« La vérité sur Lula »
Les médias internationaux ont répandu l’information que l’ex-président Lula a été condamné à neuf ans et demi de réclusion pour des crimes de corruption et blanchiment d’argent, mais la plupart des reportages ne révèle pas que cette décision, prise par un juge singulièrement et manifestement partial, n’est pas basée sur des preuves, ni sur la loi brésilienne, ni sur la vérité des faits. C’est une condamnation politique et une aberration juridique, selon des juristes indépendants, qui devrait être annulée par les instances supérieures.
Cette sentence est la conséquence de la longue persécution contre Lula menée par le juge Sergio Moro et par un groupe de procureurs de la-dite opération Lava Jato. Depuis que le Parti des Travailleurs (le PT), a vaincu pour la quatrième fois consécutive les élections présidentielles, en 2014, Moro et ses promoteurs – avec la complicité du réseau Globo de Télévision, le plus grand réseau de média au Brésil – essayent d’associer Lula aux déviations de Petrobras investiguées par l’opération Lava Jato.
En mars 2016, la police a envahi la maison de l’ex-président et a confisqué des papiers, des agendas, des téléphones portables, des ordinateurs et même les tablets de ses petits-enfants. Ils ont conduit Lula, de force, à témoigner, sans raison légitime et légale. Ils ont violé les comptes bancaires et la comptabilité de Lula et de ses familiers, de son institut, de l’entreprise qui s’occupe de ses conférences et intercepté ses communications téléphoniques.
On n’a jamais trouvé d’illégalité commise par Lula, ni de comptes secrets ou d’entreprise off-shore ; et encore moins quelque chose qui puisse le lier aux détournements de Petrobras, ou qui prouve qu’il a reçu un pot-de-vin sous la forme d’un appartement comme prétend la thèse de l’accusation. Mais ils ont laissé illégalement diffuser par la presse des enregistrements de ses communications téléphoniques, des messages, des documents et des témoignages choisis de façon à condamner Lula par l’opinion publique au moyen de titres à sensation, comme dans une reprise des erreurs de l’opération italienne Mani Pulite (Mains propres), inspiration de l’opération Lava Jato au Brésil.
La présentation de la dénonciation contre Lula, en septembre 2016, c’était un spectacle médiatique très gênant pour le monde juridique. Sans avoir de preuves de corruption contre Lula, les promoteurs se sont servis de thèses de probabilité afin de l’accuser d’être le chef d’une organisation criminelle. Pour initier l’action pénale, le juge Moro a dû corriger plusieurs aspects de la fragile dénonciation, jouant le rôle d’un vrai accusateur, ce qui confirme son parti-pris.
Dans un dernier effort pour fabriquer une preuve dans le procès, le juge Moro a décidé d’écouter une deuxième fois l’industriel et coupable Léo Pinheiro, qui avait déjà déclaré l’innocence de Lula, à exemple des 72 autres témoins du procès. Condamné à 23 ans de prison dans une autre affaire, Pinheiro a changé sa version dans le but d’obtenir la réduction de sa peine. La parole isolée de ce coupable, qui a témoigné sans le souci de dire la vérité, est le seul fondement de la sentence contre Lula.
Le juge a ignoré les témoignages favorables à Lula et écarté la preuve d’innocence produite par la défense. Les documents démontrent que l’appartement a toujours été enregistré au nom de l’entreprise OAS Empreendimentos. Les droits économiques de ce bien immeuble ont même été placés par l’OAS dans un fonds de financement d’une grande banque, la caisse Caixa Econômica Federal. Lula est resté seulement pendant deux heures dans l’appartement, pour évaluer s’il allait l’acheter avec ses propres ressources.
Le juge Moro, avec la complicité du Réseau Globo, qui censure toute critique à ses contradicteurs, veut convaincre que Lula aurait attendu jusqu’à 2014 pour recevoir un bien immeuble évalué à US$ 300 mil, comme une soi-disant avance pour des contrats millionnaires de 2008 et 2009, dans lesquels il n’a eu aucune participation. Ensuite, le juge prolonge la peine sous prétexte qu’il y a eu crime de blanchiment d’argent dans une affaire où il n’y a pas eu de transaction financière.
En 2016, les grossières violations de Lava Jato contre Lula ont été portés dans un communiqué individuel au Comité des Droits de l’Homme de l’O.N.U. Les procès contre Lula a toutes les caractéristiques d’un lawfare, c’est à dire la manipulation d’un procès judiciaire afin d’incriminer l’ennemi, en l’occurrence le leader politique le plus populaire de l’histoire brésilienne.
Quoiqu’indigné par l’injustice dont il a été victime, l’ex-président Lula affirme que Sergio Moro et l’opération Lava Jato étaient « condamnés à le condamner », parce qu’ils ont mené toute une campagne de mensonges dans les moyens de communications. « Après avoir menti tant de temps, à tout le pays, ils ne pouvaient pas revenir en arrière, même s’ils n’avaient trouvé aucun acte illégal de ma part, car la mascarade serait devenue évidente », affirme Lula.
L’objectif de la sentence est très évident : empêcher Lula de participer aux élections présidentielles. Cela ne peut se faire que si la sentence de Moro parvient à être confirmée par les instances supérieures, qui commencent déjà à recevoir des pressions pour le faire avant les élections. « Ils ont fait un coup d’état parlementaire pour écarter le PT du gouvernement, mais le coup ne sera pas définitif si j’ai la possibilité de redevenir président par le vote. Et ils ne peuvent pas l’admettre. »
Une sentence et 7 aberrations
Les aberrations de la sentence sont nombreuses, à commencer par le fait que le juge a adopté des thèses différentes de celles indiquées par l’accusation :
1 – Les promoteurs ont dit que la société OAS aurait fait le transfert de l’appartement de Lula en octobre 2009, en tant qu’avance pour une soi-disant faveur prêtée sur 3 contrats signés avec Petrobras. Le juge a dû reconnaître qu’il n’y a pas de preuves du transfert de l’appartement, ni de la participation de Lula aux détournements de Petrobras, mais il l’a quand même condamné par acte inexistant de corruption passive.
2 – Moro dit que l’appartement a été « attribué » à Lula, en lui passant la « propriété de fait », chose qui n’existe pas dans le Droit. Moro affirme que la preuve documentaire de la propriété de l’appartement « n’a pas d’importance » pour le procès pénal. Il se sert d’une expression abstraite pour affirmer sa conviction arbitraire.
3 – Face à la preuve de la défense, Moro a reconnu que la construction de l’immeuble a été financée par un fonds de la Caixa Econômica Federal, qu’il a appelé lors d’une « opération normale du marché immobilier ». De façon contradictoire, dans un autre point de la sentence, il affirme que les travaux ont été payés avec les ressources d’un pot-de-vin, et se sert de cette thèse pour condamner Lula.
4 – L’accusation n’a pas présenté les actes d’office de Lula, relativement aux contrats entre OAS et Petrobras pour expliquer sa thèse comme cela est exigé par la loi brésilienne. Il n’est même pas parvenu à montrer des détournements dans les contrats. La défense de Lula a sollicité des expertises techniques afin d’éclaicir cet aspect, mais le juge a nié la production de cette preuve.
5 – En dépit de la loi, le juge Moro a décidé que l’existence des actes d’office ne serait pas important pour caractériser la corruption de l’agent public : « pour cette configuration il suffit que les paiements soient effectués en raison du poste quoiqu’en échange d’actes d’office indeterminés, à être pratiqués dès que l’occasion se présente », a-t-il décidé.
6 – Dans des décisions précédentes, Moro avait acquitté deux coupables parce que le lien entre leurs biens déclarés illicites et les détournements de Petrobras n’avait pas été prouvé. Mais dans le cas de Lula, il a décidé que la loi n’importait pas, car du fait de sa condition de Président de la république, Lula serait le responsable de tous les détournements supposés, et non seulement de ceux de Petrobras.
7 – Le juge Sergio Moro a aussi condamné Lula pour un soi-disant blanchiment d’argent. Il a décidé que le fait de maintenir l’immatriculation de l’appartement au nom d’OAS avait été le moyen d’oculter la « propriété de fait » et le mouvement des valeurs entre les parties. C’est une sentence kafkaïenne : un crime inexistant de blanchiment d’argent expliquerait la condamnation de l’accusé d’actes de corruption qu’il n’a pas pratiqués.
Cette sentence est une honte pour la Justice brésilienne
La sentence illégale, non-juridique et arbitraire du juge Moro a provoqué la réaction de nombreux juristes et acteurs du droit au Brésil et à l’étranger. Les critiques adressées au juge sont censurées sur le Réseau Globo de communication et dans la plupart des médias. Nous présentons ici quelques unes de ces manifestations, qui ne visent pas exclusivement à soutenir l’innocence de Lula, mais aussi à défendre l’Etat de droit et le procès légal, menacés par l’arbitraire de l’opération Lava Jato.
« Jugement ou farce ? Là où finit le jugement de l’accusé, commence le jugement du jugement et du juge lui-même. (…) En fin de comptes, quand un juge rend au malin son âme de magistrat, il n’enregistre pas ce fait chez le notaire, simplement il rend sa toge, laissant voir la partialité, l’ambition, l’opportunisme et la recherche de la célébrité. Et ils savent bien ce qu’ils échangent. Ils n’ont pas besoin de papiers. Il suffit une mutuelle conviction. »
Álvaro Augusto Ribeiro Costa, ex-avocat général de l’Union, sous-procureur de la République, retraité.
« Surréel : Lula a été condamné pour avoir reçu ce qu’il n’a pas reçu et pour avoir blanchi l’argent qui ne lui a pas été donné… C’est dire que son patrimoine n’a pas crû même d’un seul centime !!! Il n’a reçu aucun bénéfice patrimonial, et pour cela même il n’avait rien à « blanchir »… On peut affirmer, sans crainte d’erreur, que l’ex-président Lula n’a pas un procès pénal juste, et il a été condamné de façon absolument injuste. On l’avait d’abord déclaré criminel, maintenant, aprés coup, ils déclarent avoir trouvé ses crimes. Le tribunal de seconde instance doit absoudre le meilleur président de la République de toute l’histoire de ce pays, mais l’histoire n’absoudra pas ses accusateurs… »
Afranio Silva Jardim, maître en Droit Processuel à l’Université de l’État de Rio de Janeiro.
« Cette décision est une absurdité. C’est un procès pénal d’exception, contenant des vices évidents, et qui caractérisent son objectif politique et non l’application de l’ordre juridique. Les droits fondamentaux et la démocratie sont en train d’être renversés. »
Pedro Estevam Serrano, professeur de Droit Institutionnel à la Pontifícia Universidade Católica de São Paulo.
« Nous sommes devant une phase générale de crises dans nos démocraties, qui se manifeste des manières les plus diverses. Mais celle-ci est une crise singulière, qui devrait susciter la clameur, à commencer par les libéraux. On est aussi devant des formes plus qu’intolérables d’exibitionisme du protagonisme judiciaire, qui comptent sur le consensus public pour légitimer ses actions. Il y a une forme horrible de populisme, qui n’est pas le populisme politique, mais le populisme judiciaire. Et celui-ci (celui de Lava Jato) peut représenter un danger à la culture juridique, qui doit être attentive de manière alarmante afin de protéger sa propre juridiction et la crédibilité même du droit. »
Luigi Ferrajoli, en conférence au Parlement italien.
« Il s’agit d’éliminer de toute dispute électorale, par la voie judiciaire, tout et n’importe quel leader ou dirigeant populaire capable de gagner une élection concurrant contre les candidats des corporations ou autre genre semblable de traitres de la nation engagés à nous endetter à une vitesse singulière, jamais vue auparavant. Pour autant, il suffit de quelques juges, dont les motivations sont passibles d’être manipulées par les services d’intelligence et les gérants des corporations, spécialement celles des médias ; motivations qui peuvente être, par exemple, la peur, le servilisme, des avantages, des promesses ou espoirs de promotions, comodités, aspirations politiques ou le simple désir de célébrité. »
Eugenio Raúl Zaffaroni.
« Cette sentence était plus que prévisible, parce que celui qui s’est positionné à plusieurs reprises comme l’opposant de l’accusé, n’aurait pas pu décider différemment ; ce qui est triste, car on peut voir qu’on a envoyé en l’air la garantie constitutionnelle de l’impartialité de celui qui juge dans le système judiciaire brésilien. »
Bruno Galindo, professeur de Droit Constitutionnel.
« Ce que l’on note dans cette décision, en plusieurs passages, c’est la prévalence d’une vision inadéquate à un juge équilibré et impartial, surtout sur le point où il fait des critiques à la défense, en affirmant qu’elle « a adopté des tactiques assez questionnables, comme celles, dit-il, d’intimidation… », ce qui montre le protagonisme du magistrat, au détriment de l’équidistance qui doit être respectée entre les parties dans les demandes de nature pénale ou de n’importe quel autre branche du droit. Personne n’est au dessus de la loi, ni l’accusé, ni l’accusateur, et encore moins le magistrat. »
Nélio Machado, avocat, membre de l’Institut Brésilien de Sciences Criminelles.
Source: Les Invités de Mediapart