Crédit photo: Aljazeera
Sandy Tolan
Publié le 29/10/2018 sous le titre Gaza’s drinking water spurs blue baby syndrome, serious illnesses
L’eau contaminée et difficile d’accès – en raison du siège impitoyable par Israël et des ses bombardement des infrastructures – conduit à la mort et à la maladie.
Le médecin mal rasé aux yeux cernés entre dans le pavillon pour enfants de l’hôpital Al Nassar à Gaza. C’est un jeudi soir, presque le week-end. La salle est sombre et étrangement silencieuse, mais on entend de temps en temps les pleurs d’un bébé.
À chaque box, séparé des autres par des rideaux, il y a une image similaire : un bébé est allongé seul dans un lit, relié à des tubes, des fils et un générateur; une mère est assise – témoin silencieux – au chevet du lit.
Le Dr Mohamad Abu Samia, directeur de la médecine pédiatrique de l’hôpital, échange quelques mots à voix basse avec une mère, puis soulève délicatement la robe du nourrisson, révélant une cicatrice sur presque la moitié de son corps résultant d’une opération du cœur.
Au box suivant, il s’occupe d’une toute petite fille souffrant d’une sévère malnutrition. Elle est immobile, son corps minuscule connecté à un système d’assistance respiratoire. Comme l’électricité ne fonctionne que quatre heures par jour à Gaza, le bébé doit rester ici où des générateurs la maintiennent en vie.
« Nous sommes très occupés », dit le médecin débordé. « Les bébés souffrent de déshydratation, de vomissements, de diarrhée, de fièvre. » Le taux de montée en flèche de la diarrhée, la deuxième cause de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans dans le monde, est une raison suffisante pour nous alarmer.
Mais ces derniers mois, le Dr Abu Samia a constaté une forte augmentation des cas de gastro-entérite, de néphropathie, de cancer, de marasme – une maladie liée à une forte malnutrition chez les nourrissons – et de « syndrome du bébé bleu », une maladie qui rend bleuâtres les lèvres, le visage et de la peau et donne au sang la couleur du chocolat.
Le médecin explique qu’auparavant il avait été le témoin d’un « ou deux cas » de syndrome du « bébé bleu » [méthémoglobinémie] en l’espace de cinq ans. Maintenant, c’est l’inverse : ce sont cinq cas en un an.
Quand on lui demande s’il dispose d’études pour étayer ses conclusions, il répond: « Nous vivons à Gaza, dans une situation d’urgence… Nous n’avons que le temps de traiter le problème, pas de procéder à des recherches. »
Pourtant, les chiffres du ministère palestinien de la Santé appuient les conclusions du médecin. Ils montrent un « doublement » des maladies diarrhéiques, atteignant des niveaux épidémiques, ainsi que des pics l’été dernier dans les cas de salmonelles et même de fièvre typhoïde.
Des revues médicales indépendantes et examinées par des pairs ont également documenté une augmentation de la mortalité infantile, de l’anémie et d’une « ampleur alarmante » du retard de croissance chez les enfants de Gaza.
Une étude de Rand Corporation a révélé que la mauvaise qualité de l’eau était une des principales causes de mortalité infantile à Gaza.
En termes simples, les enfants de Gaza font face à une épidémie mortelle d’une ampleur sans précédent.
« Tant de souffrances… », a déclaré le Dr Abu Samia. C’est, dit-il, une question de « vie ou de mort ».
Plusieurs facteurs sont à l’origine de la crise sanitaire, mais les experts médicaux s’accordent sur un coupable : l’eau rare et contaminée de Gaza, en raison du siège économique d’Israël, de ses bombardements répétés d’infrastructures comme les aqueducs et les systèmes d’égout, et d’un aquifère de qualité médiocre qui fait que 97% des puits d’eau potable à Gaza sont en dessous des normes minimales de santé pour la consommation humaine.
Le docteur Majdi Dhair, directeur de la médecine préventive au ministère palestinien de la Santé, a fait état d’une « augmentation considérable » des maladies d’origine hydrique, « directement liée à l’eau potable » et à la contamination par les eaux usées non traitées qui se déversent directement dans la Méditerranée.
Une visite au camp surpeuplé de réfugiés de Shati (ou « La Plage »), à Gaza, permet de comprendre pourquoi. Dans ces lieux, 87 000 réfugiés et leurs familles – expulsés de leurs villes et villages lors de la création d’Israël en 1948 – sont entassés dans un demi-kilomètre carré de structures en blocs de ciment le long de la Méditerranée.
« De l’eau et de l’électricité ? Oubliez cela », dit Atef Nimnim, qui vit avec sa mère, sa femme et deux générations plus jeunes – 19 Nimnims en tout – dans un petit logement de trois pièces à Shati.
L’aquifère de Gaza qui coule de leurs robinets est beaucoup trop salé, presque plus personne n’en boit à Gaza. Pour boire de l’eau potable, le fils d’Atef âgé de 15 ans, empile des récipients en plastique sur un fauteuil roulant et les transporte à la mosquée, où il remplit les récipients de la famille, avec la permission du Hamas.
La plupart des familles, même dans les camps de réfugiés, consacrent jusqu’à la moitié de leur modeste revenu à l’eau dessalée des puits non réglementés de Gaza. Mais même ce sacrifice a un coût.
Contamination fécale
Les tests de l’Autorité palestinienne de l’eau montrent que jusqu’à 70% de l’eau dessalée fournie par une petite armée de camions privés et stockée dans les citernes situées sur le toit des camps, est exposée à la contamination fécale.
Même des quantités microscopiques d’E. Coli [Escherichia coli] peuvent déclencher une crise.
La raison – explique Gregor von Medeazza, spécialiste de l’eau et de l’assainissement à Gaza pour l’UNICEF – c’est que plus le colibac reste longtemps dans l’eau, plus « il commence à croître » et plus il s’aggrave. Cela conduit à une diarrhée chronique, ce qui peut entraîner un retard de croissance chez les enfants de Gaza, comme l’a récemment rapporté un journal médical britannique. Un effet, dit von Medeazza, concerne le « développement du cerveau » et un « effet mesurable sur le QI » des enfants affectés.
La salinité élevée et les niveaux de nitrates de l’aquifère en train de s’effondrer à Gaza – tellement sur-pompée que l’eau de mer y pénètre – sont à l’origine de nombreux problèmes de santé à Gaza. Des niveaux élevés de nitrates entraînent une hypertension et une insuffisance rénale, et sont liés à la montée du syndrome du « bébé bleu ». Les maladies d’origine hydrique telles que la diarrhée infantile, la salmonelle et la fièvre typhoïde sont causées par la contamination fécale – à la fois par l’eau dessalée sur les toits et par les 110 millions de litres d’eaux usées brutes et mal traitées qui se déversent chaque jour dans la Méditerranée.
Parce que l’électricité y est coupée 20 heures par jour, la station d’épuration de Gaza est pour l’essentiel du temps inutile. Par conséquent, une eau brune se déverse dans la mer, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, par de longues conduites au-dessus d’une plage située juste au nord de la ville de Gaza. Pourtant, en été, les enfants continuent de se baigner sur les plages de Gaza.
En 2016, Mohammad Al-Sayis, âgé de 5 ans, a avalé de l’eau de mer mélangée à des eaux usées, ingérant une bactérie fécale qui a entraîné une maladie cérébrale fatale. Mohammad est le premier cas répertorié à Gaza de mort par eaux des égouts.
Pour aggraver les choses : des missiles et des obus israéliens ont endommagé ou détruit des puits d’eau et des pipelines, des puits et des stations d’épuration de Gaza, causant des dommages estimés à 34 millions de dollars. Cela a paralysé la distribution d’eau salubre et propre, aggravant ainsi la catastrophe sanitaire. Le blocus économique israélien a un impact encore plus grand, que le Dr Abu Samia attribue directement à la malnutrition croissante de la région.
Les graves pénuries d’eau et d’électricité, ainsi que la pauvreté croissante, ont détérioré les niveaux de nutrition, a déclaré le Dr Abu Samia.
« Cela affecte les bébés. »
Avant le siège, explique-t-il, il n’avait aucun patient souffrant de malnutrition. Maintenant, il voit fréquemment des enfants atteints d’une maladie nutritionnelle.
« Nous voyons des bébés atteints de marasme » – une maladie nutritionnelle grave. « Ces deux dernières années, le nombre de cas ne fait qu’augmenter. »
Les Gazaouis se souviennent très bien des paroles cyniques du ministre israélien Dov Weissglas en 2006, lorsqu’il avait tristement comparé le blocus à « une réunion avec une diététicienne … Nous devons les rendre beaucoup plus minces, mais pas assez pour mourir ».
Gaza deviendra inhabitable d’ici 2020
Aujourd’hui, mis à part les milliers de morts causées par des missiles, des obus et des balles au cours des trois guerres les plus récentes à Gaza, des enfants tombent malades et meurent des suites d’une eau mauvaise et des maladies infectieuses qui en résultent.
« L’occupation et le siège sont les principaux obstacles au maintien d’une santé publique dans la bande de Gaza », a déclaré une étude publiée en 2018 dans le Lancet, qui cite « des effets importants et néfastes sur les soins de santé. »
Sans une intervention majeure de la communauté internationale – et rapidement – les groupes humanitaires avertissent que Gaza deviendra inhabitable d’ici 2020 – dans à peine un an.
Adnan Abou Hasna, porte-parole de l’UNRWA à Gaza, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, a récemment vu son financement réduit par le gouvernement Trump.
Dans moins de deux ans, dit-il : « Gaza ne sera pas un lieu où vivre. »
Et pourtant, vivable ou pas, la grande majorité des deux millions d’habitants de Gaza n’a nulle part où aller. La plupart essaient simplement de mener une vie aussi normale que possible dans des circonstances extrêmement anormales.
Au crépuscule, une nuit d’été, sur une pointe de roche et de terre au milieu du port de Gaza, cinq de ces deux millions de personnes tentent de profiter de quelques minutes de calme.
Autour d’Ahmad et de Rana Dilly et de leurs trois jeunes enfants, le port vibre de vitalité. Les pêcheurs tirent leurs filets. Des enfants posent pour des selfies sur des blocs de béton brisés et des restes d’armature métallique – vestiges d’un ancien bombardement israélien.
Rana verse du soda à la mangue; Ahmad insiste pour distribuer des gaufrettes au chocolat.
« Vous êtes avec les Palestiniens », rit-il, plaisantant ceux qui rejettent son offre. Leurs trois jeunes enfants grignotent des chips.
Les Dillys ont les mêmes problèmes que beaucoup de familles de Gaza.
Ahmad, un agent de change, a dû reconstruire son magasin en 2014 après qu’un missile israélien l’ait détruit.
Comme la plupart des habitants de Gaza, la famille doit se préoccuper de l’eau salée des robinets et des risques de maladies inhérents à l’eau transportée par camion dont elle dépend. Mais ces problèmes sont peu de choses face à leur désir de se sentir en sécurité et de profiter de moments fugaces de la vie d’une famille normale.
« Je sais que la situation est terrible, mais je veux simplement que mes enfants aient un peu de changement de temps en temps », avoue Ahmad. « Je veux qu’ils voient quelque chose de différent. Je veux que ma famille se sente en sécurité. »
Au loin, une explosion fait écho. Ahmad fait une pause pendant un court moment, puis l’ignore. Il conclut : « Je viens ici à la mer et j’oublie tout le reste du monde. »
Sandy Tolan
Sandy Tolan est l’auteur du best-seller international The Lemon Tree et du célèbre livre Children of the Stone, sur le rêve d’un Palestinien de créer des écoles de musique sous l’occupation militaire israélienne. Il est professeur à la Annenberg School for Journalism and Communication de l’Université de Californie du Sud.
Original: Aljazeera
Traduction : Chronique de Palestine
Comment résoudre la catastrophe de l’eau contaminée à Gaza
À peine 3% des puits d’eau potable de Gaza sont propres à la consommation humaine et la crise de l’eau fait des victimes. En ce qui concerne la survie à Gaza, une eau potable saine et propre ne figure pas en tête de la liste des priorités de Mousa Hillah.
Depuis la guerre de 2014, Hillah, connu des voisins et de la famille sous le nom d’Abou Ali, a des inquiétudes bien plus graves, profondément ancrées dans le visage épuisé de ce grand-père âgé de 48 ans.
Évitant les tirs d’obus de chars israéliens, il s’est sauvé avec sa famille après la destruction de son quartier de Shuja’iyya, écrasé par Israël dans une attaque si dévastatrice – 7 000 obus en à peine une heure – qu’elle a étonné même les responsables de l’armée américaine. (« Saint bejeezus ! » s’exclama un général à la retraite.)
La famille s’est réfugiée pendant des mois dans la maison d’un beau-frère au bord de la mer, avec 50 autres personnes. À leur retour, Abou Ali a retrouvé sa maison – celle qu’il avait construite après 30 ans de travaux de construction en Israël – complètement détruite.
Brique par brique et planche par planche, il la reconstruisit, ornant son entrée principale – dose d’ironie mordante – avec des obus de chars réutilisés.
Et maintenant, alors qu’il est assis dans la lumière filtrée du matin sous un réseau de feuilles de vigne, il s’inquiète moins pour l’eau potable que du drone israélien qui bourdonne au-dessus de sa tête – souvent le signe annonciateur d’une prochaine attaque.
« Je veux pouvoir dormir en toute quiétude », dit Abou Ali, alors que sa famille se réfugie à l’intérieur de la maison reconstruite. « Je ne me sens pas en sécurité chez moi. »
Ainsi, l’eau saumâtre et non potable qui jaillit de son robinet, ou l’eau douce avec une possible contamination fécale stockée dans son réservoir sur le toit, sont les questions d’Abou Ali dans la catégorie des nuisances extrêmes.
Ce matin même, par exemple, l’électricité n’a été fournie que de 6h30 à 8h30.
Abu Ali s’est plaint avant que le camion de livraison d’eau n’arrive : « C’est trop tard pour pomper l’eau sur le toit ».
La pénurie d’eau potable est une préoccupation majeure, mais il est clair que l’inquiétude suscitée par le bourdonnement du drone passe avant tout.
La catastrophe de l’eau à Gaza
Pourtant, si la bande de Gaza devient véritablement « inhabitable » d’ici 2020, comme le prédisent l’ONU et des groupes humanitaires, ce sera en grande partie à cause de l’effondrement total du système d’approvisionnement en eau potable et de traitement des eaux usées, responsables de maladies.
Des études médicales indépendantes examinées par des pairs ont également documenté une augmentation alarmante de l’anémie et de la mortalité infantile. Et les médecins des hôpitaux de Gaza signalent maintenant un nombre accru de cancers pédiatriques.
Pendant des années, ces tourments ont semblé être isolés du monde extérieur par des successions de clôtures, de portes verrouillées, de patrouilles de drones et d’avions de combat israéliens, ainsi que par le dédain et l’indifférence de la communauté internationale.
Maintenant, enfin, de Washington aux capitales européennes, et même dans l’infrastructure sécuritaire israélienne à Tel Aviv, des sonnettes d’alarme retentissent, avertissant qu’il faut faire quelque chose pour empêcher la catastrophe de l’eau à Gaza de devenir incontrôlable.
« Si vous voulez vraiment changer la vie des gens, vous devez d’abord résoudre le problème de l’eau », a depuis Gaza déclaré Adnan Abu Hasna, le porte-parole de l’agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens à Gaza.
Comment la crise de l’eau a-t-elle commencé ?
La crise a essentiellement commencé avec la création d’Israël en 1948, lorsque des centaines de milliers de Palestiniens ont été chassés de leurs villes et villages et que la population de Gaza a quadruplé en quelques semaines.
Aujourd’hui, les trois quarts des deux millions d’habitants de Gaza sont des réfugiés. Les descendants [des réfugiés de 1948] exercent une pression immense sur l’aquifère de Gaza, l’amenant si bas que l’eau de mer y pénètre.
Ce qui accroît la pression sur l’aquifère, ce sont les milliards de litres pompés par l’industrie des agrumes de Gaza, maintenant en récession, et les milliards de plus par les colons israéliens de Gaza, qui ont largement contribué à épuiser une poche d’eau douce avant qu’Israël ne les fasse partir en 2005.
Maintenant, à peine 3% des puits d’eau potable de Gaza sont propres à la consommation humaine.
L’aquifère est gravement contaminé par les nitrates, causant des maladies résultant de l’utilisation de pesticides et des eaux usées qui s’écoulent librement, car la station d’épuration de Gaza est fermée par manque d’alimentation électrique.
Et l’eau potable dessalée utilisée par les deux tiers des habitants de Gaza, selon des tests effectués par l’Autorité palestinienne de l’eau, est sujette à la contamination fécale, provoquant davantage de maladies et faisant peser un risque grave sur la santé des enfants de Gaza.
Le bombardement par Israël des infrastructures de distribution d’eau – y compris des puits, des citernes, des pipelines et des stations d’épuration – lors de la guerre d’agression de 2014 – a aggravé la situation.
En théorie, un accord de paix général aurait pu éliminer les problèmes en reliant Gaza à la Cisjordanie, où le vaste aquifère de montagne est assez grand pour résoudre la crise de l’eau à Gaza.
En l’état, il n’y a pas de paix. Les deux territoires sont éclatés et Israël contrôle impitoyablement toutes les ressources en eau, du Jourdain à la Méditerranée.
Face à cette crise sanitaire, les experts, responsables politiques, responsables humanitaires et simples Gazaouites doivent débattre du meilleur moyen de sortir de la catastrophe de l’eau à Gaza.
« Volé par les Israéliens »
« Nous disposons de 15% de nos ressources en eau et le reste est volé par les Israéliens », a déclaré Mazen Al Banna, vice-ministre de l’autorité des eaux du gouvernement du Hamas.
Au moment où il s’exprime, une ambulance sirène hurlante et un cortège funèbre lent et triste passent devant le bureau du ministre à Gaza-Ville – en mémoire des trois Gazaouis tués dans des attaques aériennes israéliennes la veille.
Il y a des décennies, Israël s’est accaparé le fleuve Jourdain et a redirigé une grande partie de son flux vers les équipements de son opérateur national de l’eau.
Tout aussi important, Israël contrôle l’aquifère de montagne, en vertu des accords d’Oslo qui interdisent aux Palestiniens de forer des puits – même si l’aquifère se trouve presque entièrement sous le sol de la Cisjordanie.
« Et cela va à l’encontre du droit international », dit Al Banna. « Je parle des droits palestiniens sur l’eau. C’est très important. »
Cependant, défendre les droits des Palestiniens à l’accès à l’eau équivaut à débattre du Droit de retour des réfugiés palestiniens. Cela peut être inscrit dans le droit international, mais cela reste une perspective lointaine et incertaine dans la réalité politique actuelle.
Au lieu de cela, les ministres du Hamas et tous les autres habitants de Gaza doivent faire face au siège économique en cours imposé par Israël, qui a restreint la circulation des produits de première nécessité, notamment des fournitures médicales et des éléments essentiels pour les infrastructures d’approvisionnement en eau.
« L’occupation et le siège sont les principaux obstacles au maintien de la santé publique dans la bande de Gaza », a déclaré une étude publiée en 2018 dans le Lancet, qui cite « des effets importants et néfastes sur les soins de santé. »
Selon un rapport publié en 2017 par le groupe israélien de défense des droits de l’homme, B’tselem : « Pendant le siège, le système de santé s’est encore détérioré en raison du manque d’équipements médicaux, de médicaments et de véhicules de secours et en raison des coupures de courant prolongées et fréquentes. »
Le siège israélien restreint considérablement les mouvements des personnes et des équipements à destination et en provenance de Gaza – y compris les matériaux à « double usage » qui, selon l’occupant, pourraient servir à des fins tant civiles que militaires.
C’est une raison directe du fait que près de la moitié de la population est au chômage et qu’un nombre croissant de Gazaouites – maintenant plus des trois quarts de la population – dépendent de l’aide humanitaire.
Le blocus a également retardé la mise en place d’infrastructures vitales d’approvisionnement en eau – dans certains cas pendant des années.
Une usine de dessalement proposée pour la ville de Gaza, par exemple – l’une d’une série d’usines proposées – a été retardée depuis 2010 en raison de restrictions sur la double utilisation.
« Bientôt huit ans », déclare Yasmin Bashir, coordinateur du projet pour le service d’eau de la municipalité côtière de Gaza. « Nous avons reçu le financement en 2012. Cette usine est censée servir les personnes qui souffrent d’eau de mauvaise qualité et à haute salinité. »
Pendant des années, Bashir a continué à soumettre « une longue liste » de matériaux à l’approbation d’Israël, y compris des tuyaux, des pompes et des pièces de rechange pour l’usine de dessalement.
« Mais à cause du blocus et de la fermeture fréquente des accès, cela a retardé l’entrée de matériel à Gaza. »
Et ce n’est qu’un projet.
« Nous gérons plus de 25 projets à ce jour », a ajouté Bashir.
Maintenant, même des voix au sein de l’armée et de l’infrastructure sécuritaire israéliennes lancent des avertissements.
Selon un rapport publié en 2017 par l’Institut d’études sur la sécurité nationale d’Israël, « les sévères limites d’accès et de déplacement imposées par Israël et l’Égypte ont entravé les travaux de réparation et de reconstruction post-conflit ».
La longue liste d’articles à double usage fixée par Israël, selon le rapport, « comprend 23 articles essentiels » nécessaires au secteur WASH de Gaza (eau, égouts et hygiène), « tels que des pompes, du matériel de forage et des produits chimiques pour la purification de l’eau ».
Le dessalement est-il la solution ?
Un consensus se dégage actuellement entre l’Autorité palestinienne, l’ONU, les donateurs internationaux et même, semble-t-il, l’armée israélienne, en vue de créer un réseau de grandes usines de dessalement et d’assainissement.
Cette solution coûte au moins 500 millions d’euros et serait au mieux utilisable d’ici plusieurs années, si jamais elle voit le jour.
« Bien sûr, Gaza a besoin de ce projet », a déclaré Rebhi al Sheikh, ancien vice-ministre de l’Autorité palestinienne [AP] de l’eau à Ramallah.
D’autres critiquent une solution de développement démesurée et coûteuse qui représente une technologie inappropriée pour une population appauvrie qui aurait du mal à supporter le coût de l’eau dessalée.
« Les plans fantastiques », explique Clemens Messerschmid, un hydrologue allemand basé à Ramallah, ne tiennent pas compte du fait que « Gaza ne peut se le permettre. Vous ne pouvez que commencer à pleurer si vous regardez le PIB ».
Il affirme que les entrepreneurs extérieurs, y compris en Israël, seraient les principaux bénéficiaires du programme de dessalement.
Selon Messerschmid, la quantité d’eau que l’usine produira ne suffira peut-être pas à satisfaire les besoins de Gaza. « Vous n’atteignez pas ces quantités dans des conditions réalistes à Gaza ».
Pourtant, le plan de dessalement semble prendre de l’ampleur.
Les agences humanitaires, les gouvernements étrangers et même, semble-t-il, un comité d’intervention d’urgence de l’armée israélienne se joignent aux préoccupations de l’AP concernant la crise de l’eau à Gaza.
Dans un document de « réponse d’urgence à Gaza », distribué à des « amis, amis et collègues », l’armée israélienne appelle à « une réponse humanitaire immédiate » pour « améliorer l’approvisionnement en énergie » et « accroître l’accès à l’eau potable » à Gaza.
Malgré la poussée générale vers le dessalement, une usine pilote dans le sud de Gaza peine à fonctionner.
Une visite en plein midi vers la fin de l’été a révélé une station sans activité. Les oiseaux piaillaient dans les structures du bâtiment : pas d’alimentation électrique…
« Nous n’en avons pas plus de quatre heures ces jours-ci », a déclaré le directeur de l’usine, Kamal Abu Moamar. « Mais nous espérons. »
Il attend de ses supérieurs, les ministres de l’Autorité palestinienne, qu’ils résolvent le problème. « Mais nous ne savons pas comment ni quand. »
Même si les usines sont construites, rien ne garantit qu’elles resteraient debout. Certains responsables se demandent si Israël déciderait de bombarder les usines de désalinisation lors de la prochaine guerre contre Gaza, tout comme il a bombardé la centrale électrique de Gaza et d’autres infrastructures essentielles lors des précédentes guerres.
« Personne ne peut dire à Israël qu’il fait ce qu’il ne doit pas faire », dit Al Banna, du mouvement Hamas. « Israël n’a que faire du droit international et personne ne peut empêcher Israël de faire tout ce qu’il veut. »
Dans le document « Emergency Response », l’armée israélienne approuve le plan de dessalement de Gaza, mais n’a jusqu’à présent offert aucune garantie de ne pas cibler ces installations lors de la prochaine guerre.
Al Jazeera a contacté un porte-parole de l’armée israélienne une douzaine de fois, mais n’a pas reçu de réponse à la date de publication.
La question a donc été posée à Gregor von Medeazza, expert en eau et assainissement de l’UNICEF à Gaza : « Dans ces conditions, l’investissement de centaines de millions de dollars pris sur les fonds de donateurs ne représentait-il pas un risque trop important ? »
« Toute infrastructure court un risque », a-t-il déclaré, « [Mais] quelle est la voie à suivre ? »
Au-delà des frontières de Gaza
Les autres risques abondent, à la fois avec l’eau de Gaza et ses eaux usées qui se jettent à la mer à un rythme de 110 millions de litres par jour.
Ces risques vont bien au-delà des frontières de Gaza et se dirigent vers le nord à cause des courants.
Gidon Bromberg, directeur d’Ecopeace Middle East, basé à Tel Aviv, a déclaré que les eaux usées de Gaza entraînaient la fermeture des plages israéliennes et, à un moment donné, la fermeture de l’usine de dessalement d’Ashkelon, qui fournit 15% de son eau potable à Israël.
Bromberg a déclaré que les Israéliens ne pouvaient pas continuer à ignorer la catastrophe humanitaire à Gaza.
Il a qualifié cet effet de « bombe à retardement » et a mis en garde contre une épidémie de pandémie – conséquence directe de la contamination de l’eau venue de la bande de Gaza.
Si cela se produit, dit Bromberg, les habitants de Gaza pourraient se rendre à la clôture israélienne, et pas « avec des pierres ou des roquettes », mais « avec des seaux », exigeant de l’eau propre.
« Dieu nous en préserve, si l’armée de l’un ou l’autre côté, Israël ou l’Égypte, commence à tirer sur des gens qui s’approchent de la clôture, désespérés d’avoir de l’eau potable. »
Sandy Tolan est l’auteur du best-seller international The Lemon Tree et du célèbre livre Children of the Stone, sur le rêve d’un Palestinien de créer des écoles de musique sous l’occupation militaire israélienne. Il est professeur à la Annenberg School for Journalism and Communication de l’Université de Californie du Sud.
Traduction : Chronique de Palestine