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23 novembre 2024

Voyage dans l’enfer du crack


P ar Alexandre Kauffrnann

Enquête
Publié le 18 Septembre 2018

Ce dérivé de la cocaine est réapparu dans ie nord-est de Paris. « Le Monde » a suivi l’errance des consommateurs du « caillou >>, entre terrains vagues et stations de métro.

Au squat de la Colline, dans le 18e arrondissement de Paris, en2015. PIERRE FAURE / HANS LUCAS

Main tendue, des silhouettes somnambuliques slaloment entre les voitures. Porte de la Chapelle (dans le 18″ arrondissement de Paris), au cæur de 1’après-midi, Marta (tous les noms des toxicomanes et des trafiquants ont été modifiés) a récolté assez d’argent, en deux heures de manche, pour acheter une (( galette » de crack. Soit 15 ouros pour quatre « cailloux >>, correspondant chacun à deux ou kois inhalations dans une pipe. Originaire du Portugal, cette ancienne coiffe-use de.3,2.ans.- qui en a passé dix dans 1a rue -. A 1çq dgnlg g.{}éçg e! un cocard sous l’æil gauche. « Je n’ai pas dormi depuis trois jours.», lâche-t-elle en fi1ant vers le boulevard Ney. Les ÿeux rivés sur le trottoir, elle hoche sans Çesse la tête, febrilement, une attitude que les addictologues appellent le « syndrome de la poule >>. C’est habituel chez les
<< crackeurs >> : victirncs ci’hzüiucinations, ils l’oisiii iieurir des gaiettes au sol.

Marta rejoint la « Colline >>, un terrain en pente situé entre le boulevard peripherique et la bretelle d’accès à l’autoroute du Nord. Quelques tentes de fortune, des fauteuils éventrés, un fil pour étendre le linge. Une trentaine de crackeurs vivent ici de façon permanente. Une centaine y passent quotidiennement pour acheter et fumer des galettes. Une odeur d’urine et de goudron chaud flotte sur I’herbe jonchée d’ordures. tr C’est le seul endroit où tu trouves du caillou vingt-quatre heures sur vingt-quatre », explique Marta.

A peine s’avance-t-elle vers ie squat que quatre << modous >> – dealeurs de crack originaires d’Afrique de l’Ouest – la repèrent. Marta liwe sa « ferraille >>, 15 euros en petites pièces. En échange, un modou lui donne un carré jaunâtre ressemblant à un morceau de parmesan : du crack, un dérivé fumable de la cocaïne, dont l’effet est à la fois plus rapide et plus puissant. La poudre est mélangée à une soiution basique qui permet au principe actif de surviwe au point de combustion.

Après avoir récupéré un << doseur >> – terme hérité de l’époque où les pipes étaient fabriquées avec des doseurs à pastis -, Marta s’accroupit près d’un amas de détritus infesté de rats. El1e passe 1a flamme de son briquet sur le caillou pow le souder au filtre, puis l’embrase tout entier en tirant d’amples bouffées. Ses paupières frémissent sous la charge du produit, qui libère un flot confus de paroles. « Moi, je ne dors pas ici, c’est trop dingue, confie-t-e11e.,I/ n’y a pas longtemps, un pote s’estfait couper une phalange pendant qu’il dormait, comme ça, sons raison… Je squatte à droite à gauche, en attendant de revoir mes deuxfilles, 9 et ll ans… Elles sont placées à Lille. »

Mouvements pendulaires

Une de ses amies, Agnès, nous rejoint sur la Colline. Elle a 29 ans, des jambes squelettiques, une seule dent sur le devant. « Je viens de donner mon cul pour dix balles I se plaint- elle. Le gars m’a d’abord proposé 5 euros. Je lui ai dit non, quand même, y a des limites à
respecter. >» Larcmarque arrache un soupir à Yacine, son compagnon de gaière. A presque 50 ans, il se dit « fatigué de courir après le caillou n. D’autant qu’iln’a plus de chaussures . « On me les a piquées pendant la nuît, regrette-t-i1. Le mieux, pour moi, ce serait de retourner en

prison. J’aurais un toit, de la bouffe. » Ce matin, il a volé des crèmes hydratantes dans un magasin. 11 espère les refourguer à un modou conke une galette. « Les Noirs adorent ce genre de soins pour le visage.», croit-il savoir.

Mendicité, prostitution, erïance :le quotidien des << forçats du caillou » n’a guère changé depuis l’arrivée de cette drogue à Paris, il y a trente ans. D’une pétition de riverains à l’autre, ces toxicomanes ont été repoussés à la lisière nord de la capitale et de la proche banlieue. Evacués au milieu des années 1990 de la place de la Bataille-de-stalingrad, alors considérée comme le principal point de ralliement de crackeurs en Europe, les fumeurs de galette se sont repliés autour des stations de métro Marx-Dormoy et Porte-de-la-Chapelle.

Vite réinvestis, les alentours de la rotonde de Stalingrad ont été à nouveau expurgés au début des années 2000. Cette fàis, les toxicomanes ont trouvé refuge dans des rqoutr géants dans la Seine-Saint-Denis, eux-mêrres fermés à plusieurs reprises. Ces mouvements pendulaires se sont poursuivis jusqu’à la mise en place d’une zone de sécurité prioritaire (ZSP) autour de la place de la Batai!1e-de-stalingrad en2Cl3, qi;i. a précédé d’une année le démantèiement d’un vaste trafic dans une cité, près du bassin de 1a Villette.

Cette pression exercée << en surface » a incité les crackeurs à investir le métro. Ces dernières années, ils ont gagîé des stations jusqu’ici épargnées: Saint-Lazare, Assemblée-Nationale, Montpamasse. Dans le nord-est de la capitale, il est arrivé qu’ils soient si nombreux sur les quais à certaines heures que les rames n’y marquaient plus d’arrêt. L’altercation entre un conducteur de métro et un toxicomane sur la Trgne 12, en décernbr e 2Al7 , a suscité une telle émotion parmi les syndicats et les associations d’usagers que la RATP, la préfecture et le parquet de Paris ont musclé la lutte anticrack avec la création d’un groupe local de traitement de la délinquance (GLTD). Refoulés des rues comme du métro,les consommateurs ne disposaient plus, dès lors, que d’un point de chute : la Colline.

La Iégende de la dépendance immédiate

La fermeture d’un centre local d’aide aux toxicomanes, la Boutique 18, puis celle de plusieurs structures de soutien aux migrants ont contribué à l’afflux de ces deux populations – sans- papiers et fumeurs de caillou – en bordure des voies rapides de la porte de la Chapelle, devenue une sorte de squat à ciel ouvert. A la fin du mois de juin, la Colline a été évacuée pour la dix-septième fois en dix ans. Peine perdue : quelques jours pius tard, les crackeurs étaient de retour. Expulsés de 1’accotement droit de la bretelle d’accès à l’autoroute, ils 1’ont simplanent traversée pour investir le côté gauche.

<< On a tellement caricaturé cette population qu’elle incame aujourd’hui le stade ultime de la déchéance sociale » Catherine Pequart, directrice de 1’association Charonne

Les operations de sécurité se succèdent, les << damnés de la galette » demeurent. En marge des actions répressives, l’accompagnement social des usagers manque de moyens. Lors de l’évacuation de juin, environ quatre-vingts squatteurs ont demandé à bénéficier d’un hébergement – pour seulement cinquante places disponibles. Mais beaucoup d’entre eux n’ont même pas sollicité de prise en charge. Pour les crackeurs habitués à vivre en groupe dans la rue, la perspective de passer une nuit isolé enfe quatre murs peut paraître angoissânte. « Si on veut les aider à retrouÿer une forme d’autonomie, il faut aÿant tout changer notre regard sur eux, dit Catherine Pequart, directrice de l’association Charorure, établissement qui accompagne les toxicomanes parisiens. On a tellement caricaturé cette population qu’elle incarne aujourd’hui le stade ultime de la déchéance sociale. C’est comme si I’on réduisait l’ensemble des alcooliques à tous ceux qui dorment dans la rue. Les consommateurs de crack nous ressemblent plus qu’on ne le pense. Ils obéissent comme tout le monde à des règles de sociabilité, à des interdits, à des liens affectifs… »

Dans l’imaginaire collectif, les fumeurs de caillou ont en effet remplacé les héroïnomanes des années 1970 et 1980. Sous une forme plus caricaturale encore : on les réduit à des êtres sans discernement, liwés à des pulsions animales. La légenrie de ia dépendance immédiate renforce l’idée qu’ils seraient socialement condamnés : une seule bouffée suffirait à les enfermer à jamais dans le piège du crack. « Même si ce produit a unfort potentiel addictogène, le manque instahtané relève du mythe, précise Grégory Pfau, docteur en pharmacie attaché à l’unité d’addictologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Cette légende sert sans doute àfaire peur et à marquer une césure entre « eux » et » nolts ». n Séparation illusoire si l’on songe que le nombre de crackeurs ne cesse d’augmenter depuis une dizaine d’années, touchant une population toujours plus jeune et insérée.

Tradeurs, cinéastes, étudiante de Sciences Po…

En lle-de-France, ils sont environ quinze mille. Quant à l’ensemble des Français, 0,6 o d’entre eux déclarent avoir une expérience du crack, soit dix fois moins que celle de la cocaine. « Il est possible que ce ratio soit sous-estirné, prévient Agnès Cadet-Tairou, médecin responsabie du pôle Tendances récentes à l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) . Le crack a une image si négative que peu de personnes sont prêtes à en reconnaître I’usoge saus ce nom, préférant considérer qu’elles fument de la  » coccîne basée », Qüi désigne exactement le même produit sur le plan chimique. Il peut qinsi être dfficile d’établir des ordres de grandeur dans la hausse de la consommation. n Quelques indicateurs en donnent toutefois la mesure : depuis ZA11,la distribution de pipes à crack a triplé dans les centres franciliens des associations Charonne, EGO et Gaia.

De l’avis général, les galettes ne séduisent plus seulement les ,r »r* junkies sans travail ni domicile. Elles attirent aussi 1es jeunes issus de milieux plus favorisés. Ainsi, dans un centre d’accueil du quartier de 1a Goutte-d’Or, une étudiante de Sciences Po vient régulièrement renouveler sa pipe en verre résistant à la chaleur. Au 2″ district de police judiciaire (DPJ),
dont la compétence s’étend au Nord-Est parisien, un enquêteur voit passer depuis trois ans des consommateurs tradeurs ou réalisateurs de cinéma. Du côté des services de réanimation de l’hôpital Lariboisière, on accueille également davantage d’usagers insérés, en particulier

parmi les adeptes du « chemsex >>, pratique mélangeant sexe et drogues en vogue dans

certains milieux gay. Quant à Khoule, un dealeur sénégalais que nous avons rencontré place

de stalingrad, il affirme dans un français approximatif : « Je iois beaucoup de « bureaucroles.  » ))

Stéphane, 43 ans, responsable d’une agence de tourisme à Paris, fait partie de ces usagers aisés et discrets. Il boit quotidiennement de l’alcool, snif[e chaque sernaine de la cocaihe et s’offlre trois à quatre fois par an une session de « free base », crack « cuisiné » artisanalement par le consommateur. « La galette, Ça reste exceptionnel, dit-il. Les sensations sont très fortes. Fumer un caillou, c’est comme un coup de Taser sur le ceryeau. La première heure, on est un empereur ; la deuxième – au moment de la descente – une vraie merde… » Ily aquelques années, en plus dufree base, Stéphane achetait parfois des galettes à la cité Reverdy, dans le 19″ arrondissement. En géneral,les consommateurs insérés préfèrent s’approvisionner de cette

manière, au pied des ensembles HLM, où le système de deal est fixe, plutôt que dans la rue, auprès des modous.

Dealeurs et marabouts

Avant le demantèlement dii t:a{lc, alr.2074,la cité Reverdy était le premier point d.e r;ente de crack en France, sinon en Europe. Près de trois cents clients y défilaient chaque nuit. Derrière les grilles de la cité, cagoule sur la tête, bombe lacrymogène en main, les dealeurs servaient une fi1e ininterrompue de crackeurs. << Les toxicomanes étaient traités comme du bétail dans uru corta!, se souvient le commandant Fralck F., alors chargé de l’enquête à la brigade des stupéfiants. La distribution était industrielle. Quatre rabatteurs et une dizaine rie guetteurs

patrouillaient autour du point de vente – surnommé le « zoo » à cause des grilles qui l’entouraient, Lafamille à la tête de ce trafic faisait construire une villa de trente-deux pièces au MalL pays dont elle était originaire.,» Vingt-six personnes avaient ensuite été interpellées et200 000 euros saisis.

La fermeture du << zoo » a dispersé les usagers, ce qui les a rendus plus visibles aux yeux des riverains. Elle a également accru la volatilité du trafic en favorisant le retour des modous, ces dealeurs mobiles dont le marché avait été sévèrement amputé par le << réseau Reverdy ». A la différence des vendeurs’de cité, ces trafiquants n’obéissent à aucune hiérarchie. « Nous n’avons pas de chef, mais on se connaît tous entre Sénégalais, confirme Alboury, un modou de 35 ans, actifdans le nord de Paris depuis une décennie. Les vendeurs de rue appartiennent en général à la même confrérie soufie, celle des mourides. Bon, le deal n’est peut-être pas très raccard avec ces préceptes religieux, mais au moins, parmi nous, personne ne touche au crack. C’est une règle d’or. »>

Beaucoup de modous sont formés à cette activité avant même de quitter le Sénégal. Ils apprennent à transformer la cocaihe en crack et à caler des galettes au-dessus de leur glotte, un procédé qui permet de les avaler en cas d’intervention de la police. « On s’entraîne parfois avec des M & M’s I plastronne Alboury. Ilfaut apprendre à les bloquer dans la gorge, puis à les foire remonter en contractant un muscle. Ça devient une habitude. En ce moment, alors que je bois une bière avant d’aller au travail, j’ai trente galettes au fond de la gorge … »

Près de 90 % des modous interpellés n’ontpas de titre de séjour. <t J’ai été plusieursfois en prison, précise Alboury. On m’a même renvoyé au pays. Je suis reÿenu. Mafemme loue un

appartement à Saint-Denis, où sont nos deux enfants. » ll exhibe une ceinture en cuir :

« Depuis la prison, j’ai pris des précautions. Pour 400 euros, un marabout m’a envoyé cette

ceinture du Sénégal. Elle me protège contre la police. n Les modous versent environ un

cinquiàne de leurs bénéfices à des marabouts – le plus souvent extérieurs à la confrérie

mouride – censés les aider dans la conduite de leurs affaires : colliers magiques, don

d’invisibilité, sorts jetés aux enquêteurs .. . « Je vends une trentaine de galettes chaque jour,

poursuit Alboury. Ça me rapporte environ 200 euros. Pas grand-chose vu les risques. Je vais

bientôt arrêter ce business pour trouver un boulot propre. Dans ce métier, on ne dort jamais profondément… ))

Zizanie dans le métro

Depuis 2016,les modous sont traqués dans le métro par un gïoupe spécialisé de la brigade des réseaux franciliens (BRF), treize policiers en civil chargés de lutter conke ce trafic toujours plus mobile. Beaucoup de vendeurs de crack, facilement identifiables dans les couloirs de certaines stations, font à présent leurs affaires à bord des rames afin de déjouer les dispositifs de surveillance. « Les interpellations sont délicates, souligne le capitaine Alexandre V., responsabie de cette unité. Le métro est un environnement confiné, mouvant et électrifié. Tant qu’ils n’ont pas avolé leurs galettes, les modous sont prêts à taut pourfuir. Certains teutent. . même de s’échapper par les voie:s. »

Sur les quais du réseau Transilien de la gare du Nord,par une fin d’après-midi caniculaire, le $oupe d’Alexandre V. a repéré une transaction suspecte. Les poiiciers appréhendent d’a§ord le client présumé – un Géorgien d’une quarantaine d’années, détenteur d’une galette -, puis le dealeur – un Sénégalais à peine majeur, coiffé d’une casquette de base-ball. Le jeune homme n’a pas de papiers sur lui. En revanche, comme la plupart des modous, il possède un passe Découverte (carte de transports en commun), version anonyme du passe Navigo : pour ne pas attirer l’attention, il est préferabie d’avoir un titre de transport en règle.

<< Le crackeur se reconnaît aupremier coup d’æil. 11 a le souffle court, des chaussures pourries et des entailles sur les mains »

Le Géorgien, menottes aux poignets, hurle sur le quai : « J’ai une ordonnance pour la galette de crack ! Vous n’avez pas le droit de me toucher, je travaille pour le Mossad / » Chaque année, la BRF interpelle plusieurs centaines de personnes sur 1es lignes 4 et 12, mais aussi 8 et 9. Les équipages en tenue – ceux de la police et de 1a RATP – jouent, quant à eux, un rôle plus dissuasif. Leur seule présence suffit le plus souvent à éloigner les modous et les

crackeurs.

De l’aveu même d’LINSA-RATP, syndicat monté au créneau à la fin de2017, ces efforts ont permis de réduire les nuisances dans le métro. Il ne reste pas moins facile de s’y procurer un caillou, comme l’attestent les expéditions d’Ashraf, fumeur de crack et indicateur de la police judiciaire depuis quinze ans. Nous lui emboîtons le pas à la station Strasbourg-Saint-Denis, où il vadrouille en quête de modous à piéger. « Il y a deux techniques pour les trouver, professe- t-11- On peut les repérer directement ou suivre un toxico qui mène à eux. Le crackeui se reconnaît au premier coup d’æil. Il a le soffie court, des chaussures pourries et des entailles sur les ma,ins, àforce de couper et de brûler les galettes. »

L’informateur critique au passage notre tenue : « I.es yestes, çafaitJtic. Les crackeurs sonî en tee-shtrt, ils ont toujours chaud ! »

(( Nous n’étions pas tombés sur Pablo Escobar >>

Au bout d’une dizaine de minutes, dans un couloir, il accroche un grand Sénégalais tiré à quatre épingles, qui prétend s’appeler Zono. Son tarif : 20 euros la galette. Ashraf lui demande s’il accepte les Ticket Restaurant . « A la moitié de leur roiru, n, acquiesce le dealeur. Conkairement aux vendeurs de cité, les modous échangent volontieri leurs cailloux contre des vêtements, des recharges de télephone ou même de la nourriture. n Si vous voulez d’autres galettes, textez-moi », conclut Zono en nous laissant un numéro de portable. Ashraf le kansmetka à la police. « Lui, la semaine prochaine, il dort en prison n, prévoit

f informateur, tandis que le modou disparaît au fond de la station.

C’est en s’appuyant sur ce type de renseignements que les enquêtews réussissent à identifier les fournisseurs. Avec, àla clé, un double constat : il n’existe pas d’importation directe de crack en France ; les filières de galettes conduisent toutes à un trafic de cocaine. Les modous l’achètent d’abord en quantités restreintes – au maximum 500 grammes – puis la

« cuisinent » à flux tendus, en fonction de 1a demande. A 1a difference des réseaux structurés de cité, ils ont peu de moyens pour investir.

Si les saisies de crack progressent en région parisienne – seul marché important de France – , elles ne dépassent jamais un demi-kilo. Au 1o district de police judiciaire, chargé des beaux quartiers du nord-ouest de la ôapitale, le record plafonne à 200 grammes : au 2″ DPJ, qui couvre enlre autres ia Colline-, la Goutte-d’Or et Stalingrad, il atteint 400 grammes.

« Il y a un on, en perquisitionnant la chambre d’un modou dans unfoyer, nous aÿons trouvé une virgtaine degalettes et 4 000 euros, dont 2 000 en pièces, se souvient un enquêteur. Autant dire que nous n’étions pas tombés sur Pablo Escobar ! »

« Repousser la tentation >>

Si elles sont mouvantes et dépourvues de hiérarchie, les filières s’étagent souvent de la même manière : gtossistes de cocaine, semi-grossistes, modous-cuisiniers, modous de rue. Le caillou ne circule qu’entre petites mains, dans les branches inférieures du trafic. Quand les services
de police coupent un rameau, il repousse aussitôt ailleurs. C’est pourquoi le crack n’est pas une priorité pour la brigade des stupéf,rants de Paris, dont les enquêtes se concentrent sur les trafics d’envergure. « On s’attaque à [a source, résume le commissaire Christophe Descoms,

à la tête de cette brigade. Plus la cocaïne est disponible – ce qui est le cqs aujourd’hui, surtout avec l’approvisionnement guyanais -, plus le caillou a de chances de prospérer. »

Face à l’augmentation du nombre de crackeurs, la loi française, qui tente de concilier impératifs sanitaires et répressifs, semble atteindre ses limites. Soucieuses d’accentuer le versant préventif de leurs actions, la préfecture d’I1e-de-France et la RATP ont ouvert pour la première fois les portes du métro à des associations d’aide aux toxicomanes. « S’il y a des

progrès dans la prise en charge des usagers, reconnaît Céline Griiion, de Médecins du monde, notre législation reste l’une des plus répressives d’Europe. Le fait de pénaliser I’usage du crock nuit à la prévention, accroît les risques sanitaires et maintient la consommation à un niveau élevé. L’injonction thérapeutique – l’option le plus souvent

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