Avec la mort du colonel Mouammar Kadhafi au terme de huit mois de guerre, l’embryon d’État libyen s’écroule et la société libyenne est profondément divisée. Les lignes de fracture sont diverses et multiples : régionales, locales, tribales, anciens kadhafistes ou considérés comme tels contre anciens opposants ou révolutionnaires de la dernière heure. Les ingérences étrangères au profit de telle ou telle faction compliquent encore la situation. Les Nations unies mettent en place une mission en charge d’aider à la reconstruction d’un État dans un pays où la légitimité réelle appartient aux groupes armés apparus pendant ou après la guerre de 2011.
Quel gouvernement d’accord national ?
En 2014, Khalifa Haftar, un ancien général de Mouammar Kadhafi vivant depuis trente ans aux États-Unis, revient en Libye avec des ambitions politiques. Il lance à partir de l’est du pays une grande offensive visant à éliminer ses opposants issus de l’islam politique et disposant d’une forte légitimité « révolutionnaire » et militaire. Ses relais à l’ouest — notamment dans la capitale Tripoli — sont vaincus. Le pays est depuis lors divisé entre une région est ralliée majoritairement à Khalifa Haftar et une région ouest très fragmentée mais qui lui est majoritairement opposée. Les deux régions disposent chacune de leur Parlement et de leur gouvernement propre.
C’est dans ce contexte de divisions et de militarisation de la société que les Nations unies, sous la pression des grandes puissances occidentales, engagent des négociations marathons en vue de constituer un gouvernement d’accord national. Celui-ci s’installe à Tripoli en mars 2016 et, en dépit de la légitimité conférée par sa reconnaissance internationale, peine à s’imposer ne serait-ce que dans la capitale. Il paie le prix d’une solution imposée trop vite de l’extérieur et non inclusive de toutes les parties au conflit. Depuis, les divisions se sont amplifiées entre les deux régions et à l’intérieur de chacune d’elles, de nouvelles lignes de clivage se sont creusées entre partisans et opposants au gouvernement d’accord national internationalement reconnu.
Ingérences étrangères
Les ingérences étrangères directes ou indirectes, bien que d’une ampleur inférieure à celles à l’œuvre en Syrie et au Yémen, sont la raison essentielle des blocages actuels. Khalifa Haftar peut se prévaloir du soutien de l’Égypte, des Émirats arabes unis et dans une moindre mesure de l’Arabie saoudite. Les deux premiers interviennent directement dans le conflit par des bombardements ou des livraisons d’armes à son profit. La guerre à l’islam politique déclarée par le maréchal Haftar rejoint en effet les objectifs des trois pays d’éliminer ce courant politique de la scène régionale. La France, sous couvert de lutte contre le « terrorisme », a également longtemps soutenu le maréchal. Ces soutiens de poids, en le confortant dans sa volonté de poursuivre la guerre pour atteindre ses objectifs politiques, n’aident pas à la recherche des compromis indispensables à un règlement politique de la crise.
Certaines des factions de l’ouest du pays ont quant à elles longtemps été soutenues par le Qatar et la Turquie, bien qu’à une échelle nettement moins importante.
Les acteurs locaux face à la crise
Nul ne peut aujourd’hui prévoir l’issue de cette crise ni même une échéance pour une stabilisation du pays. Dans un contexte où le pragmatisme des acteurs locaux prévaut sur l’idéologie, les retournements d’alliance et d’allégeance sont monnaie courante. Le niveau de violence est néanmoins relativement contrôlé du fait d’un tissu social qui a survécu tant aux années Kadhafi qu’à la chute du régime et aux six ans qui ont suivi. Au nombre des facteurs d’espoir, on note également la préservation des institutions souveraines qui ont permis de maintenir des services publics minimaux, bien que de plus en plus réduits, aux populations. Les responsables locaux pallient au mieux l’absence de structures étatiques en s’appuyant sur les organisations traditionnelles comme les conseils d’anciens… ou en en inventant de nouvelles conformes à la culture politique libyenne. Nombre de ces acteurs ont enfin appris en peu de temps l’art de la négociation et du compromis, ce qui a permis à certaines régions de retrouver un niveau de stabilité et de sécurité satisfaisants.
Il n’est donc pas totalement hasardeux d’avancer que les Libyens sont en train d’inventer par eux-mêmes un système politique qui leur sera propre. Encore faut-il que les ingérences étrangères ne viennent pas compliquer les difficiles recompositions internes qui passeront encore inévitablement par des pics de violence.