Par Asa Winstanley (revue de presse : Chronique de Palestine – 18/8/17)*
Les militants pour les droits de l’homme contestent les listes noires israéliennes des partisans du mouvement boycott, désinvestissement et sanctions, ou BDS.
L’avocat Eitay Mack et plusieurs autres militants israéliens ont déposé une demande d’accès à l’information auprès du tribunal de district de Jérusalem la semaine dernière, pour exiger que les deux services gouvernementaux révèlent comment ils créent les listes noires. Elles sont utilisées pour empêcher les militants BDS venant de l’étranger d’entrer dans les territoires contrôlés par Israël, dont la Cisjordanie occupée.
L’action en justice survient après que les ministères ont rejeté une demande d’accès à l’information déposée par Mack le mois dernier.
Étonnamment, ils ont justifié le refus en invoquant la « vie privée » des militants BDS. Dans un courriel envoyé à The Electronic Intifada, Mack appelait ce motif « un nouveau record mondial du cynisme et de l’hypocrisie. »
Il a expliqué qu’à moins que les autorités israéliennes n’admettent qu’elles « recueillent illégalement des données personnelles sur des militants ou groupes internationaux en utilisant, par exemple, des logiciels de surveillance et d’espionnage intrusifs, » la divulgation n’entraînerait aucune violation de la vie privée.
La demande d’accès à l’information a été envoyée au ministère de l’Intérieur et au Service de la population et de l’immigration le mois dernier, après que la presse a rapporté que cinq membres d’une délégation interreligieuse états-unienne avaient été interdits d’entrée en Israël à cause de leur soutien au BDS.
Le rabbin Alissa Wise a dit à The Electronic Intifada que le personnel de bord de la Lufthansa avait lu une liste noire de gens de leur délégation qui ne seraient pas autorisés à se rendre à Tel Aviv.
Piratage des courriels
Un employé de la compagnie aérienne a dit à Wise et à quatre autres personnes que le gouvernement israélien avait insisté pour qu’ils ne soient pas admis à bord.
Israël a auparavant refoulé des personnes qu’il accuse de soutenir le mouvement BDS.
Mais en mars, il a officialisé la mesure par une nouvelle loi qu’il n’a pas tardé à mettre en œuvre.
Wise, directrice adjointe du groupe pro-BDS Jewish Voice for Peace a également déclaré à The Electronic Intifada que la liste noire que la Lufthansa leur a lue incluait deux personnes qui avaient annulé leur participation à la délégation plusieurs mois auparavant et qui n’avaient jamais acheté de billets pour le vol.
Selon Wise, la seule façon dont Israël a pu se procurer ces deux noms fut par des moyens illicites, comme hacker ou intercepter les courriels du groupe.
Dans un courriel envoyé à The Electronic Intifada, Mack a dit que la requête d’accès à l’information demande aux ministères israéliens de révéler « les critères et les procédures » qu’ils utilisent pour ajouter des gens à ces listes noires, ainsi que la façon dont ils transfèrent ces listes aux autorités à l’extérieur d’Israël.
Lire la requête dans son intégralité, ici et la pétition déposée au tribunal ici(documents en hébreu).
Le lendemain de l’interdiction d’entrée de Wise et de ses collègues, le quotidien de Tel Aviv Haaretz a rapporté que le ministère de l’Intérieur et celui des Affaires stratégiques ont publié un communiqué confirmant qu’ils étaient à l’origine de l’interdiction.
« Ce sont des militants importants qui plaident continuellement pour le boycott, » ont dit les ministères.
Le ministère des Affaires stratégiques est celui qui est en charge de la « guerre » d’Israël contre le mouvement BDS.
«Le front»
En septembre 2016, Mack et ses collègues ont déposé une requête en accès aux informations similaire, demandant au ministère des Affaires stratégiques et au ministère de l’Intérieur de révéler quels groupes et individus étrangers ils soutenaient pour contrecarrer le mouvement BDS.
Mais en juin, les deux ministères ont répondu qu’ils n’avaient aucune relation de travail avec des entités étrangères – une affirmation que Mack considère peu crédible et qui semble contredite par d’autres déclarations.
En juillet, le parlement israélien a adopté en première lecture une nouvelle loirédigée par le ministère des Affaires stratégiques, qui l’exonérera des lois sur la liberté d’information, au motif que BDS est « un front comme un autre. »
L’interdiction de Wise et de ses collèges marque la première occasion connue où une liste noire israélienne a été transmise à un autre pays en vertu de la nouvelle loi anti-BDS. Elle marque également la première occasion connue où une personne juive est interdite d’entrée, en vertu de la nouvelle loi.
La délégation avait prévu d’atterrir à Tel Aviv, après une escale en Allemagne. Mais le personnel de Lufthansa à l’aéroport international Dulles, près de Washington DC, avait déjà reçu d’Israël la liste noire.
Selon Mack, bien que cette affaire implique des citoyens états-uniens et une compagnie allemande, « il existe un risque que l’État d’Israël ait également transmis des « listes noires » à des Etats non démocratiques qui persécutent les militants pour les droits de l’homme et d’opposition. »
Elle cite comme précédent le soutien passé d’Israël aux régimes oppressifs en Amérique Latine et en Afrique.
Rivalités
Le ministère des Affaires stratégiques a été fondé en 2006 et a été initialement centré sur l’Iran, conduisant la campagne parfois clandestine d’Israël contre le programme de ce pays dans le domaine de l’énergie nucléaire.
En octobre 2015, maintenant dirigé par Gilad Erdan, membre du Likud du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, le ministère s’est tourné vers la campagne BDS.
Cette réaffectation de pouvoir et de fonds a entraîné des tensions avec d’autres ministères, qui seraient jaloux d’être marginalisés par Netanyahu. Erdan est un allié de longue date de Netanyahu à qui il a servi de conseiller auprès du bureau du Premier ministre dans les années 1990.
Selon le journaliste d’investigation du journal Haaretz, Uri Blau, le «cabinet de sécurité» d’Israël a confié au ministère des affaires stratégiques la responsabilité de «guider, coordonner et intégrer» les activités des ministres, du gouvernement et des «entités civiles en Israël et à l’étranger» dans le cadre de «la lutte contre les tentatives de délégitimer Israël et contre le mouvement de boycott».
En mai 2016, un rapport gouvernemental israélien a critiqué le retrait par Netanyahu des pouvoirs et des financements anti-BDS au détriment du ministère des Affaires étrangères.
Le ministère des affaires stratégiques «ne disposent pas des avantages inhérents au ministère des Affaires étrangères, dont … [son] accès immédiat au champ de bataille et sa collaboration avec des groupes et organisations sympathisants à l’étranger», dit le rapport.
La diffusion d’informations pourrait «nuire à la bataille»
En septembre 2016, une fuite vers Haaretz a mis en lumière les profondeurs de la dispute entre les deux ministères.
Un câble de l’ambassade d’Israël à Londres au ministère des Affaires étrangères se serait plaint du ministère d’Erdan.
Il les accusait d’avoir utilisé des organisations juives britanniques dans le dos de l’ambassade, d’une manière qui pourrait les mettre en infraction avec le droit britannique.
Justifiant la nouvelle loi qui exempte son ministère de l’accès libre à l’information, Erdan a fait référence au mois dernier à des «entités à travers le monde» qui lutte contre le BDS et qui «ne veulent pas exposer leurs liens avec l’État».
Il a expliqué que «la plupart des actions du ministère ne viennent pas du ministère» directement, mais par l’intermédiaire de groupes à l’avant-garde. «Nous devons protéger les informations dont la diffusion pourrait nuire à la bataille», a-t-il insisté.
Israël est connu pour opérer dans le monde entier par le biais d’organisations qui prétendent défendre les «droits civils» ou par le biais de groupes politiques.
Les exemples incluent l’organisation «juridique» liée au Mossad, Shurat HaDin, qui attaque les groupes de solidarité palestiniens avec des actions en justice. Au Royaume-Uni, l’ambassade d’Israël entretient des liens étroits avec les Travaillistes Amis d’Israël et le Mouvement Travailliste juif. L’Union des étudiants juifs a également reçu des fonds de l’ambassade, selon l’enquête d’Al Jazeera sur le lobby israélien plus tôt cette année.
Selon Blau, «le ministère consacre des dizaines de millions de shekels aux efforts de coopération avec la Fédération syndicale de la Histadrut, l’Agence juive et diverses organisations non gouvernementales pour former des représentants du ‘véritable visage pluraliste d’Israël’ dans divers forums».
Cette stratégie consistant à utiliser des organisations apparemment libérales ou progressistes comme moyen d’améliorer l’image d’Israël est dans la ligne d’un rapport secret que The Electronic Intifada s’est procuré en avril.
Groupes à l’avant-garde
Le rapport, commandité par le groupe de réflexion israélien Reut Institute et le groupe de lobby pro-israélien The Anti-Defamation League, recommandait une approche à «large couverture» dans laquelle «des groupes libéraux et progressistes pro-israéliens» seront déployés pour s’engager dans des «critiques légères d’Israël.»
Le rapport soutenait que «la communauté pro-israélienne doit être unie dans cette lutte» et «bénéficier de sa diversité».
Le rapport a été approuvé par le directeur général du ministère anti-BDS d’Erdan.
En août 2015, l’agence israélienne de renseignement militaire Aman a révélé à Haaretz qu’elle avait créé un «département de délégitimation» pour espionner les militants BDS à l’étranger.
Est-ce cette agence qui a fourni l’information qui a fait que le rabbin Wise et ses amis ont été empêchés par les autorités d’occupation d’entrer en Palestine ?
Selon Mack, l’établissement de listes noires de militants internationaux pourrait «être utilisée pour l’établissement tenu secret de ‘listes noires’ des militants israéliens des droits de l’homme qui sont en contact avec eux».
Lorsque Aman a révélé à Haaretz qu’il était question de «surveiller» les militants BDS dans le monde entier, il a souligné «qu’il ne collectait pas d’informations sur les citoyens israéliens. C’est le travail du Shin Bet» – la police secrète d’Israël.
En mars, il a été révélé qu’Erdan voulait commencer à mettre en place une «base de données» de citoyens israéliens qui soutiennent la campagne BDS. Mais le procureur général et d’autres officiels israéliens ont accusé son ministère d’outrepasser ses droits.
Si le ministère d’Erdan utilise ces listes noires pour «surveiller» activement les militants israéliens, il semble qu’il soit en violation même de la loi israélienne.
Asa Winstanley est un journaliste indépendant basé à Londres qui séjourne régulièrement dans les TPO. Son premier livre “Corporate Complicity in Israel’s Occupation” est publié chez Pluto Press. Voir son site web.
Source : Chronique de Palestine