TUNISIE : LETTRE OUVERTE A HMIDA ENNAIFER/ Quel est votre rapport aux Frères Musulmans???
21 juin 2018
ITRI : Institut Tunisien des Relations Internationales
LETTRE OUVERTE A HMIDA ENNAIFER/ Quel est votre rapport aux Frères Musulmans???
Publié par Candide le 21 juin 2018 dans Chroniques
Le 14 juin 2018
A l’aimable attention de Dr. Hmida Ennaifer
Je ne sais si vous vous souvenez encore de moi! Nous avons fait connaissance il y a approximativement un demi-siècle, même si nous n’avons pas beaucoup communiqué durant cette longue période. Je ne me souviens pas nous être rencontré plus de quatre ou cinq fois au plus et, à chaque fois, au hasard.
Traduit de l arabe
Parmi ces rencontres, il y a celle qui a eu lieu devant la Poste du 9 avril dans la capitale Tunis, au lendemain des événements du 26 janvier 1978, et une autre dans un magasin de nécessaires de voyage à l’avenue Magenta, dans le 9ème arrondissement parisien, au milieu des années 90 du siècle dernier…La dernière rencontre date du début de 2011. Cette rareté de contact n’a cependant jamais altéré le respect que je voue à votre personne et vous en êtes digne. Je me souviens également vous avoir adressé mes félicitations, depuis le Maroc où je travaillais à l’époque, quand vous aviez fondé la revue 15-21, au début des années 80.
Mais, aujourd’hui, je vous écris à propos d’un sujet qui préoccupe nombreux Tunisiens et qui porte sur la véritable relation entre le mouvement tunisien «Ennahdha» et le mouvement des frères musulmans égyptiens.
Pour qui a suivi de près la naissance des frères musulmans ou «le clan des survivants du feuالفرقة الناجية من النار», au milieu des années 70 du siècle passé, on connaît votre position et on sait que c’est vous qui aviez prêté serment et fait allégeance à l’Organisation internationale, par deux fois, au nom de votre mouvement et que vous auriez même reconnu les faits lors du procès du mouvement de la Tendance islamique à Tunis, au printemps de l’année 1981.
Je me souviens avoir posé la question à feu Salah Karkar, à Paris, en 1992, quand il était président de la Tendance islamique jusqu’à son départ de la Tunisie au printemps de 1987. Je lui avais demandé : «Comment peux-tu quitter le pays alors que tu es le leader de cette aventure ?». Il m’avait répondu que son départ, dans ces conditions, avait comme but de consulter les frères musulmans en Egypte à propos du projet de renversement du régime qu’avait planifié le groupe sécuritaire du mouvement de la Tendance islamique, au début du mois de novembre 1987.
Un autre membre du mouvement m’avait informé, pour sa part, au milieu des années 2000, que le règlement intérieur du mouvement de la Tendance islamique ou Ennahdha comporte un article secret, lu à chaque ouverture d’un congrès, à travers lequel les membres de la mouvance renouvellent leur allégeance à l’Organisation internationale des frères musulmans. Il y a seulement deux années, j’ai demandé à un membre fondateur de la mouvance, -dont je garde l’identité secrète, afin de le préserver de la mitraille de ses frères- si: «l’allégeance des frères musulmans en Tunisie aux frères en Egypte s’est faite en 1974 ou 1975 ? Il a dit : «C’est cela»… » Sans autres détails.
Pourtant, président et dirigeants du mouvement persistent à nier toute relation organique et ne reconnaissent que l’existence d’une relation intellectuelle avec certains symboles ! Ce qui implique une condamnation implicite de ce groupe qui ne mériterait pas une allégeance ou même un quelconque rapprochement, justifiant, de ce fait, sa classification en tant que groupe terroriste par nombreux Etats. Curieusement et aussi paradoxal que cela puisse paraître, une personne comme Mr. Mahdi Jomaâ, ex chef du gouvernement, qui n’est pas connu pour être historien ou particulièrement intéressé par les affaires des mouvements politiques et religieux, a contribué à ce concert, par la négation en affirmant, récemment à Amman : «Nous n’avons pas de frères musulmans en Tunisie» !
Ces derniers temps, on assiste à l’abandon, par le mouvement Ennahdha, de nombreux symboles, dans la mesure où il occulte Abu al-A’la al-Mawdudi, An-Nadwî, Sayyid et Mohamed Qotb dans sa liste de références doctrinales. Sans explication ni justification. C’était le cas, également, avec feu Malek Bennabi, quelques années auparavant, quand la pensée de l’homme s’est avérée en opposition avec celle des frères, dès qu’il a atterri sur le sol égyptien en 1954.
Depuis plus d’un demi-siècle, des groupements internationaux ont vu le jour. Les uns ont réuni des Etats à l’instar du Commonwealth, de l’OTAN, du Pacte de Varsovie. Puis est venue la Communauté des Etats indépendants et l’Organisation de la Conférence islamique. Il y a, aussi, les groupements unifiés selon l’identité religieuse et confessionnelle tels les orthodoxes, les protestants, les évangélistes et d’autres encore qui ont rapproché les mouvements idéologiques comme le sionisme et les partis politiques, (communistes, socialistes, nationalistes), sans oublier les alliances militaires etc. Alors, Qu’est-ce qui empêche une Organisation internationale des frères musulmans d’exister ?!
En Tunisie, depuis des années, une section de l’Union internationale des savants musulmans existe. Elle est présidée par le Dr. Abdelmajid Najjar, que je connais depuis 40 ans, et c’est une union connue, depuis sa création à Dublin, pour être l’aile extérieure du mouvement des frères.
Plus proche de nous, temporellement et spatialement, il y avait le mouvement international des socialistes «L’internationale socialiste» (IS), rejointe par nombreux partis et mouvements politiques venant de toutes les contrées du monde, dont l’ex-parti du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) et l’ex. Mouvement de l’Union populaire (MUP) qui a été succédé par le Forum démocratique pour le Travail et les Libertés (Ettakatol), avec sa modeste base quand l’étoile du MUP s’est éteinte. Et voilà que ce Mouvement international s’effondre totalement.
Pour ce qui est de l’objet de la lettre et la relation d’Ennahdha avec l’Organisation internationale, je n’ai qu’une seule explication rationnelle: Vous avez fait allégeance en votre propre nom et, par la suite, au nom de votre groupe 15/21. Ce qui, dans ce cas, n’engage pas الفرقة الناجية من النارla Jamâa Al-Islamiya, ni le mouvement de la tendance islamique et enfin le mouvement Ennahdha.
J’espère que vous apporterez votre témoignage historique en toute honnêteté et sincérité. C’est que l’une des causes à l’origine de la crise délétère que connaît notre société est, justement, l’absence de la vérité ou plutôt sa dissimulation préméditée, sachant qu’elle constitue, pourtant, l’impératif de notre sauvetage.
Respectueusement
Ahmed Manaï
N.b : Si j’ai choisi la date du 14 juin pour écrire cette lettre, c’est parce qu’elle marque dix ans de la déclaration que j’ai faite sur la chaîne «Al Jazeera Moubacher»– le 14 juin 2008- sur le mouvement Ennahdha qui avait planifié à deux reprises des tentatives de putsch en 1987 et 1991. Faits reconnus par son président Rached Ghanouchi, (que j’ai connu pour la première fois en octobre 1968) dans une communication téléphonique, au lendemain de l’émission, précisément un vendredi 15 juin 2008 à 15h, avec l’espoir que, dans un élan de colère, il reconnaisse qu’Ennahdha est une aile des frères musulmans en Tunisie. Rappelons que Rached avait adressé une lettre de capitulation au président Ben Ali en date du 8 juillet 2008 et qu’il avait émis une fatwa obligeant tous ses affidés a me boycotter totalement, dans le meilleur et dans le pire, -ce qu’on qualifie chez la secte d’arme de destruction massive-. Néanmoins, Rached a quand même fait la démarche pour me rencontrer lors de la campagne électorale de 2014, ce que j’ai refusé.
Sans cesse, je continuerai à témoigner jusqu’à mon dernier souffle.