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9 novembre 2024

De l’Europe aux Etats-Unis, ces villes qui s’opposent à leurs gouvernements pour mieux accueillir les migrants


 

 VILLES SOLIDAIRES


 

Par Rachel Knaebel
 
Mardi 29 Août 2017
 
Aux Etats-Unis, des centaines de municipalités ont fait le choix de ne pas contribuer à la chasse aux sans-papiers lancée par Donald Trump. En Europe, des communes s’engagent pour un accueil digne des migrants. Villes sanctuaires et villes refuges, de l’Italie à la Grande-Bretagne, de Barcelone à Grande-Synthe, ces communes tentent de se constituer en véritables contre-pouvoirs face aux politiques indignes et xénophobes.
 
A peine élu président des États-Unis, Donald Trump adoptait un décret pour couper les fonds fédéraux aux centaines de municipalités qui ont critiqué sa politique contre les migrants.
 
Face au programme de Donald Trump, à sa volonté d’expulser manu militari les sans-papiers quel que soit le nombre d’années de résidence, et à son souhait d’ériger un mur à la frontière mexicaine, de nombreuses villes se sont rapidement déclarées villes sanctuaires. Ces municipalités « ont adopté des politiques qui promettent de protéger et de servir tous leurs résidents, quel que soit leur statut migratoire », explique la puissante association American Civil Liberties Union (ACLU).
 
Dans les faits, ces villes refusent de coopérer avec les forces de l’ordre fédérales lorsque celles-ci leur demandent de mettre des sans-papier en détention. Elles n’exigent pas forcément de leurs habitants de produire un certificat de naissance ou de séjourner légalement pour accéder aux services publics locaux. Certaines municipalités sanctuaires décident même de reconnaître comme valables sur leur territoire des papiers d’identité non états-uniens ou de distribuer leurs propres papiers d’identité municipaux à tous leurs résidents, quelle que soit leur nationalité.
 
Les métropoles parmi les plus importantes des États-Unis, comme New York, Los Angeles, Chicago, Boston ou Washington, ont adopté cette position. Et n’ont pas perdu la bataille face à Donald Trump puisqu’un juge fédéral a bloqué au mois d’avril 2017 le décret du président qui voulait leur couper les vivres.
 
En Europe aussi, confrontée à une crise historique de la gestion des migrations, des collectivités locales prennent le contrepied de la politique de fermeture menées par les états de l’Union Européenne. Quand la plupart des gouvernements européens misent sur une gestion sécuritaire et des accords avec des pays aussi peu démocratiques que la Libye et la Turquie,  à Milan, le 20 mai 2017, cent mille personnes ont manifesté à l’initiative du maire de gauche de la ville pour promouvoir l’accueil des migrants.
 
Au mois de février 2017, c’était la maire de Barcelone, Ada Colau, alliée du parti Podemos, qui appelait à une manifestation pour l’accueil des migrants. Là aussi, plus de cent mille personnes ont répondu présentes. La capitale catalane a aussi initié un réseau international de villes engagées dans l’aide et l’accueil des migrants, Solidarity Cities. Une impulsion également destinée à pousser le gouvernement espagnol à accélérer l’accueil des réfugiés arrivés en Europe et qui devaient être relocalisés vers l’Espagne.
 
« Il faut faire la différence entre les réseaux de villes solidaires en Europe et le mouvement de villes sanctuaires aux États-Unis », souligne cependant Filippo Furri, cherchceur membre du réseau Migreurop et doctorant à l’université de Montréal, « en Europe, les municipalités se constituent en villes refuges sur la question de l’asile. Aux États-Unis, le mouvement s’est plutôt construit pour protéger des personnes qui retombent dans l’irrégularité administrative après avoir déjà vécu un moment dans le pays ».
 
Filippo Furri connaît bien le cas italien, en particulier celui de Venise, « avec les guerre des Balkans dans les années 1990, il y a eu une vague de réfugiés. À Venise, un élan de solidarité citoyenne et associative s’est joint à une volonté politique pour organiser un accueil digne. Un système d’accueil organisé s’y est mis en place dans la foulée, au début des années 2000. Venise est devenue une sorte de prototype du système d’asile qui s’est développé ensuite en Italie et qui est en train de péricliter avec la situation d’urgence actuelle ».
 
Aux côtés de la Grèce, l’Italie est l’un des deux principaux pays d’arrivée pour des centaines de milliers de personnes qui débarquent chaque année en Europe par la mer pour y chercher l’asile et la sécurité. Plus de trois cent soixante mille personnes sont arrivées par la mer Méditerranée en Europe en 2016. Plus de quatre vingt dix huit mille sont arrivées depuis le début de l’année 2017. Plus de deux mille personnes migrantes sont déjà mortes en mer Méditerranée cette année. L’Italie est donc l’un des pays qui doit gérer en urgence et en grand nombre l’accueil des migrants, en plus des sauvetages en mer. Au début du mois de juillet 2017, son gouvernement a appelé à l’aide les autres pays européens pour faire face aux nécessités de prise en charge des nouveaux arrivants. Mais loin de prendre le parti de l’hospitalité, Rome a aussi menacé dans le même temps de fermer ses ports aux migrants.
 
« L’Italie, comme la Grèce, est en train de devenir un véritable territoire de rétention », déplore Filippo Furri, « il y existe des formes d’hospitalité et d’accueil dans la société civile. C’est une réponse face à une gestion de la part des états qui vise avant tout à contrôler les flux, à trier les gens et à disperser les centres d’accueil en les imposant aux collectivités locales. Il y a un conflit entre l’accueil local des municipalités et le contrôle étatique ».
 
De la même manière que des Organisations Non Gouvernementales (ONG) prennent le relais des états et des autorités européennes pour sauver des vies en mer Méditerranée, des communes italiennes s’organisent pour faire ce que l’état italien refuse, organiser un accueil digne, et favoriser les échanges entre la population locale et les nouveaux arrivants.
 
Le réseau des communes de la terre pour le monde, fondé en 2003 en Italie, réunit aujourd’hui plus de trois cent municipalités de tout le pays.
 
L’association organise par exemple un festival interculturel à Riace, village de Calabre devenu l’un des points d’entrée de nombreux migrants dans l’Union Européenne. L’association des communes mène aussi des projets de solidarité internationale, comme un projet de développement de l’énergie solaire au Sahel. « Le réseau Recosol est organisé sur une logique de solidarité qui dépasse la question des migrations », précise Filippo Furri, « c’est un réseau d’entraide entre communautés locales ».
 
Se constituer en associations de solidarité, au delà du seul objectif de gérer l’urgence, voilà ce qui fait sûrement la spécificité des réseaux des villes-refuges face aux politiques migratoire des états. « L’état laisse en partie seules les municipalités italiennes pour l’organisation de l’accueil des migrants. Ce sont les municipalités qui organisent le logement, les cours de langue et l’intégration locale », expliquent les coordinateurs du réseau de communes Recosol, « la politique du gouvernement italien souffre de l’absence d’une vision globale et d’un plan national pour l’accueil et l’intégration des migrants. Ce sont donc les associations et les citoyens, sur le territoire, qui font la différence ».
 
En Grande-Bretagne aussi, des citoyens et des communes prennent le contrepied de la politique xénophobe du gouvernement conservateur. « Le réseau City of Sanctuary a été créé à Sheffield, en 2005, par un petit groupe de personnes qui voulaient mieux accueillir les réfugiés », explique Forward Maisokwadzo, porte-parole de ce réseau britannique. Le maire de cette ville de cinq cent mille habitants du nord de l’Angleterre avait pleinement soutenu l’initiative et il avait pris l’engagement public d’accueillir les demandeurs d’asile et les réfugiés dans sa ville. « Puis le mouvement est devenu très important en terme de nombre de personnes et de communes impliquées. Il compte aujourd’hui une centaine de municipalités. L’idée est de travailler avec tout le monde, les citoyens, les associations et les autorités locales. »
 
Pour le mouvement City of Sanctuary, la clé de l’accueil est dans ce travail collectif. « Les actions menées par le mouvement varient selon les endroits. Elles peuvent par exemple consister à sensibiliser les gens à la question de l’accueil des demandeurs d’asile », précise Forward Maisokwadzo, « à Bristol, la ville s’est attaquée au problème du dénuement des demandeurs d’asile qui reçoivent très peu de soutien financier et qui n’ont pas le droit de travailler pendant l’étude de leur demande. Une douzaine d’autres villes se sont engagées sur la question. Leur travail est aussi de pousser le gouvernement à se pencher sur ce problème ».
 
En France, il y a l’exemple de Grande-Synthe, une ville du Nord de vingt mille habitants, où la municipalité a pris le parti de l’accueil des migrants en route vers l’Angleterre, notamment en construisant avec Médecin Sans Frontières (MSF) un centre d’accueil permettant des conditions de vie décentes. Repris en main par la préfecture, le centre a été détruit par un incendie au mois d’avril 2017. Des citoyens s’engagent aussi évidemment, de Calais à la frontière italienne, et se trouvent parfois traîné en justice pour  délit de solidarité.
 
À Paris, où des milliers de migrants débarqués dans la capitale se retrouvent à la rue sans aucune prise en charge et harcelés par la police, la maire Anne Hidalgo a annoncé l’ouverture d’un premier centre d’accueil au mois de mai 2017. Le centre a ouvert six mois plus tard. Prévu pour cinq cent personnes, il est pourtant sous-dimensionné et saturé en permanence.
 
Selon l’association France Terre d’Asile (FTA), plus de mille personnes migrantes dormaient encore dans la rue au début du mois de juillet 2017 à proximité du centre d’accueil. Le Groupe d’Information et de Soutien aux Travailleurs Immigrés (GISTI) a aussi dénoncé les violences policières dont sont victimes les migrants dans les files d’attentes du centre. Malgré des initiatives bien réelles mais dispersées, « la France n’est pas dans une démarche d’accueil », regrette Filippo Furri. Les villes françaises prendront-elles le relais d’un état défaillant ?
 
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