Par Gilad Atzmon |11 NOVEMBRE 2017
Traduit de l’anglais par Alimuddin Usmani
La déclaration Balfour de 1917 est une lettre ouverte datée du 2 novembre 1917 et signée par Arthur Balfour, le Foreign Secretary britannique. Elle est adressée à Lord Lionel Walter Rothschild (1868-1937), figure de la communauté britannique juive et financier du mouvement sioniste.
« Cher Lord Rothschild,
J’ai le grand plaisir de vous adresser, de la part du Gouvernement de Sa Majesté, la déclaration suivante, sympathisant avec les aspirations juives sionistes, déclaration qui, soumise au cabinet, a été approuvée par lui.
Le Gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour le peuple juif et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, soit aux droits et au statut politiques dont les Juifs disposent dans tout autre pays.
Je vous serais obligé de porter cette déclaration à la connaissance de la Fédération sioniste. »
— Arthur James Balfour
Le philosophe et jazzman Gilad Atzmon, qui a rompu depuis longtemps avec le tribalisme pour rejoindre l’universel, a publié récemment un article sur cette déclaration qui a eu un impact considérable sur l’histoire contemporaine :
Dans son livre, Heidegger et “les juifs” (1988), le philosophe français Jean-Francois Lyotard fait remarquer que l’histoire prétend raconter le passé mais, en pratique, s’applique à dissimuler notre honte collective. Les Américains dissimulent l’esclavage et l’agression impériale génocidaire, les Britanniques cachent leurs erreurs coloniales, les juifs [les ressortissants d’Israël sont de citoyenneté israélienne, mais de nationalité juive, ndlr] détournent le regard de tout ce qui aurait pu contribuer à transformer l’histoire juive en une Shoah prolongée. L’historien authentique, selon Lyotard, a pour fonction de dévoiler la honte. Cette semaine marque le centenaire de la déclaration Balfour et aujourd’hui je vais tenter d’aborder votre honte, ma honte, notre honte. Nous essaierons de comprendre ce que l’histoire de la soi-disant «déclaration» Balfour cherche à dissimuler.
Commençons tout d’abord par examiner le document. Il est nécessaire de noter que la soi-disant «déclaration» n’est pas imprimée sur un papier à en-tête officiel du gouvernement britannique. Elle n’est pas signée non plus par le cabinet britannique. Au lieu de cela, c’est une lettre adressée par un louche politicien britannique (le ministre des Affaires étrangères Arthur Balfour) à un britannique juif très riche (Lord Walter Rothschild). En tant que telle, la «déclaration» Balfour est, en réalité, une déclaration à la signification quelque peu limitée. Elle ne fait que «manifester sa sympathie pour les aspirations sionistes».
Pourtant, nous devons admettre que le « monde juif » est parvenu à extraire quelques gouttes de jus de cette déclaration aqueuse. Le « monde juif » interprète cette «déclaration de sympathie» comme un engagement en faveur de leur projet sioniste, raciste et expansionniste, à savoir celui de l’Etat juif. Ils prétendent considérer que cette vague déclaration représente un permis de nettoyage ethnique du peuple indigène qui habite cette terre, c’est-à-dire les Palestiniens. Et, comme si cela ne suffisait pas, la Première ministre Theresa May a manifestement adhéré à l’interprétation sioniste la plus radicale de cette déclaration.
May a annoncé la semaine passée, qu’elle était «fière de notre rôle de pionnier dans la création de l’Etat d’Israël».
Permettez-moi de partager avec vous une partie de l’histoire embarrassante de la Déclaration Balfour. La «déclaration», comme nous le comprenons actuellement, a en fait été rédigée et approuvée par des britanniques juifs avant d’être envoyée à Lord Rothschild.
La Bibliothèque nationale d’Israël révèle ce qui suit :
«Avant que la déclaration soit officiellement présentée à Lord Rothschild par Lord Balfour, le projet a été présenté aux dirigeants juifs de toutes allégeances politiques, aussi bien sionistes que non-sionistes. L’un de ces dirigeants était Sir Philip Magnus, un rabbin réformé et un homme politique britannique auquel on a sollicité l’opinion concernant la déclaration».
Herbert Samuel, le premier Haut Commissaire britannique en Palestine, qui a servi entre 1920 et 1925, était un avide sioniste juif et un proche de Chaim Weizmann qui représente un sioniste pragmatique de premier plan, l’esprit derrière la «déclaration» et qui deviendra plus tard le premier président israélien. De quelle manière les sionistes ont-ils réussi à placer un sioniste juif à un poste aussi crucial et sensible? La réponse est terriblement simple. Ils dirigeaient le spectacle. Nous parlons ici de la domination juive sur les affaires étrangères britanniques qui les concernent, dès le début du 20ème siècle.
Mais étaient-ce vraiment «les juifs», Moshe, Yaakov, Sarah qui dominaient les affaires du Moyen-Orient britannique? C’est peu probable. Il est plus raisonnable de supposer que le destin de l’Empire et ses décisions étaient entre les mains d’une poignée de juifs puissants, comme Lord Rothschild auquel Balfour a, en réalité, adressé la déclaration.
Cette histoire de domination politique juive s’étend bien au-delà des frontières de la Grande-Bretagne. Dans son ouvrage inestimable, The Pity of It All, l’historien israélien Amos Elon suggère que la déclaration Balfour était, au moins en partie, motivée par le désir du gouvernement britannique de gagner le soutien de banquiers américains juifs pro-allemands, afin qu’ils contribuent à pousser les Américains à la guerre.
Elon soutient qu’au début de la guerre, des financiers germano-américains juifs se rangèrent du côté des Allemands et rejetèrent les alliances possibles entre les États-Unis et l’Angleterre. «Jacob H. Schiff, patron de Kuhn, Loeb – à l’époque la plus grande banque privée des Etats-Unis après J.P. Morgan – déclara qu’il ne pouvait pas plus désavouer sa loyauté envers l’Allemagne qu’il ne pouvait renoncer à ses propres parents. Dans une déclaration au New York Times du 22 novembre 1914, il accusa les Britanniques et les Français d’avoir tenté de détruire l’Allemagne pour des raisons commerciales». (The Pity of It All, page 455).
D’après Elon, les Britanniques avaient rencontré un problème juif avec des américains juifs. «Le gouvernement britannique a pris ces développements très au sérieux. Dans un accès de paranoïa, l’ambassadeur britannique à Washington a même soupçonné l’existence d’une véritable conspiration allemande juive aux États-Unis dirigée contre la Grande-Bretagne». (Ibid.)
Grâce à la déclaration Balfour, des banquiers juifs allemands aux États-Unis ont totalement retourné leur veste. Il semble qu’ils aient trahi leur patrie et qu’ils n’étaient plus des patriotes allemands. «La déclaration Balfour de 1917, appelant à l’établissement d’un foyer national juif en Palestine, était motivée, au moins en partie, par le désir du gouvernement britannique de gagner le soutien des américains juifs pro-allemands». (ibid.)
Le message à retenir est plutôt dévastateur. Depuis un certain temps, notre univers est dominé par des intérêts tribaux qui sont étrangers à la plupart d’entre nous. Et, pour une raison quelconque, nous ne pouvons pas vraiment explorer les conditions qui façonnent notre réalité et dictent notre avenir condamné.
Ceci est, en réalité, la signification précise du « pouvoir juif ». Le « pouvoir juif », c’est le pouvoir destiné à supprimer la critique du « pouvoir juif ». Certaines critiques moins sophistiquées d’Israël accusent le sionisme et Israël de diverses actions conspiratrices. Moi, contrairement à eux, j’ai dit à plusieurs reprises qu’il n’y avait pas de conspirations juives. Tout est fait de manière ouverte. La «déclaration» Balfour, adressée à un financier juif, a rapidement été rendue publique. L’Amérique a ouvertement été poussée dans la Première Guerre mondiale pour l’amour de Sion. La nomination d’un sioniste juif, Herbert Samuel, en tant que Haut-Commissaire britannique en Palestine, n’était pas non plus un secret. A l’époque, c’était même un acte qui était sujet à controverse.
Ces événements, à l’époque, étaient aussi clairs que l’action des lobbys juifs contemporains comme l’AIPAC, le CRIF, Le CFI ou le LFI qui poussent ouvertement à des guerres interventionnistes immorales, entraînées par les sionistes, contre l’Iraq, la Syrie, l’Iran et la Libye. Un siècle d’abus constants nous a laissé sans voix. Nous ne savons pas comment faire face à cette menace. Ceci est au coeur de notre honte. C’est ce que l’histoire tente de nous cacher. Cela s’applique à vous et à moi, mais également à Theresa May. Dire la vérité à propos de la Déclaration Balfour, c’est admettre publiquement l’existence de cent ans de solitude des goyim.
Au cours des dernières semaines, les partisans de la solidarité palestinienne ont fait preuve de créativité en produisant de nombreux slogans proactifs. Celui qui a attiré mon attention cette semaine était le suivant : «Déclaration Balfour – 100 ans de nettoyage ethnique». Cette semaine marque, en fait, un siècle de domination sioniste sur la civilisation occidentale. Mais laissez-moi vous dire que les vrais Palestiniens authentiques, ceux qui vivent à Gaza et en Cisjordanie, pourraient être un peu mieux lotis que le reste d’entre nous. Alors que nous sommes souvent dépassés par la sophistication de nos maîtres à Tel Aviv, les Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza et du Liban savent exactement qui sont leurs ennemis; ils les rencontrent dans les barrages routiers, ils reconnaissent les sons de leurs drones. Notre ennemi ici, aux États-Unis, en France et en Grande-Bretagne, est en quelque sorte insaisissable: c’est le sionisme, c’est Israël, ou bien peut-être juste le Lobby? Est-ce vraiment «les juifs», ou bien même le judaïsme? Où est-ce que le judaïsme se termine et où est-ce que la judéité commence? Laissez moi tenter d’ouvrir vos yeux. Ce n’est rien de ce qui précède, et pourtant cela pourrait être également tout ce qui précède et bien au-delà. Le sionisme est une matrice sophistiquée et elle évolue rapidement. Le sionisme, tout comme l’antisionisme juif, lutte pour votre castration intellectuelle. D’une certaine manière, on défie votre opposition avant même que vous puissiez l’énoncer vous-même. Comment se déroule ce processus? On annule votre capacité à agir de manière éthique et rationnelle. On cible votre capacité de survie. Comment? En éradiquant vos racines athéniennes et en les remplaçant par un système régulateur rigide et jérusalémite.
Dans mon récent livre, Being in Time, A Post Political Manifesto, je me penche sur la dichotomie straussienne entre Athènes et Jérusalem. Athènes est l’endroit où nous réfléchissons, Athènes est l’endroit où l’on célèbre la philosophie et l’essentialisme. Jérusalem est la ville de la révélation, où la Torah, les Mitzvoth et les commandements sont acceptés de manière aveugle. Athènes est l’endroit où l’éthique est explorée par le biais du jugement. Jérusalem, de son côté, est l’endroit où l’éthique est remplacée par des lois.
Le sionisme, mes amis, ne peut opérer que dans un univers dominé par Jérusalem. Un monde gouverné par une tyrannie du politiquement correct. Étaient-ce Herzl, Ben Gurion ou Netanyahu qui nous ont imposé de telles conditions tyranniques? Pas du tout, c’est le rôle de la Nouvelle Gauche, des adeptes de la politique de l’identité, des marxistes culturels, des «progressistes», des gens qui adhèrent au collectivisme idéologique. Les gens qui, au nom de la diversité, font taire la majorité. Ceux qui, au lieu de nous unir autour de ce que nous partageons tous, cherchent en fait à nous diviser en particules infinitésimales de symptômes biologiques (couleur de la peau, orientation sexuelle, etc.).
J’ai commencé cette discussion par une référence à Lyotard et à son «Heidegger et “les juifs”». Je conclus en faisant référence à l’enseignement du plus grand Athénien du 20ème siècle : Martin Heidegger.
En opposition aux Jérusalémites du monde entier qui, au nom du politiquement correct, nous disent ce qu’il faut dire et ce qu’il faut penser, Martin Heidegger, l’Athénien, nous a appris qu’éduquer c’est apprendre aux autres à penser par eux-mêmes et à affiner les questions (par opposition aux réponses recyclées).
Il est plus que temps de nous libérer nous-mêmes de notre honte. Il est temps d’appeler un chat un chat. Nous devons maintenant permettre à Aléthéia (la vérité en grec ancien) et au Logos de l’emporter. Nous devons nous émanciper et retrouver notre vraie voix. L’émancipation est l’opposition à la condition oppressive de Jérusalem. Cela représente, une fois de plus, la lutte pour la révélation de l’unité humaine.
Source: http://lapravda.ch/index.php/2017/11/11/la-declaration-balfour-cent-ans-de-solitude-des-goyim/