Le lobby israélien en France semble avoir un droit de veto sur qui peut se présenter ou non comme candidat aux élections parlementaires pour le compte du parti du nouveau président Emmanuel Macron. Les médias français ont rapporté vendredi que l’organisation « En Marche! » de Macron avait retiré un de ses candidats aux élections de l’Assemblée nationale en juin. Ceci s’est produit après que les groupes de pression de la LICRA et du CRIF aient exigé que le candidat Christian Gerin – un producteur de télévision – soit retiré de la liste des candidats pour avoir envoyé ce qu’ils ont prétendu être des tweets antisémites et pour avoir exprimé son soutien au mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS).
« La séparation du CRIF et de l’État »
L’un des tweets de Gerin faisait savoir son soutien à la campagne BDS. Un autre à la fin du mois de février appelait à la « séparation du CRIF et de l’État ». Le CRIF est une organisation communautaire juive ainsi qu’un lobby pro-israélien. Le tweet de Gerin faisait référence au gala annuel de CRIF.
«C’est antisémite car derrière le terme « Crif », c’est « juifs » qui est sous-entendu», a déclaré le président du CRIF, Francis Kalifat, au journal Le Parisien.
Mais on ne peut nier que le CRIF fonctionne en France comme l’AIPAC aux États-Unis – comme étant le principal lobby français de soutien à Israël et à ses objectifs. Comme l’a souligné le journal Le Figaro en février, le dîner annuel du CRIF a pris une importance croissante dans la politique française au cours des dernières années; et cette année, s’y sont retrouvés plusieurs candidats à l’élection présidentielle, y compris celui qui a emporté le gros lot. La critique du rôle extraordinaire que le dîner du CRIF a pris dans la politique française a été exprimée par des figures connues.
« Le CRIF ne représente plus personne et ne fonctionne pas de manière démocratique », a déclaré à Figaro Phillippe Karsenty, adjoint au maire de Neuilly-sur-Seine et une personnalité bien connue dans la communauté juive.
« Le CRIF a cessé d’être le représentant des juifs face aux politiques et est devenu le représentant des politiques face aux Juifs » (Karsenty est célèbre pour avoir inventé que la télévision française avait fabriqué les images du meurtre du petit garçon palestinien Muhammad al-Durra en 2000 dans Gaza).
L’écrivain Alain Finkielkraut a comparé le CRIF à un tribunal où « des membres du gouvernement français comparaissent devant un procureur communautaire ».
En 2012, François Bayrou, un ancien candidat à la présidence qui, cette année, a soutenu Macron, a refusé une invitation à se rendre au dîner CRIF. « J’ai réfléchi beaucoup pendant de nombreuses années et je suis arrivé à la conclusion que je ne devrais plus participer à ces rassemblements communautaires », a expliqué M. Bayrou. « Je pense que la France est une, que ses citoyens sont avant tout des citoyens avant qu’ils ne soient juifs, catholiques, musulmans, bouddhistes, agnostiques ou athées ». Bayrou exprimait une position classique de la laïcité républicaine.
L’AIPAC français
Le plus important, c’est que l’un des premiers rôles du CRIF est de s’attaquer au mouvement pour les droits des Palestiniens. Le président sortant François Hollande et son ancien premier ministre, Manuel Valls, ont utilisé leurs apparitions au CRIF pour exprimer leur ferme soutien à Israël et attaquer la campagne BDS. A la tribune du CRIF l’année dernière, Valls avait promis de nouvelles mesures de répression contre les militants pro-Palestine.
(Dans un tweet de 2013 dénoncé par la LICRA, Gerin a qualifié Valls de « viscéralement sioniste, raciste et islamophobe ».)
Quand le CRIF fait des avances au FN
En 2015, Hollande a profité de son discours au CRIF pour qualifier d’antisémites les critiques d’Israël et de son idéologie d’État, le sionisme. Dans son dernier discours au CRIF en tant que président en février, Hollande se vantait que « la France a combattu le mouvement BDS sans faiblesse ». Il a également prétendu – sur la base de son interprétation d’une décision du tribunal qui est en d’appel devant la Cour européenne des droits de l’homme – que la France est le seul pays à avoir interdit les appels à boycotter des biens israéliens.
Bien que Marine Le Pen n’ait jamais été invitée à un dîner du CRIF, le président du CRIF, Roger Cukierman, en a surpris plus d’un en 2015 lorsqu’il a déclaré que le leader du Front national était « personnellement au-delà des critiques ». Le Pen lui a renvoyé le compliment avec des louanges pour Israël et des attaques contre le mouvement BDS.
Protéger sa capacité de nuisance
Compte tenu du rôle très controversé que le CRIF joue dans la politique française, il devrait être possible de critiquer son rôle politique sans être accusé d’antisémitisme. Et il est également facile de comprendre pourquoi le CRIF veut que ses critiques soient traitées d’antisémites quand il a un intérêt manifeste à protéger son influence politique croissante.
Dans un autre tweet mis en avant par la LICRA, Gerin avait partagé une déclaration de l’Association France Palestine Solidarité. La déclaration avertissait que l’attaque par camion de juillet 2016 qui a tué des dizaines de personnes à Nice ne devrait pas être exploitée politiquement par Israël et ses partisans. La déclaration est venue en réponse à des appels de certains politiciens qui comparaient les Palestiniens à l’État islamique et exhortaient la France à emboîter le pas à Israël comme modèle de lutte contre le terrorisme. Les dirigeants israéliens ont toujours cherché d’exploiter ce type de violence pour exhorter les juifs français à quitter la France. Des dirigeants français avaient dénoncé ces appels. Même le chef de la LICRA a demandé au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou d’arrêter de demander aux Juifs de quitter l’Europe après ces attaques.
Mais la LICRA a néanmoins exigé que Macron retire la candidature de Gerin et a déclaré qu’elle pourrait envoyer ses tweets aux procureurs. La LICRA n’a pas relevé que Gerin a également exprimé des félicitations envers Israël. En 2013, il a écrit que le documentaire The Gatekeepers, dans lequel les anciens chefs de renseignement israéliens critiquent la politique de leur pays, « est une leçon de démocratie qui est à mettre au crédit d’Israël ».
D’autres candidats sont visés
Selon Le Parisien, le CRIF et la LICRA devraient maintenant s’en prendre à un autre candidat parlementaire de Macron, qu’ils accusent d’appuyer la campagne BDS. Dans un tweet maintenant supprimé, William Tchamaha a inclus un lien vers une information traitant de la critique par l’ONU d’une nouvelle loi israélienne visant à faciliter le vol de terres palestiniennes. Tchamaha, un conseiller pédagogique de lycée, aurait également qualifié Israël d’ « État hors-la-loi qui violait le droit international » et exhortait le boycott des produits israéliens.
Le CRIF qui a promis d’être « vigilant » devrait enquêter sur les opinions d’autres candidats au sein du parti de Macron. Le message clair que le lobby israélien de France envoie à tous les novices en politique qui soutiennent le nouveau président est que toute critique d’Israël leur coûtera cher.
Quant à Macron, il a déjà condamné avec force la campagne BDS et a promis de poursuivre la politique de répression de Hollande contre le militantisme pro-palestinien. Le nouveau président a peut-être promis aux électeurs français une rupture avec l’ancienne façon de faire de la politique, mais quand il s’agit des exigences d’Israël et de son lobby, rien ne change.
Ali Abunimah | 12 mai 2017 – The Electronic Intifada
Ali Abunimah est un journaliste palestino-américain, auteur de The Battle for Justice in Palestine.
[La traduction laisse à désirer.]
Source : Chronique de Palestine