“Des Yéménites aux Palestiniens”
21 août 2017
Palestine
Amira Hass
Samedi 19 août 2017
Amira Hass, l’une des rares journalistes israéliennes à dénoncer la politique raciste de l’occupant, revient cette semaine sur la question de l’enlèvement institutionnalisé des bébés yéménites. (Cf notre article sur le sujet : http://www.europalestine.com/spip.php?article13146
« Le scandale de l’enlèvement des enfants yéménites (et autres) persiste, heureusement. Plus on en parle, plus on le rappelle, mieux c’est. Même si ceux qui en furent directement responsables ne sont plus là pour répondre de leurs actions, on a des preuves répétées que les plaintes des familles étaient justifiées. »
Cette fois-ci, c’est un article du quotidien Yedioth Aronoth datant de jeudi, qui nous a remémoré l’histoire des enfants yéménites. Tamar Kaplansky a interviewé Shulamit Malik qui, au début des années cinquante, était puéricultrice dans une crèche de jour Hapoel Hamizrahi, dans le camp d’immigrants de Yatziv. Malik a choisi de se faire interviewer ; elle avait lu un article de Kaplansky et a décidé de rompre son silence.
Il s’est avéré que Malik avait rompu le silence pour la première fois, il y a dix ans. Elle avait pris contact avec Rami Tzuberi, avocat qui représentait des familles d’enfants qui avaient disparu. Tzuberi a affirmé qu’il avait donné le nom de Malik à la commission d’enquête, mais on ne l’a jamais appelée pour témoigner. En tant que puéricultrice, elle s’est rendu compte de la relation entre les délégations de personnes élégantes qui visitaient l’établissement et les bébés en bonne santé qui disparaissaient quelques jours après. Devenue grand-mère, elle s’est rappelé, pleine de désespoir, les parents qui venaient reprendre leurs enfants – après une longue journée de travail – et qui découvraient un lit vide.
Son témoignage ne révèle rien de nouveau sur ce phénomène. Elle confirme une fois de plus que ces familles avaient vu juste, durant des dizaines d’années, quand elles parlaient de la disparition systématique des bébés.
Les familles et les militants qui n’ont pas permis de noyer le poisson, peuvent servir d’exemple à tous les groupes de la société, opprimés et réduits au silence. Cette affaire est une leçon importante pour tous les journalistes et rédacteurs : Écoutez les gens, je vous en prie. Spécialement lorsqu’ils ne sont ni riches, ni célèbres, ni beaux parleurs, ni haut placés. Écoutez-les, même si nulle caméra n’a capté tout ce qui s’est passé, et qu’il n’existe pas de documents pour corroborer leurs dires. Manifestez un scepticisme élémentaire devant les gens au pouvoir. Ils ont toujours quelque chose à cacher, tout en se couvrant de ridicule et d’arrogance.
Grande est la tentation de faire le parallèle avec l’oppression des Palestiniens – et pas qu’une simple allusion : Nous ne sommes pas ici pour nous contenter de décrire la réalité ; nous voulons la changer. Dans la lutte contre l’oppression et la puissance, on espère que la comparaison va aider un nombre croissant de gens à faire des révélations – pas dans 66 ans – à rompre le silence, à résister à l’oppression et à forger une coalition.
Toutefois, la tentation de ne pas faire de parallèle est encore plus grande. Notre culture politique actuelle, est telle qu’elle ne permet pas la divulgation de cette logique parallèle. Actuellement, l’Establishment de cette époque-là, qui enlevait les enfants, principalement juifs-arabes, s’identifie instantanément avec les Ashkénazes d’une part, et les perfides amis gauchistes des Arabes, d’autre part. Pour beaucoup, c’est donc, en apparence, un simple détail : le fait que la crèche où travaillait Malik était gérée par Hapoel Hamizrahi qui n’était pas exactement de gauche, puisque c’est à partir de ce groupe que s’est développé le Parti National Religieux devenu Habayit Hayehudi – ce que dit précisément Kaplansky.
De la même manière, notre opinion publique ne comprend pas que l’establishment Mapai-Mapam de l’époque s’est présenté comme de gauche pour mieux atteindre des buts ethniques ultra-nationalistes (conquête du sol, bannissement des Palestiniens). L’establishment qui ne pense qu’au bannissement n’a pas changé : même si aujourd’hui il ne comprend pas uniquement des Ashkénazes, même si les successeurs du Mapaï ont renoncé à se dire de gauche, même si les enfants ne sont pas enlevés, s’ils sont plutôt menés vers des voies éducationnelles de moindre valeur. Par sa façon habituelle de brouiller la terminologie, la droite fait de l’enlèvement des enfants un outil contre la gauche anti-nationaliste, c’est-à-dire contre les opposants à l’occupation.
Ne faisons pas comme eux. Reconnaître l’injustice systématique et calculée que l’Establishment ashkénaze a perpétrée contre les enfants et leurs familles n’est pas une monnaie d’échange pour l’opposition à la politique systématique d’oppression des Palestiniens par Israël.
Amira Hass
Journaliste au quotidien Haaretz
(Traduit par Chantal C. pour CAPJPO-EuroPalestine)
Source : http://www.haaretz.com/opinion/.premium-1.807069
CAPJPO-EuroPalestine