Par Hagal Amit (revue de presse : Pour la Palestine.be / Haaretz – 21/8/17)*
Israël espère fermer hermétiquement sa frontière avec la Bande de Gaza, et se prépare à consacrer 380 millions de dollars à des travaux titanesques dans ce but. Des experts de l’armée israélienne considèrent que c’est un gaspillage car, selon eux, des barrières souterraines pour empêcher le creusement de tunnels ne peuvent être efficaces qu’à court terme.
Des entreprises chinoises et françaises ont, selon Haaretz, refusé de prendre part à ce projet en raison de son caractère “politiquement sensible”.
Quiconque emprunte la route 34 à partir de la localité de Netivot, dans le Néguev, peut apercevoir un gigantesque chantier de construction. Sur le côté droit de la route, des bulldozers s’activent dans tous les sens. Ailleurs, ce sont des grues, des foreuses géantes, des “hydromills” (engins pour creuser des tranchées) gigantesques… mais si vous tentez de vous approcher en empruntant une piste poussiéreuse, des soldats ne tardent pas à vous interdire le passage.
Ce que les automobilistes peuvent voir – ou plutôt, pour la majeure partie, ne pas voir – est la construction d’une barrière massive destinée à empêcher les infiltrations de combattants du Hamas venant de la Bande de Gaza. Elle s’étendra sur une longueur de 65 kilomètres, aura une hauteur de 6 mètres au-dessus du niveau du sol et sera hérissée de détecteurs électroniques. Mais la plus grande partie de l’ouvrage sera sous la surface du sol, profondément enfoncée afin d’empêcher le creusement de tunnels, qui représentent une menace que l’armée israélienne prend très au sérieux depuis l’agression qu’elle avait menée contre la Bande de Gaza en 2014.
Le coût de la construction de cette barrière est estimé à 830 millions de dollars US, ce qui en fait un des plus coûteux projets d’infrastructures en Israël actuellement. Cette commande représente pour l’industrie israélienne de la construction une manne financière inespérée, mais elle représente aussi des défis technologiques considérables, de sorte qu’on s’attend à ce que le devis initial soit largement dépassé.
La construction de cette barrière, qui vient de commencer, va demander de telles quantités de ciment que l’industrie israélienne aura du mal à produire assez d’agrégats pour leur fabrication et pourrait devoir en importer une partie. Le chantier nécessitera l’utilisation de 10 à 14 “hydromills”, c’est-à-dire la totalité des équipements de ce genre (assez nouveau, ils ne sont utilisés en Israël que depuis deux ans) qui existent en Israël.
Idem pour les bétonnières : elles sont toutes réquisitionnées, de sorte que les entrepreneurs qui ont d’autres chantiers en cours ont beaucoup de mal à en obtenir.
Pour ce qui est des équipements électroniques dont la barrière sera bardée, Intel a été désigné comme “entrepreneur général”, et les autres fournisseurs en seront donc dépendants.
Les travaux se poursuivent 24h/24. Il a été fait appel, outre des ouvriers israéliens, à des travailleurs venant d’Espagne et de Moldavie, ainsi qu’à des demandeurs d’asile africains.
Israël aurait souhaité que des groupes étranger du secteur des travaux publics participent au travaux, espérant ainsi en faire baisser le coût. Mais compte tenu du caractère “politiquement sensible” du chantier, des groupes chinois et français, notamment, ont préféré s’abstenir. Il s’agit, précise Haaretz, de compagnies déjà présentes sur le marché israélien, notamment pour la construction du “tramway léger” de Jérusalem.
C’est la partie souterraine de la barrière qui pourrait faire exploser le coût du projet, estiment des experts. En fonction de la configuration géologique locale, notamment, la barrière pourrait devoir atteindre une profondeur de plusieurs dizaines de mètres, ce qui implique des difficultés techniques sans précédent et risque de gonfler la facture dans des proportions difficiles à prévoir.
Dès le départ, les huit entreprises qui ont remis pris pour participer aux adjudications ont fait des offres bien supérieures au prix que l’armée avait estimé initialement. Les militaires ont donc été obligés de revoir leur copie.
Yaki Baranes, responsable du conseil stratégique en Israël pour le cabinet de comptabilité et de conseil américain Baker Tilly, n’est pas surpris. Son cabinet a effectué une analyse de la barrière électronique que les États-Unis ont érigée à la frontière mexicaine à partir de 1998 et a jugé que c’est un échec, malgré 1,5 milliard de dollars dépensés.
Malgré toute l’électronique high-tech installée par les États-Unis, le moyen le plus efficace pour surveiller les frontières reste les patrouilles, a déclaré Baranes. En tout cas, Israël est face à un défi beaucoup plus sérieux pour essayant d’empêcher les tunnels du Hamas que les États-Unis pour dissuader des migrants.
Lorsque le président américain Donald Trump a annoncé la construction d’un mur entre les États-Unis et le Mexique, le coût de la construction était estimé à 10 milliards de dollars. Maintenant, l’estimation est passée à 30 à 40 milliards de dollars.
Dans le passé, en outre, des responsables de l’armée israélienne et certains experts indépendants ont critiqué l’idée même de la barrière. Parmi eux, il y a le colonel (res.) Yossi Langotsky, qui a dans le passé servi comme conseiller du chef d’état-major sur la menace des tunnels et était l’un des géologues à l’origine de la découverte du champ de gaz naturel Tamar, en Méditerranée.
“Les barrières souterraines pour la prévention des tunnels ne sont efficaces que pour une courte période. C’était l’avis que j’ai déjà donné à l’établissement de défense en 2005”, a-t-il déclaré la semaine dernière. “Même si franchir la nouvelle barrière contre Israël ne sera pas facile, un ennemi intelligent et déterminé comme le Hamas trouvera un moyen de le faire”, a déclaré Langotsky. Il estime que pour beaucoup moins d’argent Israël pourrait installer un réseau de détecteurs sismiques tout au long de la frontière, et que ce serait plus efficace.
Version originale: Hagai Amit dans Haaretz, le 20 août 2017 *Source : Pour la Palestine.be – Traduction/adaptation : Luc Delval