Par Ramzy Baroud (revue de presse : Chronique de Palestine – 5/11/18)*
Lorsque le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a ordonné à son armée de mener le 12 novembre une opération limitée dans la bande de Gaza sous blocus, il n’a certainement pas anticipé que son aventure militaire déstabiliserait son gouvernement et menacerait la survie même de sa coalition d’extrême-droite.
Mais il l’a fait, d’autant plus que de nombreuses enquêtes de police menées dans diverses affaires de corruption impliquent la famille de Netanyahu et ses plus proches collaborateurs.
Suite à l’opération bâclée à Gaza qui a entraîné l’assassinat de sept Palestiniens et la mort d’un commandant de l’armée israélienne, la coalition de Netanyahu a commencé à se désagréger, ne nécessitant qu’un dernier coup de pouce pour qu’elle ne s’effondre complètement.
Tout a commencé avec la démission du ministre de la Défense du pays, Avigdor Lieberman, qui a quitté son poste deux jours après l’attaque de Gaza, en signe de protestation contre la « reddition » du pays face à la résistance palestinienne.
Naftali Bennett, le leader d’extrême droite encore plus extrême, devait saisir l’occasion et faire de même. Il n’est pas passéà l’acte, dans un geste calculé visant à capitaliser sur le fait qu’il était soudainement devenu celui qui peut faire ou défaire le gouvernement.
La coalition de Netanyahu, jadis stable, ne tient plus qu’à un fil, avec le soutien de seulement 61 membres à la Knesset.
Cela signifie que la majorité autrefois confortable dont disposait la coalition dépend désormais d’un seul député. Un faux pas, et Netanyahu pourrait se voir contraint de procéder à des élections anticipées, choix qu’il craint, du moins pour le moment.
Les options de Netanyahu sont de plus en plus limitées. Il semble que l’époque où l’on pouvait frapper Gaza impunément pour marquer des points politiques vis-à-vis des électeurs israéliens soit peut-être révolue.
Alors que de nombreux commentaires politiques sont consacrés à l’avenir de Netanyahu et à la sale politique de sa coalition d’extrême-droite, le nouveau problème d’Israël dépasse de loin la question d’un seul individu.
La capacité d’Israël à remporter des guerres et à traduire ses victoires en concessions politiques imposées aux Palestiniens et aux Arabes a été considérablement entravée. Ce fait n’a guère à voir avec la « faiblesse » supposée de Netanyahu, comme le prétendent ses détracteurs israéliens.
Certains politiciens israéliens, cependant, refusent toujours d’accepter que le paradigme de la violence a changé.
Presque chaque fois qu’Israël a attaqué Gaza par le passé, sa politique interne intervenait largement dans la décision. Gaza a été utilisée comme un terrain où Israël pouvait « rouler des mécaniques » et exposer ses dernières technologies en matière de guerre.
La guerre de 2014 – baptisée « Operation Protective Edge » – avait toutefois constitué un signal d’alarme pour les dirigeants israéliens trop confiants.
Plus de 2300 Palestiniens ont été tués dans cette guerre et plus de 17 000 ont été blessés, dont la grande majorité étaient des civils.
Bien que ces chiffres soient en parfaite cohérence avec le comportement violent d’Israël, le nombre de victimes israéliennes indiquait une tendance qui changeait. Soixante-six soldats israéliens ont été tués dans cette guerre et seulement quelques civils, ce qui prouvait bien que la résistance palestinienne abandonnait l’aspect hasardeux de ses tactiques passées et était devenue plus audacieuse et plus sophistiquée dans ses moyens et ses pratiques.
Les quatre années qui ont succédé à cette guerre, combinées à une phase particulièrement dure du siège imposé à Gaza depuis 2007, n’a pas changé l’équation. En réalité, les combats qui ont été déclenchés par la dernière attaque israélienne ont encore accentué cette nouvelle tendance.
Alors qu’Israël pilonnait Gaza dans une campagne de bombardement massive, les combattants de Gaza ont filmé une attaque exceptionnelle où étaient utilisés des missiles antichars qui visaient un autobus de l’armée d’occupation du côté israélien de la clotûre.
Quelques heures plus tard, une trêve, sponsorisée par l’Égypte a été annoncée, permettant à Netanyahu de respirer tout en remplissant de joie les Palestiniens qui se sont alors rassemblés par milliers pour célébrer la fin des combats.
Compte tenu des puissances militaires disproportionnées et de la situation humanitaire désespérée à Gaza, il est parfaitement logique que les Palestiniens perçoivent cet aboutissement comme une « victoire ».
Les dirigeants israéliens, non seulement d’ultra-droite mais également de « gauche », ont attaqué Netanyahu, qui avait pourtant compris que la poursuite des combats conduirait à une autre guerre majeure avec des résultats imprévisibles.
Contrairement à Lieberman, Bennett et d’autres, la stratégie politique de Netanyahu ne consiste pas seulement à vouloir calmer l’opinion israélienne en colère – de nombreuses personnes ont protesté contre la trêve à Gaza dans diverses régions du pays.
Le Premier ministre israélien a une double perspective politique : s’efforcer de séparer politiquement Gaza de la Cisjordanie et maintenir un degré de « stabilité » qui donnerait le temps et l’espace nécessaires aux manœuvres politiques américaines pour préparer ainsi-nommé « Deal of the Century » de Donald Trump.
De plus, les difficultés grandissantes d’Israël en Syrie et au Liban rendent une opération militaire prolongée à Gaza assez dangereuse et difficile à soutenir.
Mais la pression sur le front intérieur est implacable.
Soixante-quatorze pourcents des Israéliens sont « insatisfaits » de la performance de Netanyahu dans la dernière vague de combats à Gaza, selon un sondage publié par la télévision israélienne, peu après l’annonce de la trêve.
Pourtant, Netanyahu n’avait pas d’autre choix que de s’engager dans un cessez-le-feu à Gaza, ce qui dans la logique politique israélienne, signifie qu’il doit susciter des troubles ailleurs pour envoyer un message de force et de compétence à l’opinion inquiète.
C’est précisément pour cette raison que Netanyahu a renouvelé ses menaces de nettoyage ethnique de la population de Khan al-Ahmar en Cisjordanie occupée.
« Il sera démoli très bientôt », a-t-il déclaré, dans le but de détourner l’attention de Gaza vers un autre sujet et de regagner la confiance de son camp d’extrême-droite.
Alors que les Gazaouis gagnent un répit indispensable, même s’il est passager, les habitants de Khan al-Ahmar vont désormais devenir la cible principale de la violence politique et du chauvinisme d’Israël.
La question est de savoir combien de temps Israël sera capable de maintenir ce paradigme violent et jusqu’où devra-t-il aller avant que la communauté internationale ne demande des comptes à Tel-Aviv ?
En ce qui concerne les Palestiniens, Gaza a démontré que seule la résistance, populaire ou non, fonctionne. C’est le seul langage qu’Israël comprenne, et qui dit que l’âge des guerres faciles est révolu.
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son prochain livre est «The Last Earth: A Palestine Story» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
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Version originale : RamzyBaroud.net –
Traduction (source) : Chronique de Palestine – Lotfallah