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19 décembre 2024

Explosion en Russie: des produits de fission dans le panache radioactif


 

 

Explosion en Russie: des produits de fission dans le panache radioactif

Interrogations et contradictions vont croissant autour de l’explosion qui a provoqué sept morts et la formation d’un panache radioactif. Rosguidromet a révélé la présence de produits de fission mais sans publier de chiffres. La mise au point d’un système de propulsion nucléaire pour des missiles reste à confirmer mais ne laisse pas d’inquiéter.

 

 

Les informations publiées par Rosguidromet

Rosguidromet est le nom du service fédéral russe d’hydrométéorologie et de surveillance de l’environnement. Il s’agit d’une agence publique qui dépend du Ministère des ressources naturelles et de l’écologie de la Fédération de Russie (http://www.meteorf.ru). Cet organisme publie régulièrement des bulletins sur les pollutions accidentelles et les modifications de l’état radiologique de l’environnement enregistrées sur le territoire russe.

Au cours des 15 derniers jours, la CRIIRAD avait vérifié à plusieurs reprises le site de cette agence sans y trouver ni l’identité des radionucléides dispersés par l’explosion du 8 août, ni leurs concentrations dans l’air de Severodvinsk où une forte augmentation du débit de dose ambiant avait été enregistrée ce même jour.

Le bulletin publié le 26/08/2019 apporte un premier niveau de réponse. Il couvre la période allant du 8 au 23 août 2019 et le 3ème paragraphe traite de l’impact de l’explosion. Il indique que suite à l’élévation, importante et brève, du niveau de rayonnement ambiant dans la ville de Severodvinsk, les équipes de Rosguidromet ont été placées en niveau d’alerte élevé pour surveiller la situation radiologique dans la région d’Arkhangelsk. Différents échantillons ont été analysés par spectrométrie gamma[1] : des filtres qui ont piégé les aérosols radioactifs présents dans l’air et des échantillons destinés à évaluer les retombées au sol.

Les prélèvements effectués à Severodvinsk ont indiqué la présence de plusieurs radionucléides artificiels :

  • du strontium 91 (91Sr) dont la période radioactive[2] est de 9,5 h et qui produit de l’yttrium 91 (91Y) radioactif avant d’aboutir à du zirconium 91 stable (non radioactif) ;
  • du baryum 139 (139Ba) dont la période radioactive est de 1,4 h, dont la désintégration produit du lanthane 139 stable.
  • du baryum 140 (140Ba) dont la période radioactive est de 12,8 jours, associé à son descendant [3], le lanthane 140 (140La) dont la période est de 1,7 j et qui se désintègre sur le cérium 140 (stable)..

Ces radionucléides sont issus de la désintégration de produits radioactifs qui n’ont pas été détectés car il s’agit de gaz rares qui ne sont pas piégés par les filtres à aérosols : le krypton 91, le xénon 139 et le xénon 140. Ces radionucléides sont produits par des réactions de fission nucléaires (éclatement en deux fragments très radioactifs d’un noyau lourd (en général de plutonium ou d’uranium) sous l’effet d’un projectile, le plus souvent un neutron).

La présence dans l’air de ces radionucléides émetteurs de rayonnements bêta et/ou gamma est responsable de l’augmentation du niveau de rayonnement ambiant enregistré le 8 août à Severodvinsk. Le communiqué de Rosguidromet apporte ainsi un démenti final aux affirmations initiales du ministère de la Défense russe sur l’absence de toute contamination. 

Rosguidromet précise que ces radionucléides artificiels ne sont plus détectés, ni dans les aérosols, ni dans les retombées radioactives dans les villes de Severodvinsk et Arkhangelsk. Ce n’est pas étonnant car les simulations réalisées par le CRIIRAD montraient que le panache radioactif avait d’abord été entraîné vers l’est, puis vers le sud, s’éloignant assez rapidement du secteur de Severodvinsk (cf. communiqués CRIIRAD du 9/08/2019 et du 21/08/2019).

Par ailleurs, tous les radionucléides mesurés, ou dont l’existence peut être déduite des premiers, ont des périodes radioactives (T) relativement courtes, les plus persistants étant l’yttrium 91 (58,5 jours) et le baryum 140 (environ 13 jours). Nous résumons ci-dessous les chaînes de désintégrations probables avec mention des périodes radioactives entre parenthèses :

  • Kr 91 (8,57 s) => Rb 91 (58,4 s) =>  Sr 91 [4] (9,5 h) => Y 91 (49,7 mn) =>  Y 91 (58,51 j) => ZR 91 stable
  • Xe 139 (39,68 s) => Césium (Cs) 139 (9,27 mn) => Baryum (Ba) 139 [5] (1,41 h)  => La 139 stable
  • Xe 140 (13,6 s) => Cs 140 (1,06 mn) => Ba 140 (12,75 j) => La 140 (1,68 j) =>  Ce 140 stable

Pour clore le dossier, il faudrait toutefois disposer d’un bilan complet ce qui est loin d’être le cas. 

Retards, lacunes et contradictions

Bien que l’on connaisse enfin, 18 jours après l’explosion, la nature de certains des radionucléides présents dans l’air qu’ont respiré les habitants de Severodvinsk, on ignore toujours leur concentration. Le communiqué de Rosguidromet ne contient en effet aucun résultat d’analyse. Ne sont mentionnées ni les activités volumiques des radionucléides détectés, ni celles des gaz rares radioactifs qui les ont générés. Devraient également être publiées les limites de détection des radionucléides artificiels qui n’ont pas été détectés, notamment ceux des produits de fission généralement les plus abondants, césium 137, iode 131, etc. Le fait qu’un radionucléide n’a pas été détecté ne signifie pas forcément qu’il n’était pas présent (seulement que sa concentration est inférieure à la limite de détection).  Il est également nécessaire de connaître la concentration en tritium de l’eau de pluie, si elle a été collectée.

D’après le communiqué, les prélèvements d’air ont été effectués avec des filtres à aérosols (ce qui explique que les analyses ne détectent que les descendants particulaires des gaz rares radioactifs). Aucun prélèvement n’aurait été effectué à l’aide de cartouches à charbon actif, adaptées au piégeage de l’iode radioactif gazeux.

Faute de ces informations, il est toujours impossible d’estimer la dose que les habitants ont pu recevoir lors du  passage du panache radioactif du fait de l’inhalation des substances radioactives

La présence de produits de fission étant désormais attestée, la question de l’exposition des personnes présentes sur la plateforme et dans les secteurs voisins se pose avec encore plus d’acuité (concernant l’exposition externe, s’ajoute désormais l’exposition au flux de neutrons). Ceci conduit également à s’interroger sur la nature exacte de la « source d’énergie isotopique » mentionnée par Rosatom. On pouvait alors penser à l’utilisation de l’énergie produite par les désintégrations d’une source radioactive[6] mais ce type de dispositif, fréquemment utilisé pour l’exploration spatiale à longue distance, ne provoque pas la formation de produits de fission[7].

Un « réacteur » nucléaire ?

Les radionucléides mesurés à Severodvinsk, et ceux dont ils sont issus, sont caractéristiques de réactions nucléaires de fission, c’est-à-dire de l’éclatement d’un noyau lourd (isotope de l’uranium ou du plutonium par exemple) en deux fragments plus légers et très radioactifs. Chacun des produits de fission peut générer en se désintégrant un nouveau produit radioactif qui peut lui aussi générer un autre radionucléide, formant ainsi une chaîne de désintégration avant de parvenir à un isotope stable (non radioactif).

On note, en revanche, l’absence de certains radionucléides, relativement volatils et relâchés en abondance en cas d’incident ou d’accident sur un réacteur nucléaire classique : notamment les isotopes radioactifs de l’iode (et notamment l’iode 131 et 132), les isotopes radioactifs du césium (notamment 137 et 134), les isotopes radioactifs du ruthénium et du rhodium (106 et 106), etc. L’absence de ces radionucléides peut-elle s’expliquer par les conditions spécifiques de l’explosion ou traduit-elle l’existence d’un « réacteur » nucléaire très spécifique ? Impossible de trancher étant donné le niveau de lacunes et de contradictions. Certains articles évoquent par exemple une explosion sous-marine alors que le communiqué de l’institut NORSAR conclut au contraire à une explosion probable en altitude (voir ci-après).

Par ailleurs, on ne peut que s’interroger sur l’activité du krypton 85 et des isotopes 133 et 135 du xénon, des gaz rares radioactifs qui sont généralement les plus abondants en cas d’accident survenant sur un réacteur nucléaire classique. La désintégration de ces radionucléides aboutit à la formation d’isotopes stables (ou de période extrêmement longue) qui ne peuvent donc pas être utilisés pour inférer de leur présence [8].

Les données des stations de contrôle du réseau de surveillance du CTBOT étant confidentielles et la station russe de Dubna, qui est équipée pour la mesure de certains gaz rares radioactifs, ayant été désactivée [9], il est impossible de savoir si ces radionucléides étaient présents dans l’air et, si oui, à quelles concentrations.

Ces constats conduisent à s’interroger sur la nature du système de propulsion qui était testé.

Dans son communiqué du 13 août 2019, la CRIIRAD revenait sur l’hypothèse qu’elle avait envisagée dès le 8 août : l’explosion aurait pu survenir au cours de tests pour un nouveau type de missile de croisière, référencé 9M730 Burevestnik par les Russes et SSC-X-9 Skyfall par l’OTAN », que le président Poutine a présenté en mars 2017 au Parlement russe comme « un missile à propulsion nucléaire ».

Le communiqué précisait que « cette expression peut recouvrir deux réalités distinctes : 1. l’utilisation de l’énergie produite par une source radioactive ; 2. l’utilisation de l’énergie libérée par les réactions de fission au sein d’un réacteur nucléaire ». La CRIIRAD avait considéré que la première hypothèse était la plus probable, tout en précisant qu’en matière d’applications militaires, il fallait rester prudent. « De toute façon, qu’il s’agisse d’une source radioactive ou de combustible nucléaire, l’explosion a concerné des matières radioactives ».

La présence de produits de fission semble a priori valider l’hypothèse la moins probable, celle de l’utilisation d’un réacteur nucléaire miniaturisé, mais les interrogations sur le cocktail radioactif identifié invitent à réfléchir à des dispositifs non conventionnels. Dans ce contexte, une troisième hypothèse pourrait être envisagée, qui participerait des deux hypothèses précédentes : une source radioactive serait bien utilisée comme source d’énergie (l’énergie produite par les désintégrations)[10] mais sa puissance serait dopée par l’utilisation d’un élément léger (béryllium, lithium…) qui permettrait d’utiliser de l’énergie de fission. Un article de 2011[11] fait état d’un dispositif de ce type dénommé «Advanced Subcritical Assistance Radioisotope Thermoelectric Generator » (ASA-RTG) (générateur thermoélectrique à radio-isotopes à assistance sous-critique avancée).

L’ASA-RTG décrit dans l’article est constitué d’une source de plutonium 238 dont les désintégrations produisent de la chaleur qui est convertie en électricité (l’énergie de la particule alpha expulsée à chaque désintégration est d’environ 5,6 MeV). Ces particules alpha, éjectées du noyau à très grande vitesse, ont également la capacité  de provoquer  des réactions alpha-neutron lorsqu’elles interagissent avec les atomes d’un élément léger (azote, béryllium, bore, lithium..). Une cible de béryllium ou de lithium peut ainsi produire un flux de neutrons qui va produire des fissions et générer ainsi un surcroît d’énergie. Ces fissions peuvent être produites dans les noyaux de plutonium 238 mais une petite quantité de matière fissile (par exemple du plutonium 239 ou de l’uranium 235) peut également être ajoutée. L’énergie libérée lors de la fission est très supérieure à celle émise lors des désintégrations (environ 200 MeV pour la fission d’un noyau de plutonium 238). Cet apport d’énergie supplémentaire permettrait d’optimiser le dispositif et de pallier la pénurie de plutonium 238 [12].

Des hypothèses, des questions et des contradictions

Un tel dispositif pourrait donc expliquer la présence de produits de fission mais il reste à relier les radionucléides présents dans l’air de Severodvinsk à un dispositif de ce type qu’il s’agisse de plutonium 238 ou d’un autre radionucléide.

Le fait que cet équipement soit un projet américain qui pourrait être développé pour la Nasa n’est pas forcément contradictoire car la Russie pourrait travailler en parallèle sur un concept voisin. En revanche, si on comprend l’utilité d’un tel dispositif pour des sondes envoyées dans l’espace lointain, son intérêt pour un missile de croisière reste un mystère (à moins d’imaginer la vision cauchemardesque d’un missile de croisière en orbite autour de la terre ?!).

On ne peut d’ailleurs exclure que le test ait concerné un nouveau moyen de propulsion pour l’exploration spatiale. Le système de propulsion a bien été testé sur une base militaire dédiée aux essais de missiles et le président Poutine a effectivement évoqué un nouveau type de missile équipé d’un réacteur nucléaire. Cependant vu le niveau de désinformation habituel et la quantité d’informations manquantes, il faut rester très prudents dans les interprétations.

Un réacteur au plutonium 239 ?

Une information que la CRIIRAD n’a pas pu vérifier fait état d’un assemblage de 70 kg de plutonium 239 qui aurait été totalement détruit par l’explosion. Elle a été publiée sur le média « Русский еврей »[13] qui semble mentionner la « BBC » sans qu’il soit possible de trouver l’écho de cette information dans les publications en ligne de ce média. L’information proviendrait des services de renseignement britanniques et aurait été rapportée par l’attaché d’ambassade du Royaume-Uni (probablement à Moscou mais ce n’est pas précisé).

Si l’information est confirmée, nous ne serions donc plus dans l’hypothèse d’une source radioactive associée à un dispositif de fission mais en présence d’un réacteur nucléaire miniaturisé avec un assemblage de tubes contenant un combustible au plutonium 239. Compte tenu de la très forte radiotoxicité de ce radionucléide et de sa très longue période radioactive (24 000 ans), cette hypothèse est l’une des pires que l’on puisse envisager.

À ce jour, nous restons donc plus que jamais au stade des hypothèses et des questions : sur la nature et l’activité des matières radioactives, voire fissiles, utilisées ; sur la nature de l’engin qui a explosé ; sur la nature et la quantité des substances radioactives et chimiques qui ont été dispersées ; sur les doses de rayonnements reçues par les personnes affectées que ce soit par exposition externe ou interne ; sur le niveau de contamination du milieu terrestre et surtout aquatique ; et même sur le nombre des explosions !

Les relevés de NORSAR

Le communiqué publié par l’institut de recherche norvégien NORSAR conduit en effet à s’interroger sur les circonstances de l’explosion.  Sur la base d’enregistrements sismographiques et acoustiques datant du jour de l’accident, ils concluent en effet à la probabilité de deux explosions successives :

  • Le 1er événement a été enregistré le 8 août à 6 h TU[14] à la station de Bardufoss, dans le nord-ouest de la Norvège, par les capteurs d’infrasons (sons de basse fréquence). Il a également été enregistré sur les relevés sismiques, ce qui signifie qu’il s’est produit soit au niveau du sol, soit à son contact (par exemple dans l’eau).
  • Le second évènement a été enregistré environ 2 heures plus tard, autour de 8 h TU[15], toujours à la station de Bardufoss mais seuls des infrasons ont été enregistrés. Ce second signal, plus faible que le premier mais caractéristique d’une explosion, a été confirmé par d’autres stations norvégiennes et finlandaises. L’absence d’anomalie sur les relevés sismiques impliquerait une explosion survenue dans l’atmosphère.

Le communiqué de NORSAR précise qu’une analyse plus poussée de l’événement, incluant des données sismiques supplémentaires, indique qu’il peut également provenir d’une activité minière en Finlande mais la formulation est ambigüe et il est difficile de savoir si cette mention s’applique au premier évènement (ce qui serait logique) ou au second[16].

Il importe d’éclaircir ces questions car l’impact de l’explosion qui a disséminé les produits radioactifs est évidemment très différent selon que l’explosion a eu lieu sur la plate-forme, sous l’eau, à 100 mètres d’altitude, 500 mètres ou plus.

 

[1] Analyse permettant de détecter les radionucléides qui émettent des rayonnements gamma.

[2] La période radioactive est le temps nécessaire pour que l’activité d’un radionucléide diminue de moitié (en 2 périodes, elle est divisée par 4, en 3 périodes par 8, etc. Les valeurs mentionnées sont tirées de « table of radioactive isotopes », Browne and Firestone, 1986.

[3] Le produit radioactif auquel il donne naissance en se désintégrant.

[4] Le Sr 91 est également un produit d’activation du Zr 94.

[5] Le Ba 139 est également un produit d’activation du Ba 138.

[6] Cf. communiqué CRIIRAD du 13/08/2019.

[7] Hormis, pour certains des radionucléides utilisés,  un très faible taux de fissions spontanées.

[8]  À la différence du krypton 91 et des isotopes 139 et 140 du xénon dont la présence peut être déduite de celle de certains de leurs descendants qui sont radioactifs, piégés par le filtre à aérosols et identifiables par spectrométrie γ.

[9] Cf. Explications et carte dans le communiqué CRIIRAD du 21/08/2019.

[10] Ce dispositif est utilisé depuis longtemps pour l’exploration spatiale. En anglais, il est désigné par le sigle RTG pour Radioisotope Thermoelectric Generator. Quelques kilogrammes de plutonium 238 permettent de fournir de la chaleur et de l’énergie pendant des décennies. Avec une période radioactive de 88 ans, ce radionucléide est adapté aux explorations lointaines. Voir explications dans le communiqué du 13/08/2019.

[11] http://www.jbis.org.uk/paper.php?p=2011.64.314

[12] L’arrêt des unités de production du plutonium 238 a conduit à la diminution des stocks et à la nécessité d’économiser cette matière ou de lui chercher des remplaçants (l’Europe a étudié le recours à l’américium 241).

[13] Attention aux virus (la page de ce média est infectée).L’article a été publié le 27/08/2019 sous le titre : «  Разведка Британии — в России взорвалась грязная плутониевая бомба » (« Renseignements britanniques – Une bombe au plutonium sale explose en Russie »). Le titre est trompeur puisque le contenu même de l’article fait état d’un combustible au plutonium et non d’une bombe.

[14] TU = Temps Universel : 6 h TU correspondent à 9 heures, heure locale, à Arkhangelsk et à 8 h en France.

[15] Soit 11 heures dans la région d’Arkhangelsk et 10 h en France.

[16] Un courriel va être adressé aux responsables de NORSAR pour leur demander des précisions.

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