 25 among the world’s Top 100 companies. – Libyaonline.com)
La Libye est l’une des plus importantes économies pétrolières au monde, avec approximativement 3,5 % des réserves mondiales de pétrole, plus du double de celles des États-Unis. (Pour plus de détails voir la 2e partie de cet article « Opération Libye » et la bataille du pétrole.)
L’invasion planifiée de la Libye, laquelle est déjà en cours, fait partie de la plus vaste « bataille du pétrole ». Près de 80 % des réserves pétrolières de la Libye se situent dans le bassin du golfe de Syrte dans l’est du pays. (Voir la carte ci-dessous)
Les hypothèses stratégiques derrière l’« Opération Libye » évoquent les engagements militaires des États-Unis et de l’OTAN en Yougoslavie et en Irak.
En Yougoslavie, les forces des États-Unis et de l’OTAN ont déclenché une guerre civile. Le but était de créer des divisions ethniques et politiques, lesquelles ont finalement mené à l’éclatement d’un pays entier. Cet objectif a été atteint par la formation et le financement clandestin d’organisations paramilitaires armées, d’abord en Bosnie (Armée bosniaque, 1991-95) puis au Kosovo (Armée de Libération du Kosovo (ALK), 1998-1999). La désinformation médiatique (incluant des mensonges purs et simples et des fabrications) a été utilisée à la fois au Kosovo et en Bosnie pour appuyer les affirmations des États-Unis et de l’Union européenne voulant que le gouvernement de Belgrade ait commis des atrocités, justifiant ainsi une intervention militaire pour des raisons humanitaires.
Ironiquement, l’« Opération Yougoslavie » est maintenant sur les lèvres des responsables de la politique étrangère des États-Unis : le sénateur Lieberman a « comparé la situation en Libye aux événements dans les Balkans dans les années 1990 lorsqu’il a dit : les États-Unis « sont intervenus pour arrêter un génocide à l’endroit des bosniaques. Et ce que nous avons fait en premier lieu a été de leur fournir des armes pour qu’ils se défendent. Je crois que c’est ce que nous devrions faire en Libye ». » (Clinton: US ready to aid to Libyan opposition – Associated, Press, 27 février 2011, c’est l’auteur qui souligne)
Le scénario stratégique consisterait à faire des pressions en faveur de la formation et de la reconnaissance d’un gouvernement intérimaire dans la province sécessionniste dans le but de faire éclater le pays tôt ou tard.
Cette option est déjà en cours. L’invasion de la Libye a déjà débuté.
« Des centaines de conseillers militaires étasuniens, britanniques et français sont arrivés en Cyrénaïque, la province séparatiste de l’est de la Libye […] Les conseillers, incluant des agents du renseignement, sont débarqués des navires de guerre et des bateaux lance-missiles dans les villes côtières de Benghazi et Tobrouk. » (DEBKAfile, US military advisers in Cyrenaica, 25 février 2011)
Les États-Unis et les Forces spéciales alliées sont sur le terrain dans l’est de la Libye et fournissent un appui clandestin aux rebelles. Cela a été admis lorsque des commandos des Forces spéciales SAS britanniques ont été arrêtés dans la région de Benghazi. Ils agissaient à titre de conseillers militaires pour les forces de l’opposition :
« Le Sunday Times révèle aujourd’hui qu’alors qu’ils étaient en mission secrète pour mettre des diplomates britanniques en contact avec des opposants majeurs du colonel Mouammar Kadhafi en Libye, huit commandos des Forces spéciales britanniques ont été humiliés après avoir été détenus par des forces rebelles dans l’est de la Libye.
Les hommes, armés, mais en tenue civile, ont affirmé qu’ils étaient là pour vérifier les besoins de l’opposition et offrir de l’aide. » (Top UK commandos captured by rebel forces in Libya: Report, Indian Express, 6 mars 2011, c’est l’auteur qui souligne)
Les forces SAS ont été arrêtées alors qu’elles escortaient une « mission diplomatique » britannique entrée au pays illégalement (sans aucun doute à bord d’un navire de guerre britannique) pour discuter avec les chefs de la rébellion. Le Foreign Office britannique a admis qu’« une petite équipe diplomatique britannique [avait été] envoyée dans l’est de la Libye pour prendre contact avec l’opposition soutenue par des rebelles ». (U.K. diplomatic team leaves Libya – World – CBC News, 6 mars 2011).
Ironiquement, les reportages confirment non seulement une intervention militaire occidentale (comprenant des centaines de forces spéciales), ils reconnaissent également que la rébellion était fermement opposée à la présence illégale de troupes étrangères en sol libyen :
« L’intervention des SAS a irrité les opposants libyens qui ont ordonné que les soldats soient enfermés sur une base militaire. Les opposants de Kadhafi craignent qu’il utilise toute preuve d’interférence militaire occidentale pour former un appui patriotique en faveur de son régime. » (Reuters, 6 mars 2011)
Le « diplomate » britannique capturé avec sept soldats des Forces spéciales était un membre du service de renseignement britannique, un agent du MI6, en « mission secrète ». (The Sun, 7 mars 2011)
Des armes sont fournies aux forces de l’opposition et cela est confirmé par des déclarations des États-Unis et de l’OTAN. Malgré l’absence de preuves établies à ce jour, des signes indiquent que des armes ont été livrées aux insurgés avant l’attaque contre la rébellion. Selon toute probabilité, des conseillers militaires et du renseignement des États-Unis et de l’OTAN étaient également sur le terrain avant l’insurrection. C’est le modèle appliqué autrefois au Kosovo : des forces spéciales ont entraîné et soutenu l’Armée de libération du Kosovo (ALK) dans les mois précédant la campagne de bombardement et l’invasion de la Yougoslavie en 1999.
Toutefois, alors que les événements se déroulent, les forces du gouvernement libyen ont repris le contrôle des lieux détenus par les rebelles :
« L’importante offensive lancée par les forces pro-Kadhafi [le 4 mars] pour arracher des mains des rebelles le contrôle des villes et des centres pétroliers les plus importants de la Libye leur a permis de reprendre la ville clé de Zawiya [le 5 mars] et la plupart des villes pétrolières autour du golfe de Syrte. À Londres et Washington, des pourparlers d’intervention militaire aux côtés de l’opposition libyenne ont été mis en sourdine lorsque l’on a réalisé que le renseignement sur le terrain, des deux côtés du conflit, était trop sommaire pour servir de base à la prise de décision.» (Debkafile,Qaddafi pushes rebels back. Obama names Libya intel panel, 5 mars 2011, c’est l’auteur qui souligne)
Le mouvement d’opposition est fortement divisé sur la question d’une intervention étrangère.
Il y a division entre le mouvement populaire et les « chefs » de l’insurrection armée appuyée par les États-Unis et favorisant une intervention militaire étrangère « pour des raisons humanitaires ».
La majorité des Libyens, à la fois les opposants et les partisans du régime, sont fermement opposés à toute forme d’intervention extérieure.
Désinformation médiatique
Les objectifs stratégiques plus vastes sous-jacents à l’invasion proposée de la Lybie ne sont pas mentionnés par les médias. À la suite d’une campagne médiatique trompeuse, où les nouvelles ont littéralement été fabriquées sans que l’on rapporte ce qui se passait sur le terrain, un large secteur de l’opinion publique internationale a accordé son appui inflexible à une intervention pour des raisons humanitaires.
L’invasion est sur la planche à dessin du Pentagone. On prévoit la mettre en oeuvre sans tenir compte des demandes de la population libyenne, y compris les opposants du régime qui ont exprimé leur aversion pour une intervention militaire étrangère dérogeant à la souveraineté de la nation.
Déploiement de forces navales et aériennes
Si l’intervention militaire était mise à exécution, elle entraînerait une guerre totale, une blitzkrieg, impliquant le bombardement de cibles militaires et civiles.
À cet égard, le commandant du Commandement central étasunien (USCENTCOM), le général James Mattis, a suggéré que l’implantation d’une « zone d’exclusion aérienne » impliquerait de facto une campagne de bombardement extrême ciblant entre autres le système de défense antiaérienne libyen.
« Il s’agirait d’une opération militaire. Il ne suffirait pas de dire aux gens de ne pas piloter d’avion. Il faudrait éliminer la capacité de défense antiaérienne afin d’établir une zone d’exclusion aérienne, donc il ne faut se faire d’illusions. » (U.S. general warns no-fly zone could lead to all-out war in Libya, Mail Online, 5 mars 2011, c’est l’auteur qui souligne).
Une puissance navale massive des États-Unis et des alliés a été déployée le long de la ligne de côte libyenne.
Le Pentagone envoie ses navires de guerre vers la Méditerranée. Le porte-avions USS Enterprise avait pour sa part transité par le canal de Suez dans les jours qui ont suivi l’insurrection. (http://www.enterprise.navy.mil )
Les navires d’assaut amphibies des États-Unis, l’USS Ponce et l’USS Kearsarge, ont également été déployés en Méditerranée.
Quatre cents Marines étasuniens ont été envoyés sur l’île de Crète en Grèce « avant d’être déployés sur des navires de guerre partant pour la Libye. ( « Operation Libya »: US Marines on Crete for Libyan deployment, Times of Malta, 3 mars 2011).
Pendant ce temps, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, le Canada et l’Italie sont en train de déployer des navires de guerre le long de la côte libyenne.
L’Allemagne a déployé trois navires de combat en prétextant aider à l’évacuation de réfugiés à la frontière entre la Libye et la Tunisie. « La France a décidé d’envoyer le Mistral, son porte-hélicoptères, lequel, selon le ministère de la Défense, contribuera à évacuer des milliers d’Égyptiens. »(Towards the Coasts of Libya: US, French and British Warships Enter the Mediterranean, Agenzia Giornalistica Italia, 3 mars 2011) Le Canada a envoyé la frégate de la Marine NCSM Charlottetown.
Entre-temps, la 17e Force aérienne étasunienne dénommée US Air Force Africa, située sur la base aérienne de Ramstein en Allemagne, aide à l’évacuation de réfugiés. Les forces aériennes des États-Unis et de l’OTAN en Grande-Bretagne, en Italie, en France et au Moyen-Orient sont en attente.