Les grosses orchades, les amples thalamèges.. Littératures vagabondes – états d’âme à La Thalamège
29 août 2017
29/08/2017
IL SUFFIT QU’ON SE METTE AU VERT…
Il suffit qu’on se mette au vert pour que tout le monde rentre !
Aujourd’hui : Manuel de Diéguez et Aymeric Monville
Le nouveau pont de la rivière Kwai
1 – Les chemins de la vassalité
2 – Les murs de notre prison politique et mentale
3 – Les fondations de notre prison
1 – Les chemins de la vassalité
Le XXe siècle aura donné naissance à une littérature attachée à porter un regard d’anthropologue, donc un regard de l’extérieur, sur un animal aveuglément rivé à son labeur. Le héros du roman de Pierre Boulle (1912-1994) – le colonel anglais Nicholson – illustre ce type de littérature d’une manière particulièrement frappante: son détachement avait été fait prisonnier des Japonais dans la jungle birmane. Après avoir résisté quelque temps aux ordres du chef du camp, il finit par prendre la tête de la construction d’un pont sur la rivière Kwaï, à seule fin de prouver à ses geôliers les compétences et les qualités exceptionnelles des soldats de Sa Majesté. Tout à l’accomplissement de sa tâche, il en oubliait la finalité : ce pont allait assurer le passage des troupes nipponnes.
On retrouve le même thème chez le romancier russe Alexandre Soljenitsyne dans son roman intitulé Une journée d’Ivan Denissovitch. Alors que les bagnards sont attelés à des tâches absurdes et inhumaines durant le terrible hiver de la steppe sibérienne, Ivan Denissovitch Choukhov s’y applique avec un zèle qui lui vaut les quolibets de ses compagnons et ne rentre que le dernier dans la baraque qui sert de dortoir aux prisonniers.
Le Colonel Nicholson et Ivan Denissovitch illustrent d’une manière exemplaire un mécanisme psychique universel. Telles de laborieuses fourmis ouvrières, les humains sont remplis d’une bonne volonté à la fois touchante et aveugle qui les pousse à réaliser à la perfection des tâches stupides et sans réfléchir au but poursuivi.
La construction d’un nouveau pont de la rivière Kwaï s’est poursuivie en France durant tout l’été: M. Emmanuel Macron avait invité M. Donald Trump à la fête nationale du 14 juillet afin, disaient les géopoliticiens ambitieux de paraître machiavéliens, d’acheter à la baisse un Président réputé en perdition, ce qui procurerait à la France un crédit diplomatique à monnayer au plus haut prix dès le mois de septembre. Mais M. Donald Trump a aussitôt tiré parti de ce calcul de néophyte pour demander à chaque pays de l’OTAN un tribut militaire supplémentaire d’un milliard d’euros, afin, prétendait-il, d’assurer leur « protectorat » , c’est-à-dire leur propre mise sous tutelle au profit du Pentagone et de l’OTAN.
Mme Merkel a quelque peu rechigné, mais que faire dès lors qu’à ses côtés, son puissant ministre des finances, M. Wolfgang Schäuble, suppliait Washington de persévérer à réprimer toute velléité de souveraineté du Vieux Continent ?
2 – Les murs de notre prison politique et mentale
Aujourd’hui, la construction de notre pont de la rivière Kwai se trouve quasiment achevée. Nous y avons mis un zèle stupéfiant. A l’instar d’Ivan Denissovitch, le bagnard de Soljenitsyne, nous continuons de construire, pierre par pierre, les murs de notre prison politique et mentale.
Ainsi, l’armée française porte exclusivement son attention sur une construction cérébrale qui lui permet d’éviter de se regarder dans le miroir du « connais-toi » socratique et de découvrir que ce miroir lui renvoie l’image du Colonel Nicholson. Son chef d’État-major, le Général Pierre de Villiers, avait protesté de ce que son budget avait été lourdement amputé par le ministre du Budget. Mais a-t-on entendu l’un des six cents généraux en activité ou l’un des cinq mille cinq cents généraux de la deuxième section, dénoncer le traité de Lisbonne qui place cette armée mexicaine de six mille cent généraux français sous la coupe de l’étranger ?
Le nouveau chef d’état major, François Lecointre, serait un guerrier héroïque: il aurait réussi à faire reculer un détachement serbe sur un pont, lors de la dernière guerre de Yougoslavie. Mais qui expliquera aux Français ce que le Colonel François Lecointre faisait en ex-Yougoslavie, sous commandement américain ?
Depuis la signature du traité de Lisbonne, toutes les opérations extérieures de l’armée française se font sous la houlette du Commandant suprême des forces alliées en Europe, le Général américain Curtis Scaparrotti.
Lorsqu’on relit les déclarations de Nicolas Sarkozy lors du retour effectif de la France dans le giron de l’OTAN, au cours du sommet qui s’est tenu à Strasbourg-Kehl les 3 et 4 avril 2009 en présence de Barack Obama, on demeure confondu par sa naïveté et sa vertigineuse sous information politique concernant la manière dont fonctionne un empire. « Nous sommes de la famille, nous sommes dans la famille », clamait-il. « L’Europe sera désormais un pilier encore plus important, plus fort de l’Alliance », ajoutait-il. Son insistance candide sur de prétendus « liens familiaux » entre les États-Unis et la France lui faisait croire que, tel l’enfant prodigue, la France bénéficierait d’un statut particulier au sein de de la vassalisation atlantique : « J’ai toujours été convaincu que les États-Unis et la France étaient de la même famille ».
Quelle ne fut pas sa stupéfaction lorsqu’il se vit prier de prendre la place qui lui était assignée dans un groupe rangé par ordre alphabétique. Il fit des pieds et des mains et finit par obtenir de se tenir aux côtés du maître du monde Barack Obama, pour le temps de la photo officielle, puis il lui fut ordonné de s’installer à sa place de docile vassal, entre « Finland et Germany ».
La leçon n’a pas été retenue et lors du dernier G20 à Hambourg, on a vu M. Emmanuel Macron se coller aux basques du nouveau président des États-Unis.
Avec quelle délectation les généraux Jean-Paul Paloméros, Stéphane Abrial, ou Denis Mercier ont pris à tour de rôle une fonction ronflante, mais subalterne, dans le dispositif de l’OTAN à Norfolk aux États-Unis à compter du 10 septembre 2009, ou à Lisbonne pour le général Stolz, lorsque M. Nicolas Sarkozy a cru bon de trahir la politique du Général de Gaulle et d’enchaîner l’armée française au char de l’Amérique à laquelle l’OTAN sert le masque !
Les généraux obéissent sans états d’âme au pouvoir politique à tel endroit et à tel moment. Ils bombardent les cibles que l’OTAN leur demande de bombarder au nom de la « démocratie », « des droits de l’homme » ou de l’esprit messianique américain. Leurs exploits en Libye, en Irak, en Serbie, en Afghanistan et même en Syrie, ont transformé en un amas de ruines les pays qu’ils sont censés avoir « libérés ».
M. Hollande n’était-il pas prêt à vitrifier Damas avec nos Rafales déjà sur le tarmac, chargés de missiles jusqu’à la gueule et soutenus par notre petite frégate Chevalier Paul, noyée au milieu d’une armada de porte-avions américains ? Mais aucun de nos généraux n’a démissionné ou refusé d’exécuter sa « mission». Au grand dépit de M. Hollande, du Quai d’Orsay et des généraux français, seul un réflexe de bon sens du Congrès américain de l’époque a mis fin à cette mascarade.
3 – Les fondations de notre prison
Or, un discours du 17 juin 2008 prononcé par M. Nicolas Sarkozy lors d’une réunion à la porte de Versailles et préparatoire à la reddition de la France ainsi qu’à son pelotonnement dans le giron de l’OTAN, le président français se vantait de ce que « nous pourrons rénover nos relations avec l’OTAN sans crainte pour notre indépendance et sans risque d’être entraînés dans une guerre, malgré nous ». Le 19 mars 2008, il prophétisait déjà avec l’assurance des néophytes « qu’aucune force française ne sera placée en permanence, en temps de paix, sous le commandement de l’OTAN ». L’histoire contemporaine a hélas apporté un sévère démenti à ces deux affirmations.
Mais les postes ronflants et les missions extérieures rapportent double solde, médailles et prestige. À quoi sert un général privé de guerre ?
Certes, les engagements se font sous l’autorité officielle du pouvoir politique. Mais faut-il participer sans rechigner aux guerres illégales de l’État américain sous prétexte que le traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er décembre 2009 ficelle désormais la France et l’Europe entière à l’OTAN ?
Les soldats de carrière sont mus, comme tous les humains, par des intérêts de carrière. Ils désirent, à l’instar du bagnard Yvan Denissovitch dans son goulag sibérien, que le mur inutile soit bien fait et que le chef du camp soit content; ou comme le Colonel Nicholsson, qui souhaitait prouver à des Japonais qu’il méprisait, de quoi les Anglais sont capables.
Alors nos militaires se lamentent de l’état pitoyable de leurs outils : seul cinquante pour cent du matériel est disponible, la moitié des hélicoptères n’est pas en état de voler, cinquante pour cent des avions d’une base de l’armée de l’air sont dans un tel état de délabrement qu’ils servent de pièces de rechange aux appareils encore réparables et les stocks de munitions sont si limités que les entraînements en conditions réelles sont de plus en plus rares…
C’est pourquoi, si nos généraux cinq étoiles se risquaient à porter leur regard sur eux-mêmes, ils verraient clair comme le jour que leur dérobade les lie plus étroitement au joug du Pentagone que Gulliver par les mille liens des Lilliputiens. Ils se trouveraient alors empêchés de fixer leur regard sur la qualité et la quantité de leurs munitions, alors que le spectacle de cinq cents bases militaires américaines incrustées en Europe ne leur crève pas les yeux.
L’occupant et maître de l’OTAN se montre de plus en plus sûr de lui. Par nature et par définition, toute armée ressemble à un coureur cycliste le nez sur son guidon. Nos généraux du plus haut rang refusent les restrictions budgétaires tellement ils craignent de se trouver retardés dans la construction du pont de la rivière Kwaï qui les asservit à une puissance étrangère.
Il est d’ores et déjà devenu évident que la France ne sera pas l’instrument du gaullisme du XXIe siècle; il est d’ores et déjà devenu évident qu’elle demeurera inféodée au nouveau vichysme qu’on appelle maintenant l’atlantisme et que M. Sarkozy appelait la « famille occidentale ». Mais il n’est peut-être pas nécessaire « d’espérer pour entreprendre et de réussir pour persévérer ». Le « connais-toi » toi-même est en marche jusqu’au plus profond de l’asservissement.
Demain, un Général de Villiers aux yeux grands ouverts, refusera que des vassaux du Pentagone lui fassent une haie d’honneur.
La vocation d’un Président de la Ve République n’est pas seulement de traiter de problèmes locaux, contingents et propres au fonctionnement de la bureaucratie européenne, mais d’observer le destin du continent de Copernic à l’écoute et à l’école de l’américanisation du Vieux Monde. Cette attitude exige un regard et un jugement sur un Occident marginalisé par le messianisme pseudo édénique d’un royaume du dollar revêtu des apanages et des prérogatives d’une annonciation universelle du « Beau, du Juste et du Bien ». Il y faut un recul et une distanciation de la raison capables de circonscrire la vraie signification de la situation géopolitique actuelle
Source : http://aline.dedieguez.pagesperso-orange.fr/tstmagic/1024…
Un livre :
Les jolis grands hommes de gauche
Aymeric Monville – Delga – 5 septembre 2017
Chers amis,
J’aurai l’immense plaisir de vous retrouver après cet été pour vous présenter mon dernier ouvrage (320 p.) Ce sera :
Ce mardi 5 septembre à 19h30,
à la librairie Tropiques,
63 rue Raymond Losserand – 75014 Paris
(Métro Pernetty).
Suivi d’un débat et d’un apéro comme il se doit.
Au plaisir de vous y retrouver.
Bien cordialement,
Aymeric Monville
Onfray suggérant de bombarder Cuba ; Badiou nageant en pleine eurolâtrie bruxelloise ; Lordon promu porte-parole du mouvement Nuit Debout mais annonçant d’emblée que toutes les révolutions « sont belles parce qu’elles échouent » ; Michéa ne voyant dans l’antifascisme qu’un alibi « stalinien » ; Rancière se déclarant déçu dans ses doux « espoirs nés de l’effondrement de l’empire soviétique » pour mieux affirmer, blasé, que « la prise de pouvoir, nul ne sait aujourd’hui ce que ça veut dire » ; Todd qualifiant le communisme de pathologie pour mieux vanter les mérites dudit « hollandisme révolutionnaire »…
Le vieux rêve de la réaction, exclure les communistes de la communauté nationale (« communiste, pas français »), prend ici l’apparence de la bonne conscience « progressiste », ingénue. Mais si certains n’ont trouvé d’autre solution que de refaire le congrès de Tours à l’envers et de revenir au temps du grand Jaurès, ce n’est pas pour s’inspirer de son courageux combat pour la paix ; c’est pour mieux conjurer toute une époque : Octobre-17 et Stalingrad, la Résistance et le programme du CNR, l’antifascisme et l’anticolonialisme insufflés par le Komintern, et mieux se plonger ainsi la tête dans le sable. Pourront-ils encore longtemps « fuir l’histoire » ?
Rédigés sur une dizaine d’années, ces articles pianotent sur la gamme qui va de la polémique acerbe à la controverse argumentée, sans exclure parfois l’« exercice d’admiration » (Clouscard, Lukács et d’autres). Ils offrent un point de vue privilégié sur les débats qui agitent la gauche actuelle.
Et on attend Lacroix-Riz sur le centenaire d’Octobre !
Mis en ligne le 29 août 2017