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14 novembre 2024

Egypte : Les Frères musulmans ont toujours le couteau à la gorge


Publié par Gilles Munier sur 18 Août 2017, 1

Catégories : #Egypte, #Proche-Orient, #Jordanie

14 août 2013: Des victimes du massacre des partisans de Mohamed Morsi devant la mosquée Rabaa el-Adawiya

14 août 2013: Des victimes du massacre des partisans de Mohamed Morsi devant la mosquée Rabaa el-Adawiya

Victimes en 2013 de « l’un des plus graves massacres de manifestants de l’histoire contemporaine », les « ikhwan » sont encore l’objet d’une répression sanglante.

Par Jenna Le Bras (revue de presse : L’Orient-Le Jour – 18/8/17)*

Olfa** est un peu en retard. Elle est venue de Basarta, dans la région de Damiette, à quatre heures de route du Caire. Elle a 22 ans, des yeux vert d’eau encadrés d’épais sourcils bruns et une âpreté mal contrôlée : des regards qui fusillent, de longs silences et des rivières de larmes. La jeune femme est sortie de prison il y a quelques mois. Enfermée – pendant « un an et deux mois », précise-t-elle –, elle est poursuivie pour soutien à une organisation terroriste, tentative de meurtre de policiers et participation à des manifestations. Elle risque cinq ans de prison. À ses côtés, l’une de ses meilleures amies se balance nonchalamment sur sa chaise sans décrocher un mot. Oumayma, 21 ans, risque une peine similaire pour les mêmes chefs d’accusation, à la différence près qu’elle a été emprisonnée pendant deux ans « tout pile ». « Sa mère est une figure importante de l’organisation des Frères musulmans, ils le lui font payer », précise Olfa devant le mutisme de son amie.

Elles sont prévenues dans ce qu’on appelle « l’affaire des filles de Basarta » : treize adolescentes arrêtées en mai 2015 lors d’une manifestation, demandant la libération de plusieurs détenus de leur village. Un rassemblement qui s’était soldé par la mort de trois manifestants et de trois policiers. « On ne faisait que manifester pour demander justice », insiste Olfa. Car Basarta, l’un des derniers bastions Frères musulmans identifié du pays, est l’une des seules localités où la population ose encore descendre dans la rue pour protester. Un village martyr de la cause des « ikhwan », qui a perdu un nombre étourdissant d’habitants dans des arrestations ou des tueries.

« Ali, Amr, Hossam, Ahmad, Mohammad… » Ibrahim, originaire du même coin et impliqué activement dans la défense des victimes de ces exactions, détaille machinalement les dernières pertes : nom, prénom, âge, date de décès et circonstances.

Olfa et Oumayma ont vu aussi partir les hommes de leur famille successivement. La première a vu son père, puis son frère être arrêtés, il y a trois ans ; puis son beau-frère. « Mohammad a été arrêté une première fois en 2014, puis relâché, mais il est de nouveau apparu sur une liste de personnes recherchées après quelques années. Au mois d’avril, la police a fait un raid en pleine nuit chez nous et l’a exécuté sous nos yeux. Une balle à l’arrière de la tête », dit-elle en pointant son index sur le haut de son abaya noire, « et puis ils ont mis le feu à la maison ».

La jeune fille écrase de grosses larmes silencieuses et quitte la table pour aller regarder l’horizon. Désormais, les autorités égyptiennes tentent de retirer la garde de ses neveux à sa sœur. « Elles disent qu’ils vont être élevés comme des terroristes. N’est-ce pas l’ultime humiliation qu’on puisse nous infliger ? » 

Chasse à l’homme
Le Caire s’étend à perte de vue du haut du treizième de cet immeuble dans lequel elle avait donné rendez-vous. C’est d’ailleurs à proximité d’ici qu’il y a 4 ans, quelque part vers l’Est, un drame d’une toute autre envergure s’est joué : le massacre de Rabaa el-Adawiya. À l’aube du 14 août 2013, alors que les partisans de Mohammad Morsi, à très large majorité Frères musulmans, organisaient des sit-in pour demander le retour du président islamiste renversé un mois plus tôt par le Conseil suprême des forces armées, les forces de sécurité égyptiennes ont perpétré en une seule journée « l’un des plus importants massacres de manifestants de l’histoire récente », rappelle Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch. Une tuerie comparable à celle de Tiananmen en 1989, disent les observateurs. « Il ne s’agit pas seulement d’un recours excessif à la force ou d’un entraînement insuffisant des forces de sécurité. Il s’agit d’une répression violente et planifiée au plus haut niveau du gouvernement égyptien », rappelle-t-il. En quelques heures, plus de 817 personnes sont mortes sous les balles, plusieurs centaines ont disparu. C’est alors le début d’une chasse à l’homme qui dure cinq jours – plus mortelle que la révolution de 2011 – et qui n’a pas cessé depuis.

Si aujourd’hui la répression contre les Frères musulmans n’est plus aussi spectaculaire, elle est mieux ciblée et cachée. Ce sont au total 900 000 membres et deux millions de sympathisants qui subissent une campagne de coercition sans précédent en Égypte.
« En 2013, ça a commencé avec des arrestations de masse qui se soldaient par des procès mis en scène avec des accusations très lourdes. Dès 2015, le régime a pratiqué un nouveau type de violences, les disparitions forcées, et depuis peu émerge un autre phénomène : les exécutions sommaires », dénonce Mohammad Ahmad, observateur pour Amnesty International. À l’ECRF, une ONG égyptienne spécialisée dans le suivi de ces violations, l’une des analystes qui souhaite rester anonyme explique que les exécutions extrajudiciaires existent depuis 2013, mais connaissent une hausse importante : « Entre mai et juillet, on en compte plus de 90, 61 rien que le mois passé », lâche-t-elle en faisant défiler une liste interminable de noms sur son écran d’ordinateur. « Cela fait plusieurs semaines qu’on est totalement débordés, on a un pic », s’inquiète-t-elle. Amnesty International avoue d’ailleurs elle-même avoir « perdu le fil des statistiques sur l’importance de la répression anti-Frères depuis fin 2015 » tant les cas sont nombreux.

« La dispersion de Rabaa a marqué un tournant déterminant pour les droits de l’homme en Égypte. Au cours des dernières années, les forces de sécurité ont intensifié leurs violations et varié leurs méthodes en menant des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires à une échelle jamais vue auparavant », s’inquiète l’organisation qui estime que plus de 1 700 personnes ont été arrêtées sur Rabaa et emprisonnées pour diverses accusations, allant de la simple participation à la manifestation au meurtre de policier. Elle a également recensé depuis 2015 au moins autant, enlevées par la Sûreté de l’État. Les organisations de défense des droits de l’homme s’accordent d’ailleurs à dire que le nombre de détenus politiques dépasse les 60 000 en Égypte, dont une très large majorité de Frères musulmans.

**Pour des raisons de sécurité, les noms de toutes les personnes rencontrées ont été changés.

*Source : L’Orient-Le Jour

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