Paris le 10 Août 2002
Chebih, mon frère, mon ami.
Chebih, mon frère, mon ami.
Je dois à l’heureuse initiative de notre frère Beddy et de ses camarades, le plaisir de t’écrire en espérant que cette lettre finira par te parvenir là où tu te trouves et où jamais tu n’aurais dû te trouver.
Triste sort que celui qui est souvent réservé aux patriotes dans nos pays. Quand ce n’est pas tout simplement la mort, c’est la douleur de l’exil ou la relégation dans un de ces mouroirs désertiques ou plutôt jardins secrets et royaumes de délices de nos despotes. Mais selon des règles immuables de la vie et de l’histoire, il semblerait que cela soit indispensable pour insuffler la vie à nos semblables et remuer des sociétés qu’on dit passives et indolentes alors qu’elles sont tout simplement écrasées par l’arbitraire et l’injustice.
Depuis notre dernière rencontre, quelques jours ou quelques semaines avant ton retour en Mauritanie et tout ce qui s’en est suivi, il s’est passé, dans notre monde, bien des choses tout aussi désagréables les unes que les autres et plus désarmantes les unes que les autres pour les hommes de bonne volonté. Mais curieusement et sitôt passés les premiers moments de surprise et comme par un effet de retour de balancier, c’est de nouveau la prise de conscience et même parfois, çà et là, comme en Palestine, l’amorce d’une résistance. L’espoir renaît malgré la puissance phénoménale des forces du mal.
Mais parlons plutôt de toi. Franchement je n’ai jamais compris ta hâte à retourner en Mauritanie alors que tu savais pertinemment que la conjoncture n’était guère favorable et que le despote du coin n’attendait que cela.
J’ai suivi ton procès et tu as dû sûrement savoir que le bâtonnier de l’ordre des avocats tunisiens, notre ami maître Béchir Essid devrait y assister en tant qu’observateur de l’Institut Tunisien des Relations Internationales à Paris. Seul l’en avait empêché l’absence d’un vol retour qui lui aurait permis de respecter ses engagements professionnels à Tunis. Et d’ailleurs, il n’aurait même pas eu l’occasion d’assister au procès puisque, m’a-t-on dit, il avait été ajourné.
J’ai rencontré ton épouse à Paris, il y a quelques mois et j’ai pu ainsi avoir de tes nouvelles. J’avais espéré la revoir avant son départ, ne serait-ce que pour lui confier une lettre et un livre, à te remettre. Malheureusement des problèmes de santé m’ont empêché de faire le déplacement et c’est ainsi que j’ai raté cette occasion.
Le livre en question « Désert » de Le Clézio, est un roman que j’ai découvert il y a quelques mois, lu et relu. Il m’a permis de demeurer en contact permanent avec toi, durant ces derniers mois, à travers l’épopée de ce Saint homme et résistant hors pair que fût ton aïeul Cheikh Malaïnine.
Je t’en envoie un exemplaire, convaincu que même si tu le connaissais déjà, sa lecture ne manquera pas de t’apporter un peu plus de cette nourriture céleste dont tu es bien pourvue, mais qui, malheureusement, fait souvent défaut aux politiciens.
Cette année, nous procédons à la réélection du conseil d’administration de l’Institut Tunisien des Relations Internationales (ITRI) et il a été convenu de l’élargir à des membres honoraires. J’ai fait passer le message par Beddy pour te demander si tu accepterais d’être notre président d’honneur. Il semblerait que nous ayons ton accord. Ainsi, tu seras notre président d’honneur et tu partageras ce poste avec un autre homme politique tunisien, le professeur Moncef Ben Salem, en résidence surveillée depuis 12 ans.
L’ITRI sera à même de participer pleinement à la campagne internationale pour demander ta libération que nos frères Mauritaniens préparent pour la rentrée.
En espérant te revoir bientôt libre et actif.
Indéfectible amitié
Ahmed MANAÏ
Mohamed Lemine Chbih Ould Cheikh Malainine, ancien ministre des Finances, président du Front Populaire Mauritanien.