88 millions de tonnes de nourriture jetées chaque année en Europe
20 septembre 2018
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Actualité 31.08.2018 Sophie Brocard (avec la rédaction)
Chaque année, 88 millions de tonnes de nourriture sont gaspillées dans l’Union européenne. C’est 20 % de l’ensemble des denrées alimentaires qu’elle produit. Le gaspillage alimentaire représente un enjeu de société majeur pour des raisons éthiques, économiques et environnementales.
Photo : Flickr – Crédits : Marie Moalic-Alt.
Etat des lieux du gaspillage alimentaire en Europe
Il n’existe pas de définition unique du gaspillage alimentaire. Mais celui-ci ne doit pas être confondu avec la production inévitable de déchets alimentaires, notamment au long de la chaine de production (os, épluchures de légumes ou coquilles d’œufs par exemple). Actuellement, les chiffres du gaspillage alimentaire en Europe sont alarmants : 20% de la production alimentaire totale de l’UE part à la poubelle pour la modique somme de 143 milliards d’euros, selon une étude du Parlement européen. Ce gaspillage serait à l’origine de l’émission de 170 millions de tonnes de CO2. Rien qu’en France, 10 millions de tonnes d’aliments consommables sont jetés chaque année.
Le gaspillage a lieu sur toute la chaîne de production et de consommation des aliments : exploitations agricoles, bateaux de pêche, industries de transformation, magasins, restaurants, cantines, ainsi qu’à domicile. Au stade de production agricole, de grandes quantités de fruits et légumes ne sont pas mises sur le marché pour des questions d’esthétique ou de normes de commercialisation. Les pertes lors de la transformation par l’industrie alimentaire sont aussi importantes. Le gaspillage par les revendeurs, notamment les grandes surfaces, inclut lui aussi la mise à l’écart de certains produits pour des raisons esthétiques et surtout pour des questions de fraicheur et de date de péremption. Enfin, la restauration collective ainsi que les repas à domicile sont source de pertes dues au surplus d’achat, à l’oubli de nourriture ou encore à une mauvaise planification.
Réduction et valorisation des déchets : que fait l’Europe ?
Un enjeu éthique, économique et environnemental majeur
Dans les Etats de l’Union européenne, l’essentiel de la perte a lieu dans les derniers maillons de la chaîne, à savoir la consommation. Dans les pays en développement, le gaspillage se concentre plutôt dans les premières phases de production, lorsque que le système de transport et de stockage est moins efficace. Ainsi, les consommateurs européens sont à l’origine de 53% des produits jetés, devant la transformation qui y contribue à hauteur de 19%. A l’échelle européenne, environ la moitié des produits gaspillés sont des fruits et légumes, depuis le lieu de production jusqu’au domicile des particuliers. Les restes de repas et le pain sont les plus jetés après les fruits et légumes.
Les causes du gaspillage alimentaire sont nombreuses. La valeur monétaire et symbolique de l’alimentation s’est réduite par rapport aux autres dépenses et activités, tandis que les modes d’alimentation, de rythme de vie et d’organisation des repas ont changé. D’autre part, les pays européens ont une tendance à la surproduction agricole et donc alimentaire, sachant que l’abondance de nourriture dans les commerces, les lieux de restauration, les foyers est valorisée socialement en Europe. Celle-ci reflète la richesse et l’opulence des sociétés, ce qui n’incite pas à une consommation plus raisonnée.
Au-delà de la question éthique que représente le gaspillage alimentaire (on dénombre 6 millions d’adultes en situation d’insécurité alimentaire en Europe) la perte de nourriture représente également un enjeu environnemental et économique majeur. Résorber le gaspillage alimentaire contribuerait ainsi à garantir une meilleure sécurité alimentaire, selon le Parlement européen. L’augmentation de la population européenne, la perception de la finitude des terres cultivables, l’affirmation du droit à l’alimentation et l’augmentation du coût des produits agricoles incite à agir contre le gaspillage alimentaire. Toute forme de récupération peut permettre d’alléger la pression sur les terres agricoles, mais aussi réduire l’utilisation d’eau, d’engrais, de pesticides et d’énergie nécessaires à la production de nourriture qui est finalement jetée.
Quand la faim et la malnutrition augmentent en Europe
Quelles mesures prennent les Etats membres ?
En Europe, la France, la Roumanie et l’Italie ont récemment adopté des législations pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Si les lois prévoient des sanctions et des incitations pour lutter contre ce phénomène, elles permettent surtout de porter l’attention du public sur le sujet, afin de faire évoluer les mentalités et les pratiques.
Adopté en février 2016, la loi française anti-gaspillage est la première du genre en Europe. La France a interdit aux grandes surfaces de rendre leurs invendus impropres à la consommation, notamment en les javellisant, sous peine de sanctions financières. Désormais, les grandes surfaces sont invitées à signer des conventions avec des associations caritatives, afin de donner les denrées qui n’ont pas été vendues. Le texte prévoit également des programmes de sensibilisation dans les écoles.
En mai 2018, un article de la loi Agriculture et Alimentation s’est également attaqué au gaspillage dans les restaurants collectifs et l’industrie agroalimentaire en imposant de recourir aux dons. En août 2016, l’Italie s’est elle aussi intéressée au problème du gaspillage alimentaire. Proche du projet français de 2016, la loi italienne permet notamment de faciliter les procédures bureaucratiques pour les agriculteurs, les industriels et les commerçants qui font des dons d’aliments. Tous les acteurs de la chaîne alimentaire sont désormais contraints de donner les invendus aux associations caritatives, ainsi qu’aux fermes qui récupèrent les denrées pour les animaux ou pour faire du compost. Ils reçoivent des avantages fiscaux en échange.
Enfin, la Roumanie, en octobre 2016, a promulgué une loi qui oblige à brader les produits proches de la date de péremption. Elle incite à l’exploitation maximum des produits en fin de vie, notamment en encourageant l’utilisation animale des produits non consommables par l’homme, ou encore le compostage ou la transformation en biogaz. La loi ajoute des sanctions pour les supermarchés qui ne se conforment pas aux règles : les pénalités oscillent entre 200 et 2 000 euros.
Quelles sont les recommandations du Parlement européen ?
En mars 2017, le Parlement européen a adopté un texte, le « paquet déchets« , pour encourager les Etats membres et la Commission à légiférer sur le gaspillage alimentaire. Celui-ci encourage par exemple le don alimentaire en proposant une réforme pour exonérer les supermarchés de la TVA sur les invendus donnés. Il recommande aussi de rendre obligatoire une tarification variable en fonction de la date limite de consommation des aliments dans les supermarchés. Le Parlement préconise également de hiérarchiser la valorisation des déchets : avant tout prévenir la production de déchets à la source. Si la nourriture arrive au stade ou elle ne peut plus être commercialisée, elle doit être redistribuée pour les hommes, l’élevage ou pour le compostage, en fonction de son état. Enfin le paquet déchets privilégie la valorisation organique pour produire de l’énergie.
Le Parlement insiste sur la nécessité d’informer les Européens à la fois sur le fléau que représente le gaspillage alimentaire, pour que cette réalité soit visible, et les inciter à agir et réduire leurs déchets alimentaires. Il avance l’exemple de l’affichage des dates limites de consommation, pour montrer que des progrès sont réalisables facilement : on considère qu’une mauvaise interprétation par le consommateur de la signification de l’indication de la date de consommation a une incidence significative sur le gaspillage alimentaire à domicile (entre 15 et 33 %, en fonction des études). La mention « date de consommation recommandée » est souvent incomprise : elle indique la date à laquelle l’aliment risque d’avoir perdu en qualité gustative ou nutritionnelle tout en restant consommable sans danger. Or, la moitié des participants à l’eurobaromètre de 2015, repris par le Parlement, déclarent ne pas connaitre la signification de cette mention et considèrent que l’aliment est impropre à la consommation.
Aujourd’hui, la Commission n’a toujours pas proposé de projet de loi complet sur la question, comme le montre un rapport de la Cour des comptes européenne de janvier 2017. La Cour reproche à la Commission de revoir ses ambitions à la baisse, sans prendre en compte l’intégralité du problème à tous les stades de la chaîne alimentaire.