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23 décembre 2024

Heurs et malheurs de l’insularité


Heurs et malheurs de l’insularité

Manuel de Diéguez

Vendredi 26 janvier 2018

De Jules César à Hitler en passant par Guillaume le Conquérant, Charles Quint, le blocus napoléonien, l’Angleterre avait sans cesse combattu la menace d’une unification agressive du continent face à ses rivages – et voici que, pour la première fois dans son histoire, les Iles britanniques sont assurées de ne jamais plus se trouver attaquées de l’extérieur par un Vieux Monde redevenu ambitieux d’occuper ses arpents par la force des armes. Il en résulte une mutation radicale de la psychophysiologie des civilisations insulaires face aux civilisations continentales.

Avec le Brexit, l’Angleterre croyait avoir découvert le Graal d’un univers nouveau ouvert à ses ambitions, celui de devenir la rivale marchande du continent européen. Dans un premier temps, quel réconfort de savoir qu’il suffira de rejeter l’intrus à la mer pour se retrouver chez soi, entre soi et seul dans son logis. Telle une moderne Perrette et le pot au lait, l’Angleterre a mouliné force projets géopolitiques plus fantastiques les uns que les autres. Elle s’est crue le partenaire privilégié et bien aimé de l’empire américain. La constitution d’un empire anglo-américain bi-céphale n’était-il pas en vue ? C’est pourquoi elle a pris le ton d’une puissance souveraine s’adressant sur un pied d’égalité, et même sermonneur, à une autre puissance souveraine, celle des Etats-Unis d’Amérique.

Mais Donald Trump n’est pas d’humeur partageuse et dans un style purement yankee, il a renvoyé la pauvre Theresa May à ses problèmes insulaires. Loin de la grande espérance des Anglais, l’empire américain n’a tenu aucune des promesses cajoleuses antérieures au Brexit et a même purement et simplement annulé la visite officielle de son représentant à Londres, assortie de l’annulation des fabuleux contrats escomptés.

Dès aujourd’hui, il faut évoquer à quel point l’avenir de l’Europe tout entière sera conditionné par la mutation résultant du Brexit. Déjà les premiers craquements apparaissent entre les Iles britanniques et l’Amérique, alors que les relations entre la Russie et la Chine d’un côté et le reste du monde, de l’autre, tendent à occuper le premier rang.

Débarrassé du cheval de Troie anglais, le bloc européen restant retrouvera-t-il quelques-unes des vertus élémentaires susceptibles de donner à ses citoyens l’impression d’être gouvernés par de véritables dirigeants et non par des valets de l’empire humblement soumis à l’exterritorialité des lois américaines qui jouent le rôle de garrots de nos économies? Dans quel supermarché allons-nous acheter le courage, la dignité, le sens de l’honneur et de l’intérêt national dont les dirigeants d’une Europe d’opérette manquent si cruellement face à l’empire américain depuis 1945? L’histoire de l’Europe d’aujourd’hui sera-t-elle celle d’un siècle de la honte d’un continent?

Car voici que les démocraties se dédoublent et révèlent une face décisive et secrète à cacher au peuple et une face superficielle et anecdotique à raconter sur le mode puéril d’un récit des aventures d’Alice au pays des merveilles. Or, une seule question primordiale se pose à l’Europe, celle de se libérer de l’occupation militaire des cinq cents bases américaines essaimées dans toute l’Europe de Dunkerque à Larnaka depuis soixante douze ans.

Pour cela, il conviendrait en premier lieu de libérer les cervelles des élites dirigeantes de l’esprit de soumission et de démission qui règne désormais partout en Europe et à tous les échelons, tant chez le personnel politique, économique et militaire que dans les médias, principaux vecteurs de l’américanisation de l’Europe. Désincruster la servitude volontaire des têtes devient la condition première de la libération du continent de l’occupation militaire américaine.

Par chance, et paradoxalement, l’espoir revint avec l’élection de Donald Trump à la tête des Etats-Unis. Car les dirigeants européens aiment leur soumission à l’empire, ils s’y sont délicieusement habitués. Et l’habitude est un mol et confortable oreiller. Telles les grenouilles de La Fontaine qui « demandaient un roi« , ils gémissent aujourd’hui du « manque de leadership américain« .

En « même temps », telle l’ambassadrice de France en Russie, ils regrettent, mais pas trop fort, que l’Amérique applique au monde entier l’exterritorialité de ses lois et s’en sert comme d’une arme économique appelée à écraser ses concurrents. Or le « roi » qui est sorti du chapeau des dernières élections présidentielles américaines les insatisfait. En vérité, le Président Trump ne permet pas aux Européens de sauver la face.

Le Président américain ne pouvait rendre à Israël un plus mauvais service que de promouvoir Jérusalem au rang de capitale de la nation du peuple élu, au grand dam de ses alliés continentaux. Car du coup, c’est l’histoire entière de ce peuple qui débarque sur le mode dramatique dans la géopolitique contemporaine et bouleverse l’équilibre institutionnel du Moyen-Orient.

Rappelons brièvement les faits: comme le raconte, Flavius Josèphe, la nation judéenne faisait partie intégrante de l’empire romain et, à ce titre, payait régulièrement tribut à son maître. Puis, soudainement, elle a refusé cette servitude alors légitime et il y a ajouté l’outrage de refuser de vouer un culte à l’empereur romain, dont la statue devait trôner dans le temple de Jérusalem sous la forme d’un simulacrum, c’est-à-dire d’une représentation figurée et symbolique de sa transcendance.

Du coup, Rome a déclaré la guerre à la Judée, a écrasé le peuple judéen et a vendu toutes ses élites, son clergé et ses notables « sub corona » c’est-à-dire sur le marché aux esclaves. Seul le petit peuple est demeuré sur place et s’est ensuite converti à l’islam. Telles sont les raisons pour lesquelles Jérusalem n’est plus jamais redevenue la capitale du « peuple élu« . Lorsqu’au IVe siècle l’empereur Julien, dit l’Apostat, proposa aux immigés juifs devenus très nombreux dans l’empire romain et surtout dans la Ville, de reconstruire le Temple et de favoriser leur retour à Jérusalem, ils ont poliment refusé la proposition de l’empereur.

Mais que nous enseigne de nouveau l’anthropologie critique que j’ai inaugurée sur ce site quatre mois avant le 11 septembre 2001? Primo, quelques semaines avant sa mort, Michel Rocard avait enfin compris que l’insularité était une réalité psychobiologique et que reprocher ce « penchant » à l’Angleterre revenait à reprocher à un arbre d’avoir des racines, un tronc et des branches. Jamais l’Angleterre n’est réellement entrée dans l’Union européenne: sa fonction revenait à présenter à des européens voués à ne jamais s’unir non plus, le breuvage amer des exigences de l’OTAN, c’est-à-dire de l’empire américain.

Secundo, déjà quelques voix s’élèvent pour préconiser un retour de l’Angleterre, au sein de l’ensemble continental. Mais ce que l’anthropologie critique aura permis de comprendre définitivement, c’est que si des insulettes, telles la Sicile, la Corse et demain la Sardaigne revendiquent un nationalisme farouchement folklorique, à plus forte raison le mastodonte britannique restera définitivement une île, mais psychologiquement et économiquement lié à ses voisins, la France, l’Allemagne et aux cent vingt six Etats qui, à l’ONU ont tourné le dos à un Israël censé avoir retrouvé sa capitale du temps de Titus et de Vespasien.

A sa manière, l’Angleterre se heurte à la même difficulté qu’Israël: impossible de faire remonter l’histoire d’une île de son embouchure à son origine. Impossible de refaire des Iles Britanniques l’empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais. Mais comment rétropédaler sans perdre la face? Car une Angleterre de plus en plus frustrée par une insularité en voie d’appauvrissement lorgne déjà vers un continent qu’elle a quitté à son détriment, déjà Londres tente de jeter un pont industriel et commercial nouveau et plus fructueux, espère-t-elle, que le précédent, avec une civilisation appelée à un enrichissement continu.

On peut feindre de l’ignorer ou de l’oublier, mais le flux des siècles écrit l’histoire réelle des nations et ce n’est pas notre faute s’il en est ainsi depuis que le monde est monde: impossible d’écrire l’histoire à l’envers, impossible de faire remonter le temps des nations à la manière d’un fleuve qui remonterait à sa source.

26 janvier 2018

 

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Source : Manuel de Diéguez
http://aline.dedieguez.pagesperso-orange.fr/…
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